En matière d’inégalités environnementales, il ne faudrait pas oublier d’inclure les inégalités de genre. Les femmes sont parmi les premières victimes du risque environnemental, que ce soit dans les catastrophes naturelles dues au réchauffement climatique, en raison de leur précarité économique ou par la migration qui leur est imposée. Un tableau bien sombre où l’espoir n’est pas totalement absent, sous la forme d’un renouvellement de la pensée écoféministe.

Inondations, canicules, montées des eaux, sécheresses, l’actualité récente prend parfois des airs de mauvais films apocalyptiques. C’est pourtant bien notre réalité. Dans ce contexte, il convient de nous interroger : tout le monde est-il égal face au changement climatique et aux catastrophes naturelles ? À cette question, de plus en plus d’expert∙es répondent par la négative et mettent en évidence les inégalités environnementales. Dans un article[1.« Les femmes, pas toutes égales devant le climat », Axelle magazine, juillet-août 2019.] du magazine féministe Axelle, la journaliste Manon Legrand interroge Catherine Larrère sur ce sujet. Selon la philosophe française, les risques environnementaux ne sont pas les mêmes en fonction des groupes sociaux. « Les environnementalistes voudraient nous faire croire que le réchauffement climatique égalise tout le monde, tant l’enjeu est grand. Or, il touche les plus vulnérables et les moins responsables [du réchauffement] », souligne-t-elle.

Le concept d’inégalités environnementales n’est pas nouveau. Il a émergé dans les années 1980 aux États-Unis, lorsque des militant∙es ont découvert que les déchets toxiques et les incinérateurs sont souvent placés à proximité des quartiers à population majoritairement noire. Dès 2005, l’ouragan Katrina visibilise également ces inégalités : « Ce sont les minorités ethniques, les personnes âgées et les personnes les plus précaires qui ont été les plus touchées, leurs quartiers étant souvent situés en zone inondable », écrit la journaliste M. Legrand.

Les inégalités sociales se cumulent, et l’accès plus restreint à un environnement de qualité ne fait pas exception à la règle. La situation est encore plus compliquée si vous êtes précaire, racisé∙e… si vous êtes une femme, ce que cet article met en évidence d’abord à partir d’exemples internationaux – car, dans les grandes catastrophes naturelles, les femmes se retrouvent en première ligne –, et ensuite à travers la précarité en Belgique. Face à ces problématiques, une source d’espoir pourrait se trouver dans l’écoféminisme.

Les femmes et les enfants, premières victimes

Le 11 mars 2011, un tremblement de terre provoque un tsunami qui dévaste le Nord-Est du Japon. La centrale nucléaire de Fukushima est touchée, ce qui entraîne la plus importante catastrophe nucléaire depuis Tchernobyl. Six ans plus tard, en 2017, un rapport de Greenpeace[2.Greenpeace, « Fukushima : le retour forcé des évacués », 7 mars 2017.] interpelle : les femmes et les enfants sont les premières victimes de la catastrophe. Kendra Ulrich, spécialiste du nucléaire, basée au Japon et autrice du rapport, révèle le lourd tribut payé par les Japonaises. Parmi les conséquences aggravées pour les femmes, elle note « la désorganisation de la distribution des comprimés d’iode, les manques sanitaires et le manque d’intimité, les compensations financières distribuées aux hommes, en tant que chefs de ménage, ou la recrudescence des violences sexuelles et domestiques ». Le gouvernement japonais souhaitait lever les interdictions d’habiter dans les environs de la centrale, alors que la radioactivité y était toujours élevée. Les personnes qui acceptaient d’y retourner recevaient une importante somme d’argent sous forme d’indemnité. « Une coercition économique », d’après Greenpeace. Les populations les plus pauvres, elles, n’ont jamais eu le choix et sont restées dans la zone radioactive. Et Greenpeace d’écrire : « Pour les femmes et les enfants, la situation est encore plus douloureuse. Il est prouvé scientifiquement que ces catégories de personnes sont beaucoup plus sensibles à l’iode radioactif. Ce qui implique un risque plus élevé de cancer de la thyroïde, de leucémie, de complications lors de la grossesse, de bébés avec des malformations et de mort prénatale. Plus l’exposition à la radioactivité est importante, plus les femmes et les enfants en sont victimes. »

D’autres catastrophes naturelles et d’autres chiffres[3.Les chiffres sont tirés d’un article de LCI disponible en ligne : « Les femmes ont-elles 14 fois plus de risques de mourir lors de catastrophes naturelles ? ».] permettent de mieux appréhender le phénomène. En 1991, un cyclone suivi d’inondations a tué 140 000 personnes au Bangladesh, parmi lesquelles 90 % de femmes et jeunes filles. Lors du tremblement de terre de Kobe (Japon), en 1995, la mortalité féminine a été de 50 % plus élevée que celle des hommes, car de nombreuses femmes âgées vivaient seules dans des zones défavorisées, durement touchées par les secousses. L’Unicef a rapporté qu’en 2010, au Pakistan, les inondations ont touché 70 % des femmes et enfants parmi les 18 millions d’habitants affectés. Parmi les multiples causes citées, le manque d’accès aux informations pour les femmes est un élément notable. L’éducation genrée est également pointée du doigt[4.E. Neumayer et T. Plümper, “The Gendered Nature of Natural Disasters: The Impact of Catastrophic Events on the Gender Gap in Life Expectancy, 1981–2002”, Annals of the Association of American Geographers, 2007, 97:3, p. 551-566.] : en effet, on n’apprend pas aux filles à courir et à monter aux arbres comme les garçons, ce qui pourtant leur donne un avantage considérable pour se mettre en sécurité. Il importe d’y réfléchir, car ces catastrophes sont amenées à se répéter et à s’accentuer dans le futur. Il s’agit de prendre en considération la question du genre pour pouvoir mieux répondre aux défis du réchauffement climatique.

L’effet de la précarité

La précarité joue également un rôle dans les inégalités environnementales. Comment déménager en cas d’urgence quand on n’a déjà pas les moyens financiers de le faire en temps dit normal ? « Fin du monde, fin du mois, même combat » est devenu un slogan bien connu dans les manifestations pour le climat. La précarité est également un thème récurrent pour les féministes du monde entier. Car, sur toute la planète, les femmes forment les rangs des plus précaires, notamment parce qu’elles assument 2,5 fois plus de tâches domestiques que les hommes. Ce travail gratuit (et invisible) affecte leur rémunération. Selon un rapport d’Oxfam International[5.Oxfam International, « Celles qui comptent : Reconnaître la contribution considérable des femmes à l’économie pour combattre les inégalités », Rapport international, 20 janvier 2020.] publié le 20 janvier 2020, c’est précisément cette inégalité dans les tâches du foyer qui maintient les femmes dans la précarité économique. « Ménage, cuisine, gestion du budget, soin des proches, collecte de bois et d’eau dans les pays du “Sud”, la valeur monétaire de ce travail représente au moins 10 800 milliards de dollars chaque année […]. C’est trois fois la valeur du secteur du numérique à l’échelle mondiale. Dans le monde, 42 % des femmes ne peuvent pas avoir un travail rémunéré en raison de la charge trop importante du travail domestique et de soin qu’elles doivent porter chez elles », soutient l’organisation. À cela s’ajoutent des salaires plus faibles et des emplois moins stables pour les femmes.

Cette inégalité économique est par ailleurs en train de s’accentuer avec le coronavirus car, selon le très sérieux cabinet de conseil en stratégie McKinsey[6.« L’emploi des femmes dans le monde est menacé par le Covid », Challenges, 10 septembre 2020.], la crise sanitaire impacte plus les emplois des femmes que ceux des hommes. Dans le monde, les femmes occupent 39 % des emplois mais représentent 54 % des emplois perdus en raison du Covid-19. Cela signifie que les femmes sont 1,8 fois plus susceptibles de perdre leur travail que les hommes. Les tâches domestiques, encore elles, jouent un rôle, note le cabinet de conseil, qui précise que ces tâches se sont accrues de 20 à 30 % lors de la pandémie, les écoles étant fermées.

En Belgique, c’est plus particulièrement dans l’accès au logement que se concentrent les inégalités, et surtout dans les zones urbaines plus polluées. C’est l’un des enjeux des inégalités environnementales dans notre pays. « À l’intérieur de la Région bruxelloise, la proportion de femmes vivant dans un ménage exposé à une nuisance environnementale diminue graduellement avec l’augmentation des revenus. Près d’un ménage sur deux parmi les ménages avec les revenus les plus bas vit dans un logement présentant au moins une nuisance environnementale », précise le rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté en 2014 publié par l’Observatoire de la santé et du social de Bruxelles-Capitale. Des femmes témoignent des liens entre les inégalités socioéconomiques et leur état de santé et celui de leur famille : « Moi, quand par exemple l’eau coule dans mon appartement, et voilà, je vois, c’est sale… je suis malade, je ne dors pas. » « Là où j’étais, c’est le même problème d’humidité […]. À cause des problèmes d’humidité, ma fille, à l’âge d’un mois, elle a déjà été hospitalisée. Jusqu’à maintenant, je fais encore l’aérosol à cause de ça. »

Fuir ?

Pour d’autres femmes, dans d’autres pays, il ne reste parfois plus que la fuite comme solution face aux éléments naturels qui se déchainent. Quelle place faisons-nous, et laquelle ferons-nous à l’avenir, pour les personnes qui fuient les régions dévastées ? Assurément, ces migrant∙es sont déjà en Belgique : chaque année, il y a jusqu’à trois fois plus de personnes déplacées en raison de catastrophes naturelles qu’à cause de conflits armés ou d’autres formes de violence, ont expliqué des associations auditionnées en avril par le Comité économique et social européen[7. « Les réfugiés climatiques ne bénéficient que d’une faible protection, alors qu’ils représentent plus de la moitié de l’ensemble des migrants », Rapport du Comité économique et social européen, 17 avril 2020.]. À l’horizon 2050, les estimations (approximatives) évoquent 200 millions de personnes qui pourraient être déplacées à cause des seuls changements environnementaux, et tous ces déplacements ne se feront pas à l’intérieur des frontières d’un même pays. Les catastrophes naturelles ne sont pas les seules sources environnementales de migrations : l’élévation du niveau de la mer et la désertification rendent de nombreux endroits « impropres, voire hostiles à la vie humaine », comme aux Philippines ou au Sénégal, où des villages entiers ont déjà disparu sous les flots. Pour nombre de personnes, le réchauffement climatique n’est pas une menace lointaine et imprécise : il a des conséquences directes sur leur quotidien.

Les hommes et les femmes qui migrent sont confronté∙es à des violences, indifféremment à leur genre. Cependant, les migrantes et les réfugiées rencontrent des obstacles spécifiques sur leur route. En 2017, 46 % des migrant∙es arrivé∙es en Belgique étaient des femmes, selon les derniers chiffres disponibles auprès de Myria, le Centre fédéral Migration. Lauraline Michel, autrice d’un mémoire sur les femmes victimes de persécutions liées à leur genre, que j’ai interrogée pour le magazine Axelle[8. « Les routes de l’exil sont des chemins dangereux pour les migrantes », Axelle magazine, juillet/août 2020.], décrit : « Si elles passent par la Libye, on sait qu’elles vont subir des violences sexuelles. Durant leur parcours, elles mettent en place des stratégies de protection, comme s’allier à un autre homme contre des faveurs sexuelles ou payer de cette manière le passeur. Il y a toute une série d’hommes qui profitent de la vulnérabilité de ces femmes qui se retrouvent sans argent. C’est la loi des hommes qui règne. » Et la loi des hommes continue à leur arrivée en Belgique : ces femmes sont spécifiquement ciblées par des réseaux de traite d’êtres humains et par des hommes belges mal intentionnés.

Espoir écoféministe

On l’a vu, les changements climatiques n’affectent pas (et n’affecteront pas) les femmes de la même manière que les hommes. Le tableau dressé par cet article est sombre. Mais j’aimerais m’inspirer du mouvement écoféministe[9.« Écoféminisme, un champ à défricher », Axelle magazine, juillet/août 2019.] pour apporter une autre perspective. Né dans les années 1970, l’écoféminisme est en train de renaitre de plus belle depuis 2015. Livres et documentaires se multiplient ; certaines militantes féministes se remettent à faire des liens entre l’exploitation de la Terre et l’exploitation des femmes et de leurs corps, tout en critiquant les dominations coloniales et le capitalisme. Dans les manifestations pour le climat qui ont eu lieu à travers le monde en 2019, les femmes, souvent très jeunes, étaient nombreuses à marcher avec des slogans particulièrement puissants. Comme une lueur d’espoir : « Ma planète, ma chatte, sauvons les zones humides. » « Pubis et forêts, arrêtons de tout raser. » « À défaut de faire jouir les femmes, vous niquez bien la planète. »

« Nous n’avons pas accepté l’empoisonnement des océans. La fonte des glaciers. La disparition des espèces. Le développement rageur qui consomme les gens et le territoire avec l’énergie du désespoir. Les guerres pour les ressources. La criminalisation des populations résistantes. La financiarisation de la fin du monde. Nous gardons les yeux ouverts sur les injustices, les catastrophes, et n’abdiquons pas. Nous sommes nombreuses à lutter sur le front de la justice sociale et sur celui de l’environnement, avec la conviction que ces combats sont liés. Féministes parce que les valeurs capitalistes et patriarcales de domination continuent de maintenir les conditions de destruction de la planète ; écologistes notamment pour des raisons de justice », écrivent la philosophe Marie-Anne Casselot et l’éditrice Valérie Lefebvre-Faucher dans le recueil Faire partie du monde. Réflexions écoféministes, sorti en 2017.

Les écoféministes réfléchissent à d’autres manières d’entrer en relation avec le vivant, des manières différentes de celle héritée par des siècles de rapport consumériste au monde qui nous entoure. Certaines d’entre elles critiquent également la manière dont nous traitons les animaux. Il se trouve que la toute dernière catastrophe « naturelle » mondiale est une pandémie, celle du coronavirus, qui semble bien causée par les animaux qui servent de nourriture aux humains, ces animaux qui sont confinés dans des espaces sans cesse plus réduits, monnayés et considérés comme des marchandises. Dans cette pandémie, à travers le monde, les femmes sont à nouveau en première ligne.