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Médias : le chaud et le froid

[ARCHIVES, 2010] De mai 2009 à mai 2010, les médias traditionnels ont relayé la panique des discours officiels sur la le virus de la grippe A/H1N1. Dans le même temps, les médias du Net dédramatisaient la situation.

Mars 2009. Vera Cruz. Mexique. Une grippe se propage. Pire, elle tue. Un mois plus tard, le virus est repéré à San Diego (États-Unis). La grippe touche de plus en plus de monde. En Belgique, une cellule interministérielle « Influenza » est mise sur pied. Son premier communiqué de presse sort le 25 avril 2009. Il fait le point sur la situation. C’est le coup d’envoi de l’intérêt des médias belges pour la grippe A/H1N1. Les premières questions concernent l’origine et la nécessité ou non de reporter son voyage au Mexique.

En mai, le virus traverse l’Atlantique et le sujet prend de l’ampleur dans les rédactions avec l’aide de la cellule « Influenza » qui sort 32 communiqués de presse (!) faisant l’état de la situation. Le tout avec un souci du détail inutile surprenant[1.« Il s’agit d’un jeune homme habitant la capitale, revenu avant-hier dans un vol New-York-Paris. Ensuite, il a pris un train à grande vitesse pour Bruxelles. Hier, il a appelé son médecin traitant car il ne se sentait pas bien. Le médecin a constaté les symptômes suivants : fièvre, douleurs musculaires et toux. En concertation avec le médecin inspecteur communautaire, il a été décidé d’effectuer un test sur le patient. », Cellule « Influenza », mardi 26 mai 2009. Autre exemple : le 17 mai, « Influenza » annonce que dix nouveaux échantillons ont été apportés, tous négatifs.]…
Le premier cas belge est identifié le 13 mai. Progressivement, les médias épousent le rythme de la cellule « Influenza », annonçant les premier, deuxième, troisième, quatrième cas détectés en Belgique. Les chiffres mondiaux diffusés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sont également repris.

Alerte au gros rhume

À la mi-juin, la phase 6 d’alerte de l’OMS (soit une pandémie mondiale en cours) donne le coup d’envoi de dossiers spéciaux. L’heure est à l’inquiétude. La RTBF diffuse le témoignage d’un ancien malade de la H1N1. Le jeune homme raconte le dispositif sanitaire impressionnant mis en place autour de lui (isolement total, cinq ou six médecins, chambre à pression négative, sept jours d’hôpital) pour ce qu’il décrit comme un « gros rhume ».
La presse relaie les « rappels des mesures d’hygiène aux écoles » et la cellule « Influenza » lance une campagne d’informations à l’adresse des vacanciers. À la mi-juillet, le gouvernement opte pour une loi lui donnant des pouvoirs spéciaux qui lui permettront de prendre des mesures d’urgence.
Le 31 juillet, La Libre Belgique interroge le docteur Daniel Reynders. Coordinateur de la cellule « Influenza », il estime qu’« avec des scénarios qui vont de 10 à 30% de personnes atteintes par la maladie, il pourrait y avoir entre 1000 et 4000 décès dans le pire des cas en Belgique »[2.X. Ducarme, « Jusqu’à 4 000 décès en Belgique », La Libre Belgique, 31 juillet 2009.].

Dans la foulée, la presse belge reprend un courrier du Centre de crise de la Région wallonne invitant les communes à prévoir suffisamment de places dans les cimetières. Ceux-ci risquent d’être rapidement débordés par les cadavres dus à la grippe A/H1N1. Le Centre évoque entre 2 100 à 6 800 morts… Le ministre des Pouvoirs locaux, Paul Furlan, doit calmer le jeu.

Le temps des cerises

La grippe fait sa rentrée de septembre avec trois sous-thèmes majeurs : le vaccin provoque-t-il des effets secondaires ? Peut-on inoculer aux femmes enceintes un vaccin avec adjuvant ? Doit-on se faire piquer deux fois pour obtenir une immunité adéquate ? Ces hésitations n’amènent pas la presse à questionner les fondements de la politique de l’OMS.
« On sortait de la crise économique et financière, la crise H1N1 était le feuilleton suivant, se souvient Marc Lits, directeur de l’Observatoire du récit médiatique. En septembre, la grippe a eu les honneurs des JT et d’émissions spéciales. C’était un non-événement, mais un non-événement anticipé. D’abord, parce que les scientifiques annonçaient que l’épidémie allait être imminente, ensuite parce qu’il y a dans les médias une logique de concurrence qui veut que pour être le premier, on propose des sujets de préparation. En quelque sorte, on couvre l’événement avant qu’il n’ait lieu. »[3.Les propos de Marc Lits sont tirés d’une interview réalisée pour cet article le 24 septembre 2010. La revue Médiatique, coordonnée par Marc Lits, a sorti par ailleurs à l’hiver 2009, dans son numéro 45 un dossier intitulé : « Grippe A : une catastrophe annoncée ».]

Sur la question des conflits d’intérêts des experts de santé en Belgique, lire cette enquête (2010) de David Leloup

 

En octobre, le corps médical, cible prioritaire de la vaccination, rechigne à se faire piquer, ce qui débouche sur une vive controverse.
Début novembre, Le Soir explique ce comportement par « une campagne haineuse, nauséabonde, totalement irresponsable de lobbies de la désinformation et du “grand complot” ». Et de clamer, solennel : « Ce qui est par contre certain, c’est que des patients vont mourir dans les semaines qui viennent par la faute de ce taux, ridiculement, scandaleusement bas de vaccination »[4.Fr. Soumois, « Grippe : le scandale de la vaccination hospitalière », édito du Soir des 7 et 8 novembre 2009.].
À l’étranger, le ton est identique. Le Devoir (Canada) parle de tergiversations d’un personnel qui « frôlent l’irresponsabilité »[5.M.-A. Chouinard, « Grippe A (H1N1) – Tous responsables », Le Devoir, 24 octobre 2009.]. Libération (France) ravale l’attitude du corps médical au niveau d’une « bouderie » et Le Monde relaie une dépêche de l’AFP où le président du Conseil national de l’ordre des médecins affirme que les professionnels de la santé ont « le devoir de participer à la campagne de vaccination » contre la grippe A/H1N1 et même « le devoir de rester en bonne santé ».

L’automne 2009 s’égrène au fil du nombre de personnes vaccinées dans tel ou tel pays. Petit à petit, cependant, les craintes de mortalité font place aux craintes d’un impact économique et sanitaire considérable sur le fonctionnement de notre société. En Belgique, le débat rebondit sur l’enjeu d’enregistrer ou non les patients vaccinés dans une base de données.
En novembre, les auditeurs des radios publiques entendent un spot publicitaire de la Régie wallonne des eaux. Il nous invite à nous laver fréquemment les mains. Ces extensions crasseuses de nos bras constitueraient les pires ennemis de notre fragile santé… Le climat se prête à ce genre de communications.

La baisse des cas de grippe A/ H1N1 en Belgique commence vers la mi-novembre. Pendant toute cette période, les journaux de proximité évitent le sujet H1N1. « Simplement parce que les gens n’avaient pas été touchés, explique Marc Lits. La couverture de l’événement a été plus institutionnelle et scientifique parce qu’il n’y eut pas d’impact concret sur la vie des gens. Les médias n’ont pas pu ou voulu jouer dans la mise en spectacle. »

La grippe ne passe pas les fêtes

Fin 2010, la médiatisation se focalise sur des cas de femmes enceintes hospitalisées et/ou décédées de la grippe A/H1N1 à Bruxelles. Les informations et sources se contredisent sur l’imputation du décès à la grippe. Cependant, la majorité des experts valident le fait que la grippe est bel et bien plus agressive pour les femmes enceintes.
Inlassablement, la cellule « Influenza » publie chaque semaine un communiqué reprenant le décompte des malades, des morts, des personnes vaccinées. Les cas de contamination de la grippe baissent de semaine en semaine.

En cadeau de fin d’année, la directrice de l’OMS, Margaret Chan, reconnaît ne pas être vaccinée contre le virus A/H1N1. Mais maintenant que tout le monde est au courant, elle assure qu’elle va le faire. 2010. Le vent a tourné. La grippe est enterrée. Les pays cherchent à revendre leurs stocks surnuméraires de vaccins. Les politiques et médias questionnent la pièce dans laquelle ils viennent de jouer, levant un voile sur les relations entre OMS et entreprises pharmaceutiques.

Le ton change dans les médias, même si la position officielle de l’État belge reste inchangée. La Libre Belgique réinterroge ainsi Daniel Reynders, le patron de la cellule « Influenza ». Le quotidien belge revient sur la prédiction de 1000 à 4000 morts (on en est alors à 17) des suites de la grippe H1N1 en Belgique. Un chiffre qui à l’époque n’avait prêté à aucun commentaire.
Les informations sur la grippe A/H1N1 disparaissent des sphères médiatiques pour réapparaître par brefs à-coups. La RTBF diffuse le 17 février un numéro de Question à la Une intitulé « Grippe H1N1, la grande tromperie ? ».
La ministre Onkelinx annonce une évaluation de la gestion de la crise le 23 février. Celle-ci n’aura jamais lieu suite, explique-t-on du côté de la ministre, à la chute du gouvernement fédéral et au passage du gouvernement en affaires courantes (chute près de deux mois après l’annonce de l’évaluation externe tout de même). Le 25 mars 2010, le Conseil des ministres lève la phase fédérale de gestion de crise de la pandémie et met un terme aux activités de la cellule « Influenza ».
Son compteur restera donc bloqué à 123 communiqués de presse. Soit la moyenne d’un communiqué tous les deux jours ouvrables pendant onze mois.
Début mai, Le Soir diffuse en exclusivité cette information : « H1N1 : voici le contrat entre GSK et le gouvernement belge »[6.« H1N1 : voici le contrat entre GSK et le gouvernement belge », Le Soir, 6 mai 2010.]. Le rôle des entreprises pharmaceutiques est de plus en plus questionné dans le déclenchement et la gestion de la pandémie.

Une couverture médiatique ratée ?

Malgré la distanciation tardive des versions officielles des médias, Marc Lits estime les médias traditionnels non coupables. « Ils ont été emportés par un discours, celui de l’OMS et des gouvernements. C’est surtout vrai en France où, avec le principe de précaution, Sarkozy a voulu montrer son leadership. Les médias n’ont pas créé la panique mais l’ont relayée. Ils n’ont pas su prendre de la distance par rapport aux informations officielles. De par leur réseau, les médias classiques ont choisi de ne récolter des propos que si les sources étaient indiscutables.
Relayer le point de vue alternatif offrait moins de garantie, alors que les médias du Net leur donnent autant de crédit qu’une voix officielle.
Il a fallu qu’on sorte du pic de pandémie pour amener une approche plus réflexive. Mais la question posée aujourd’hui est de savoir si l’on se donne encore la possibilité de faire un vrai travail critique. Le journaliste est de plus en plus souvent cantonné à un rôle où il relaie ce qui lui arrive ficelé sous forme de communiqués. »
Retour donc aux fondamentaux. Reste, répondront sans doute rédactions et journalistes, à en avoir les moyens…

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Une presse en ligne plus critique

Olivier Bailly

Le 19 mai 2009, Luc Mandret, « blogueur associé » au journal Marianne (France) et créateur de l’excellent journal Le Tigre, signait un papier : « Les désastres de la pandémie médiatique H1N1 ». Il soulignait alors l’emballement médiatique pour la grippe A/H1N1 et s’interrogeait, graphique à l’appui, sur la véritable nocivité du virus.
Soit des réflexions qui arriveront dans les médias traditionnels dans le meilleur des cas six mois plus tard.

Si cette contribution fut précoce, les sites d’informations Rue 89, Agoravox, ou encore Slate ont commencé dès la fin juillet 2009 à essaimer les doutes sur la réelle force de la pandémie, ainsi que sur la pertinence d’une campagne de vaccination massive. Ces médias, confortés dans leurs analyses par le faible impact de la grippe, continueront à critiquer, sur base d’expertises, les politiques menées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les gouvernements européens.

Au final, ces médias dits alternatifs ont fait émerger des débats les conflits d’intérêts de plusieurs experts de l’OMS[7.Cet article s’accompagne de deux autres (« Choix du vaccin : 5 experts liés à GSK« et « Grippe A/H1N1 : Conflits d’intérêts« ) formant une enquête du journaliste David Leloup publiée dans ce même numéro 67 de Politique, novembre 2010.]engagés avec des entreprises pharmaceutiques ayant tiré profit de la pandémie.

Mais alors qu’au moment des bilans, gouvernements et OMS s’autocongratulaient pour le bon fonctionnement du système d’alerte mondiale de la pandémie et de la juste réaction des décideurs, des experts réunis à Genève par l’OMS estimèrent que les nouveaux médias, ceux-là même qui ont correctement évalué l’ampleur de la grippe A/H1N1[7.Il y a d’ailleurs sans doute dans cette clairvoyance de la Toile des leçons à tirer pour les gouvernements sur les dépistages de pandémie de grande ampleur.], avaient perturbé la communication sur la grippe H1N1 ! Keiji Fukuda, sous-directeur de l’OMS, déclara qu’il y eut « des informations, des rumeurs, beaucoup de spéculations et des critiques dans de nombreux supports » médiatiques[8.« Grippe H1N1 : l’OMS accuse les nouveaux médias », AFP, mardi 13 avril 2010. Monsieur Fukuda aurait été bien inspiré de se demander par ailleurs si sa présence dans une réunion supposée évaluer son institution ne perturbait pas l’analyse indépendante de la gestion de la crise par l’OMS. Soit.].

Il est certain qu’Internet charrie son lot (et même un peu plus) d’inepties. L’internaute peu avisé aura ainsi appris via la Toile que la grippe A/H1N1 était un Holocauste organisé par les gouvernements pour réduire la population mondiale (le gouvernent canadien, prévoyant, a même construit un énorme entrepôt avec à l’intérieur des milliers de cercueils), qu’en France, des camps de vaccination forcés étaient organisés, ou encore que la grippe avait été provoquée par la vaccination d’élèves lors des célébrations de la fête nationale.
Cependant, confondre ces rumeurs avec les médias numériques ayant des pratiques de récolte d’informations et de déontologie assimilables à celles des médias traditionnels, est soit un manque de discernement, soit une volonté délibérée de les discréditer.