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L’homophobe, c’est « l’autre »

En 2010, le Prix courage civique décerné par le Pride de Berlin est attribué à la philosophe Judith Butler, rendue célèbre par son ouvrage « Trouble dans le genre”. Mais à la stupeur des organisateurs, elle refuse ce prix, en proclamant que la lutte contre l’homophobie a dégénéré en racisme.

Un an plus tard, devant la colère de plusieurs associations, les organisateurs de la Pride parisienne doivent retirer au dernier moment l’affiche qui annonçait le défilé : barrée du slogan « Pour l’égalité, en 2011 je marche, en 2012 je vote », celle-ci représentait un coq dressant fièrement sa crête. Une façon d’exclure clairement les étrangers, en particulier les sans-papiers.

Mai 2013 : en ouvrant la brochure de présentation des activités autour de la Pride belge, on découvrait une pleine page de publicité pour la N-VA. La même publicité ornait le dos du magazine LGBT flamand Zizo, où dans une tribune, ce parti pouvait affirmer sans contradiction que les militants flamingants avaient eux aussi été victimes de la terreur nazie, pour ajouter que les droits des homosexuels sont menacés par le nombre croissant de musulmans vivant chez nous. Deux membres de la N-VA avaient pondu, en 2012, le même genre d’affirmation dans l’hebdo gratuit Brussel Deze Week, avant qu’une série d’associations n’obtiennent une tribune pour leur répondre dans le même journal. Pour la Pride bruxelloise du 17 mai 2013, plusieurs associations ont voulu se démarquer d’une marche trop commerciale, ses chars mais aussi son manque de principes, en créant, l’APA Belgium (pour Alternatieve Pride Alternative).

« Homonationalisme » : le terme a été employé par la théoricienne américaine Jasbir K. Puar pour dénoncer cette dérive des mouvements gays. Dans un article de juin 2012, le journal Le Monde rappelait quelques vérités dérangeantes. Aux Pays- Bas, Geerts Wilders défend autant les gays qu’il hait les musulmans. En Suisse, l’ultra droitière UDC (Union démocratique du centre), à l’initiative de plusieurs référendums xénophobes, a sa section « gay ». Les hooligans nationalistes de l’extrême droite anglaise ont tenté d’organiser une Gay Pride dans des quartiers immigrés de Londres, par provocation, histoire de démontrer qui c’est qui est le plus civilisé. De son côté Didier Lestrade, l’un des fondateurs d’Act Up, a balancé son dépit dans son livre Pourquoi les gays ont viré à droite.

Assez systématiquement, le « gaybashing » – un problème bien réel – est attribué uniquement aux jeunes garçons d’origine maghrébine. Il se fait que le cas le plus grave de violence homophobe qu’ait connu la Belgique est indiscutablement le meurtre d’Ihsane Jarfi. La victime est un jeune musulman d’origine marocaine et ses agresseurs, à une exception près, des gars « bien de chez nous ». On peut craindre que leur procès en novembre-décembre 2014 ne suffise pas à convaincre la majorité que l’homophobe, ce n’est pas forcément « l’autre ».