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Lune de miel progressiste à Forest

Les membres du collège posant sur le balcon de la maison communale de Forest le 19 juin 2025 après avoir hissé le drapeau palestinien, à la grande fureur de l’opposition de droite.  ©Charles Spapens
Les membres du collège posant sur le balcon de la maison communale de Forest le 19 juin 2025 après avoir hissé le drapeau palestinien, à la grande fureur de l’opposition de droite. ©Charles Spapens

Source de fol espoir ou d’indicible effroi lors de sa constitution, l’inédite coalition entre PS, Ecolo et PTB-PVDA en place dans la méridionale commune bruxelloise de Forest prend ses marques. Animée d’un sens du collectif auquel les gauches nous avaient rarement habitués, la « forestoise » se sait condamnée à réussir, y compris pour le modèle qu’elle incarne.

Un rendez-vous attendu, aux allures de grand oral citoyen. Devant une salle comble de la maison de quartier Saint-Antoine sise dans le cœur populaire de la commune, les figures de proue de la nouvelle majorité forestoise présentaient le 13 mai leur déclaration de politique générale. Tour à tour, le bourgmestre, Charles Spapens (PS), le 2e échevin, Simon de Beer (PTB), et la présidente du CPAS, Séverine de Laveleye (Ecolo), exposent les contours d’un projet « plus juste, plus solidaire, plus écologique ».

L’ambiance tranche avec celle qui régnait lorsque le même document avait été descendu en flèche en Conseil communal par la très droitière opposition locale. Présents en nombre, les aficionados de la gauche plurielle n’en demeurent pas moins vigilants. La discussion se cristallise sur l’emblématique dossier du nouveau stade que l’Union Saint-gilloise souhaite construire sur la friche située dans le quartier du Bempt. « La perspective de gauche transparaît dans toutes les pages de l’accord de coalition, mais il n’y a pas de sens à soutenir la vision d’un stade “bling bling VIP” au détriment d’un lieu de vie dont la disparition serait une catastrophe et une source de nuisances pour les habitants », lance à l’adresse de l’équipe rouge-rouge-verte Sébastien Gratoir, de Forest à Gauche. Telle une vigie, ce collectif créé lors de la campagne électorale pour promouvoir l’alliance des trois partis entend s’assurer désormais que le navire forestois garde le cap à bâbord.

Ce qui est en jeu est la motivation de nos partis respectifs à gouverner ailleurs ensemble.

Charles Spapens, bourgmestre (PS)

Sur ce sujet comme sur les autres, la majorité avance en formation tortue, laissant sur leur faim les observateurs et observatrices à l’affût de la moindre aspérité trahissant d’éventuelles dissensions. Cette volonté d’afficher un visage uni conduit parfois à d’insolites inversions des rôles. Ici, Séverine de Laveleye, tout en partageant les objections sociales et environnementales au projet, les met en balance avec les opportunités économiques offertes par un nouveau stade dans un contexte de sous-financement structurel des communes. Là, Simon de Beer, loin des coups d’éclat propres au PTB, note qu’on ne fera pas contribuer davantage les grandes entreprises sans les avoir préalablement attirées. Quant au bourgmestre Charles Spapens, en rupture avec une certaine idée que l’on se fait de la gestion socialiste municipale à la belge, il assume jouer la carte de la résistance aux mesures de l’Arizona, qu’il dit soutenir, à titre personnel, « y compris dans la rue ». Dans un post Facebook à quelques jours des 20 km de Bruxelles, l’édile a posé aux côtés de ses collègues Simon de Beer et Alain Mugabo, premier échevin Ecolo, en présentant leurs sponsors respectifs, parmi lesquels la très anti-impérialiste ONG Viva Salud, proche du PTB. Le signe à la fois de la bonne entente qui règne dans le joyau art déco qu’est la maison communale de Forest, mais également de la proximité idéologique certaine entre les trois sections locales.

Intérêt partagé au succès

Si le nouvel attelage fleure bon l’idylle, c’est grâce à un alignement des planètes propice à un partenariat respectueux, à commencer par un équilibre parfait entre les forces en présence (9 sièges pour le PS, 8 chacun pour le PTB et Ecolo). Ajoutons à cela la proximité humaine due au profil des municipalistes élus, jeunes et souvent adeptes des mêmes hobbies, comme donc la course à pied. En outre, l’intense marathon de négociation (plus d’une vingtaine de rencontres !) pour bétonner les contours de l’accord a eu un effet « team-building », pour reprendre les termes de Charles Spapens. « Il ne s’agissait pas d’un marchandage, mais d’un minutieux travail de fond pour parvenir à des convergences sur ce qui nous rassemble, ce qui permet aujourd’hui à chacun de défendre l’arbitrage final sans se renier ». L’ancrage à gauche des sections Ecolo et PS a également rendu le gouffre avec le PTB moins difficile à combler qu’ailleurs. Certes, des passes d’armes ont parfois réactivé les clivages de campagne. Ainsi, lors du conseil communal du 27 mai, les interventions des groupes PS et PTB en relais d’une interpellation citoyenne déplorant la suppression d’un certain nombre de places de parking, ont laissé bien seule l’échevine verte en charge du dossier, malgré le soutien que lui a par ailleurs apporté le bourgmestre. Mais ces frictions n’ont, pour l’heure, pas entamé le climat de confiance.

Gérer les affaires locales n’a déjà rien d’évident pour un parti « antisystème » tel que le nôtre.

Simon de Beer, 2e échevin (PTB)

Du reste, chacun a intérêt à ce que l’expérience soit couronnée de succès, conscient que les enjeux débordent largement des frontières municipales. Le PTB, en particulier, se sait attendu au tournant, tant par ses opposants que par sa base. Les franges les plus progressistes du PS et d’Ecolo espèrent en outre de cette première participation au pouvoir du parti marxiste côté francophone (avec Molenbeek et Mons) qu’elle ouvre le jeu à gauche. Tout en estimant malheureuse l’expression de « laboratoire », utilisée à dessein par l’opposition après que le président socialiste Paul Magnette eut parlé d’« expérimentation » au sujet des alliances avec le PTB, Charles Spapens sait son équipe scrutée de près. « Ce qui est en jeu est la motivation de nos partis respectifs à gouverner ailleurs ensemble ».

Dans le contexte actuel, la cohésion de la majorité peut, au demeurant, constituer un critère objectif de réussite. « Difficile d’établir le bilan d’une commune sur sa capacité à développer les services publics ou à accélérer la transition juste, alors même qu’il s’agit du niveau de pouvoir qui dispose du moins de leviers fiscaux, et que nous sommes sous tutelle régionale », juge Séverine de Laveleye. « À l’inverse, parvenir, face au rouleau compresseur austéritaire à rester unis, avec un projet et un horizon communs me semble être un critère autrement plus pertinent à l’aune duquel saisir le succès ou l’échec de cette majorité ».

Le défi de ne pas décevoir

De fait, démontrer qu’une équipe ancrée résolument à gauche peut faire la différence ne sera pas chose aisée. Les personnes bénéficiant de l’aide au CPAS s’apprêtent à croître d’un tiers avec l’arrivée de 2100 exclus du chômage en raison des réformes du gouvernement fédéral, et toute augmentation des dépenses est soumise par contrat à autorisation de la Région. Bien que le budget triennal voté le 8 juillet dernier soit conforme aux promesses d’éviter les mesures d’austérité et les hausses d’impôts communaux, l’ampleur du fardeau imposé par l’Arizona pourrait à l’avenir rendre ces engagements difficiles à tenir.

La situation est particulièrement délicate pour un PTB en phase d’apprentissage du pouvoir. « Désormais nous nous trouvons dans le rôle de devoir parfois trancher, au risque de décevoir », constate Simon de Beer, qui insiste sur l’importance de politiser les problématiques locales. « Il n’y a rien de pire que de dire : “on augmente vos taxes, c’est dur pour tout le monde”. Les gens sont en colère et ils ont raison. Mais l’autorité communale n’est qu’un petit engrenage, la vraie question étant l’inégale répartition des richesses ».

Devant le public de la maison de quartier Saint-Antoine, l’échevin marxiste s’était déjà livré à un exercice mental consistant à imaginer ce que pourrait rapporter un impôt sur la fortune dans la commune s’il était intégralement affecté aux finances locales. « 40 millions d’euros par an ! On pourrait construire des logements, rénover les crèches, baisser le précompte immobilier, et il resterait encore de l’argent ! C’est théorique, et il n’y a pas que les communes qui doivent être refinancées, mais cela montre le potentiel qu’il y a en Belgique ».

Source d’inspiration pour la Région de Bruxelles-Capitale ?

Nos éclaireurs locaux de l’unité progressiste voient-ils dans l’expérience forestoise un modèle voué à s’exporter, singulièrement dans une capitale sans gouvernement depuis plus d’un an ? Assurément, l’instauration d’une coalition miroir à Bruxelles rendrait la législature communale plus confortable, relève Charles Spapens. « La commune entretiendra une collaboration constructive avec n’importe quelle majorité, mais il est clair que notre projet social et écologique pourra se déployer dans toute son ambition s’il entre en résonance avec l’échelon régional ».

La Région a pour point commun avec Forest d’être à la fois majoritairement progressiste et contrainte à la sobriété par un autre niveau de pouvoir.

Séverine de Laveleye, présidente du CPAS (Ecolo)

« Je suis convaincue que nous avons un récit à offrir sur la capacité de la gauche à gouverner la région bruxelloise, qui a pour point commun avec Forest d’être à la fois majoritairement progressiste et contrainte à la sobriété par un autre niveau de pouvoir », abonde Séverine de Laveleye. Au PTB, on se montre plus circonspect. « Gérer les affaires locales n’a déjà rien d’évident pour un parti antisystème tel que le nôtre », note Simon de Beer. « Nous ne voulons pas faire de feu de paille, mais avancer de façon solide, sans brûler les étapes ».

Au-delà de ces considérations, la « forestoise » par son existence même, offre une respiration bienvenue, conclut le bourgmestre Spapens. « Il est précieux de voir qu’à l’ère de Trump, de la droitisation généralisée et de la dérive du monde à marche forcée, il est encore possible de proposer au niveau local des alternatives convergentes et universalistes ». Âme de gauche, aussi réformiste qu’elle soit, pourrait-elle désapprouver ?