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L’information, entre le réel et la fiction

Désormais en cas de crise grave (guerre ou catastrophe naturelle) le « scénario » – c’est bien le mot qui convient ici – de l’information télévisée se déroule d’une manière implacable. Il n’est plus une émission spéciale sans une bande-annonce qui semble vouloir égaler les génériques hollywoodiens de la plus grande époque. Images « retraitées » graphiquement pour leur donner un tour encore plus dramatique, bande-son digne d’un « blockbuster », des mots déclamés dans un style hybride qui emprunte à la fois à la publicité et à l’emphase théâtrale : dans leur grande majorité, les chaînes d’info comme les généralistes sacrifient au même rituel. Ce n’est pas nouveau. Les premières manifestations de cette spectacularisation de l’info remontent à la première guerre du Golfe, en 1991. Depuis lors le phénomène n’a fait que s’amplifier. Et ces dernières semaines, du printemps arabe à la guerre ivoirienne en passant par le Japon et l’intervention en Libye, les cellules d’infographie des JT n’ont pas chômé. On sait aussi depuis longtemps que cette « écriture » de l’information n’est pas innocente et que cette déclinaison spectaculaire du « récit » se construit au détriment du sens. Chaque crise confirme une tendance qui s’est encore accentuée avec la volonté revendiquée des responsables de l’information télévisée de fabriquer une narration journalistique qui s’inspire de plus en plus de la grammaire fictionnelle. Avec, comme le sait, le primat définitivement accordé au registre émotionnel.

« Le relookage de l’information et la tentation de séduction du public par la narration ont décidé de faire fi de la distinction des genres et des identités, sans que le spectateur en soit expressément averti. » (F. Antoine)

L’effacement des frontières entre le réel et la fiction n’est pas récent. Et depuis ses origines, l’on sait que par sa nature même et par son langage spécifique, la télévision comporte toujours une part de spectacle, y compris dans le traitement du réel. Mais jamais sans doute la confusion n’a été aussi forte. Et elle ne se manifeste pas seulement lors des crises qui secouent la planète. La règle dominante vaut aussi pour la banalité de l’information quotidienne. Il y a peu dans la newsletter de l’Observatoire du récit médiatique (ORM) Département de communication de l’UCL. Fr. Antoine, « Les comédiens de l’info. Cécile de France aux commandes d’un futur JT ? », newsletter de l’ORM, n°21, 5 avril 2011 , Frédéric Antoine posait la question : « La mise en scène de l’information télévisée nécessite-t-elle le recours à des comédiens, voir le remplacement des journalistes par des acteurs professionnels ? Or, ce franchissement de frontières ne paraît plus poser problème dans des enquêtes reportages. Et il se manifeste aussi dans des émissions quotidiennes d’information, ce qui est encore plus interpellant. Est-ce normal ? » F. Antoine illustrait cette question par des exemples puisés dans les pratiques des magazines de la RTBF « Questions à la Une » et « On n’est pas des pigeons » qui, à divers titres, entretiennent cette confusion qui était jusqu’il y a peu l’apanage de ce qu’on appelait la « néo-télévision ». Et l’ORM notait justement que « le relookage de l’information et la tentation de séduction du public par la narration ont décidé de faire fi de la distinction des genres et des identités, sans que le spectateur en soit expressément averti ». Il est vrai que depuis « Bye bye Belgium » et le vrai-faux JT de la RTBF, la confusion du réel et de la fiction ne suscite plus vraiment de question.