Ce n’est pas le climat politique européen qui consolera les Belges de gauche de la grisaille. Malgré quelques victoires locales des forces du progrès, l’électorat européen penche clairement vers la droite. Petit tour d’horizon du progrès social européen au lendemain des élections.

Les conservateur·rices du PPE sortent renforcé·es dans leur position dominante, tandis que l’extrême droite passe d’une cinquième, à près d’un quart des sièges au Parlement européen. Ce n’est certes pas la grande vague brune qu’on pouvait craindre. Cependant, si les deux groupes d’extrême droite (CRE et ID) parviennent à s’unir (ce qui n’est pas garanti), ils deviendront la troisième force, tirant vers eux les droites traditionnelles. Alors que l’alliance des socialistes (S&D) ne perd que 3 sièges, les Verts européens fondent comme un glacier, perdant 20 sièges d’un coup. Le baromètre est stable, en revanche, pour les gauches radicales.

Qu’attendre de cette recomposition du paysage politique européen ? Malgré la perte d’une vingtaine de sièges par le groupe libéral Renew, la grande coalition pro-européenne qu’il formait avec le PPE et les S&D devrait se maintenir, avec une majorité plus fragile. On peut espérer voir le Pacte vert tenir le coup, mais le recul des Verts rendra plus difficiles les avancées socialistes sur les politiques sociales et la transition juste. L’objectif sera surtout défensif : il s’agira de conserver les acquis comme la capacité d’investissement des États et le Socle européen des droits sociaux.

L’union ponctuelle des droites modérées et radicales pourrait devenir plus fréquente, entravant les projets législatifs les plus progressistes en matière sociale.

Par ailleurs, l’union ponctuelle des droites modérées et radicales pourrait devenir plus fréquente, entravant les projets législatifs les plus progressistes en matière sociale, d’environnement ou d’égalité de genre. Le rôle pivot des libéraux, dans ce cas, les placera face à une grande responsabilité. Il est également probable que la Présidente de la Commission (Ursula von der Leyen) continue de coopter une partie du programme de l’extrême droite en matière d’immigration, dans l’espoir d’éroder sa base électorale, en dépit de l’inefficacité patente de cette stratégie. La mise en œuvre du « Nouveau pacte pour l’asile et la migration » mettrait alors l’accent sur ses aspects restrictifs et répressifs.

Sur les questions de sécurité et de défense – domaines où le Conseil fixe les grandes orientations – la nouvelle composition du Parlement n’augure pas d’inflexions majeures. Sur le plan du commerce extérieur, le recul de la gauche renforcera la probabilité de traités de libre échange fondés sur l’abaissement généralisé des normes sociales et environnementales. L’aide au développement, enfin, pourrait aussi pâtir de cette recomposition et se voir de plus en plus mise au service de politiques migratoires restrictives.

Le déluge.

Sous l’influence visible d’un décrochage po(pu)laire, une bonne partie de l’Europe occidentale et centrale connaît un mois de juin
froid et humide. L’extrême droite y enregistre des résultats historiques, quelle que soit la configuration : au gouvernement, elle confirme sa domination en ITALIE (29 %) et en HONGRIE (45 %) ; dans l’opposition, elle inflige de cruels revers au gouvernement de centre-droit en FRANCE (31 %) et en AUTRICHE (25 %), ou de centre-gauche en ALLEMAGNE (16 %) et en SLOVÉNIE (31 %). Traditionnellement propices au vote sanction, les élections européennes ne semblent pas avoir eu cet effet contre l’extrême droite au pouvoir, à de rares exceptions. Elles ont, en revanche, poussé Emmanuel Macron à dissoudre l’Assemblée nationale et à organiser des élections législatives anticipées, tandis que son homologue allemand, Olaf Scholz, résiste aux injonctions dans ce sens. Même lorsqu’elle ne réalise pas le raz-de-marée attendu, les scores de l’extrême droite restent considérables, comme en BELGIQUE où le Vlaams Belang se hisse à la deuxième place aux élections fédérales (14 %), mais arrive en tête dans le collège néerlandophone aux européennes. En son absence, ce n’est pas nécessairement la gauche qui perce,
comme en témoigne le résultat décevant du Sinn Fein en IRLANDE (11 %), bien en-deçà des projections, et l’écroulement du parti socialiste en BULGARIE qui, avec 7 % des voix, divise son score par trois. Si la résilience des familles conservatrice et social-démocrate devrait permettre de maintenir l’extrême droite en partie hors du jeu des alliances au Parlement européen (à moins que les conservateurs ne coupent le cordon), celle-ci dispose désormais d’une représentation et d’un pouvoir de nuisance considérables au niveau européen.

La météo reste nuageuse sur les Balkans, dans le Bénélux et dans le centre de l’Europe.

Les équilibres y restent la plupart du temps inchangés au profit de la droite au pouvoir. C’est le cas en GRÈCE, à CHYPRE et en CROATIE, malgré la poussée notable de forces anti-système, qu’il s’agisse de formations de gauche (les communistes grecs et la gauche écologiste croate Nous pouvons !), d’extrême droite (Solution grecque, Mouvement patriotique en Croatie, Front populaire national à Chypre) ou inclassables (celle du youtubeur chypriote Fidias Panayotu). Ailleurs, sans s’effondrer pour autant, la gauche
obtient des résultats peu réjouissants. Aux PAYSBAS, si la coalition entre les sociaux-démocrates et les Verts leur a permis d’arriver devant la liste d’extrême droite, le score cumulé des deux formations (21 %) baisse de près de 10 % par rapport à 2019.
Au LUXEMBOURG, le net rebond du parti social-démocrate (22 %) compense la chute des écologistes (12 %), pour un pourcentage cumulé de la gauche sensiblement similaire à celui de 2019. En LITUANIE, le parti social-démocrate, arrivé en deuxième position avec 18 %, obtient un résultat bien en-deçà des prévisions pré-électorales. Sur l’archipel MALTAIS, si le Parti travailliste arrive en tête avec 45 % des voix contre 42 % pour le Parti nationaliste, il s’agit du plus mauvais score de son histoire lors d’un scrutin européen. En SLOVAQUIE, la défaite du sulfureux Robert Fico profite à une formation d’orientation sociale-libérale, tandis qu’en ROUMANIE la stratégie de grande coalition entre sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens (49 % des voix à deux) promet, à terme, de nourrir l’extrême droite. Enfin, en RÉPUBLIQUE TCHÈQUE, les bons résultats de la coalition de gauche emmenée par le parti communiste (en quatrième position avec près de 10 % des voix) ne compensent pas la domination de la compétition politique par les forces de droite et de centre-droit.

Les éclaircies, dans le paysage politique européen, se font timides.

Quelques rayons de soleil percent cependant les nuages au-dessus de la péninsule ibérique, où les partis sociaux-démocrates présentent une remarquable stabilité. Au PORTUGAL, le parti obtient la première position et 32% des voix, enrayant ainsi son récent déclin, même si la droite dans son ensemble bénéficie d’un vent favorable depuis la démission du Premier ministre Antonio
Costa et les législatives de mars dernier. En ESPAGNE, le PSOE au gouvernement résiste remarquablement bien avec 30% des voix, même s’il doit céder la première place aux conservateurs (34%).
À sa gauche, en revanche, le tonnerre gronde entre les différentes composantes d’un espace qui se réduit comme peau de chagrin à mesure que l’hégémonie socialiste sur la gauche se renforce. En POLOGNE, l’embellie observée lors du scrutin législatif n’est que partiellement confirmée : si les nationalistes du PIS y sont de nouveau devancés par la coalition de centre-droit pro-européenne (KO) emmenée par Donald Tusk, la mauvaise nouvelle est l’irruption inattendue d’une liste d’extrême droite, remportant d’emblée 12% des votes. Les meilleures nouvelles viennent des pays nordiques, où la gauche enregistre des bons résultats au détriment de l’extrême droite. Au DANEMARK et en FINLANDE, le score combiné des trois formations de gauche atteint 43% – et ce, malgré
le bon résultat du parti conservateur finlandais, actuellement au pouvoir.
Enfin, en SUÈDE, ce score cumulé atteint même près de 50%, répartis entre les sociaux-démocrates (25%), les écologistes
(14%) et le Parti de gauche (11%). Cette brise rafraîchissante venue du Nord est cependant bien trop isolée, à l’échelle du
continent, pour peser sensiblement sur les équilibres de la prochaine législature.