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L’inceste institutionnel

La Belgique est un pays incestueux. Combien de commissions comprenant des experts qui sont aussi des candidats à la subvention concernée. Combien de concours où les jurés sont (au moins indirectement) parties prenantes des enjeux. Combien de transferts immédiats et sans le moindre «délai de vacuité» entre la politique et les médias ou vice versa. Il règne dans nos institutions comme une confusion congénitale des genres et des intérêts. Certes la circulation des compétences est un oxygène salutaire pour la respiration des structures de décision ou de représentation. Mais quelques fois cette confusion devient un scandale qui transforme notre monarchie constitutionnelle en république bananière. Et quand, par exemple, des membres de cabinets ministériels font du jour au lendemain de fulgurantes carrières dans l’audiovisuel public, l’indécence prend le pouvoir. Le dernier épisode en date de cette confusion généralisée concerne le cas Vrebos La solution de ce «cas» est reportée au lendemain des élections. Cet homme multimédia et polyvalent brigue le poste d’administrateur général de la Culture (et de l’Informatique) à la Communauté française tout en affirmant sa volonté de poursuivre ses activités médiatiques (et notamment l’animation de ses débats politiques sur RTL). Pascal Vrebos — et ses patrons — trouvent cela tout naturel. Ils ne voient pas où est le problème d’être à la fois juge et partie. Il est vrai que l’homme est récidiviste en la matière puisqu’il est depuis longtemps membre du Conseil supérieur de la Justice comme représentant de la nébuleuse « société civile » et qu’il organise régulièrement des débats sur les questions de justice qu’il est éventuellement amené à trancher par ailleurs. Une fois encore on mélange allègrement et sans vergogne les casquettes. Que Pascal Vrebos ne voit pas où est le problème est emblématique d’un certain état d’esprit. Que les responsables politiques ne semblent pas choqués est plus inquiétant. Les libéraux soutiennent politiquement le candidat sans objecter sur la poursuite de ses activités médiatiques: rien de vraiment surprenant. Les Écolos affirment que l’essentiel est le respect des procédures — Vrebos est arrivé en tête d’une évaluation externe On pourrait par ailleurs discuter des conceptions culturelles de Pascal Vrebos et éventuellement des modes d’évaluation mises en place mais ce n’est pas l’objet de ces lignes — sans poser la question du cumul médiatique, ce qui est plus étonnant. Le PS n’ose pas trop protester de peur d’être accusé d’interventionnisme politicien (d’autant qu’il soutenait une autre candidature). Quant au silence du monde culturel, associatif et politique au sens large, il s’explique sans doute par la peur d’affronter la puissance médiatique qui pourvoit des places essentielles en matière de visibilité publique. Et dans la presse, le corporatisme interne interdit de mettre en cause un «grand professionnel». Dans une campagne de particulière mauvaise foi, Le Soir a été jusqu’à confondre certains cumuls de mandats obligés, non rémunérés et exercés ès qualités par des responsables de l’administration culturelle avec la volonté de Vrebos d’installer ses positions de pouvoir des deux côtés de l’écran voir Le Soir du 21 avril 2004. La confusion est totale : dans les genres, les intérêts et les esprits. Elle risque surtout de générer des méfiances supplémentaires vis-à-vis de l’activité publique. 15 mai 2004