La justice espagnole a annulé le mandat européen contre Carles Puidgemont et ses 4 ex-ministres installé·e·s en Belgique. C’est une des premières fois que le mandat d’arrêt européen fait la une de l’actualité alors qu’il existe depuis une quinzaine d’années. Mais que se cache-t-il derrière ce mandat ?

Une « décision-cadre » de l’Union européenne (qu’on appellerait maintenant une Directive) a été prise en 2002, obligeant les États de l’Union à intégrer dans leur droit de nouvelles dispositions qui permettent de façon plus souple et efficace d’appréhender une personne se trouvant dans l’un des autres États pour le juger, pour exécuter une peine ou encore pour l’obliger à comparaître devant une autorité judiciaire.

En Belgique, c’est une loi du 19 décembre 2003 (d’application depuis le 1er janvier 2004) qui a introduit les nouvelles dispositions et rendu la procédure obligatoire. Depuis lors, quand un mandat européen est émis, par exemple par l’Italie à l’égard de quelqu’un qui se trouve en Belgique, cette personne peut accepter cette remise, ce qui arrive parfois, ou la refuser, ce qui lance alors une procédure judiciaire en Belgique sur la question de savoir si la remise est justifiée. La grande nouveauté réside dans le fait que, au contraire de la procédure dite « d’extradition », le pouvoir exécutif n’intervient plus et que ce sont uniquement les tribunaux qui devront se prononcer. Par ailleurs, la procédure est plus rapide, pour des raisons de formes plus souples et parce que des délais sont prévus. En pratique, les procédures prennent de 2 semaines à 2 mois en moyenne, selon que les personnes acceptent ou non leur remise.

Quelle liberté pour les juges ?

Les juges n’ont pas énormément de marge de manœuvre par rapport à la demande, mais ils en ont quand même, puisqu’ils doivent en général vérifier si l’inculpation invoquée par l’Italie – dans notre exemple – est prévue également en Belgique. C’est ce que devait faire le juge belge dans le dossier des indépendantistes catalans, qui sont poursuivi·e·s en Espagne pour des faits qui ne sont peut-être pas visés en Belgique par des qualifications comparables. Il ne serait pas nécessaire de faire cette vérification si les faits pour lesquels la personne est poursuivie sont passibles de plus de trois ans d’emprisonnement et visent des crimes ou délits de terrorisme, de traite d’êtres humains, de trafic de stupéfiants, et de très nombreuses autres inculpations, considérées comme pénalisées dans tous les pays de l’Union européenne, c’est-à-dire une majorité de situations. Le rôle du juge est alors limité à  la vérification de l’absence de quelques blocages possibles : la personne n’a pas 18 ans, elle a déjà été jugée pour la même chose, on est déjà en train de faire une enquête en Belgique… Et bien sûr, il reste toujours l’éventuel obstacle posé par le non-respect des principes garantis par les conventions en matière de droits humains, celui des risques de mauvais traitements, de procès non équitable…

Ont été supprimés des motifs de refus « classiques », parmi lesquels le fait qu’un État n’extrade en principe pas ses nationaux ; c’est ce qui explique par exemple que le Français Mehdi Nemmouche a été extradé par la France (avec son accord d’ailleurs) vers la Belgique en 2014. Le motif de refus lié aux délits dits « politiques » a également été supprimé, selon l’idée que l’espace européen est un espace où en principe les règles de base sont supposées communément partagées.

Une justice européenne ?

Depuis les années 70, il est question d’un espace pénal européen, Giscard d’Estaing l’appelait déjà de ses vœux. La coopération policière a été d’abord formalisée (Europol, créé en 1998), le Système d’information Schengen (Sis) a suivi en 2001, mais ce sont les attentats du 11 septembre 2001 qui ont donné le coup de pouce pour que des pas décisifs soient faits et le mandat d’arrêt européen a été la décision majeure dans ce processus. Eurojust a suivi quelques mois plus tard, et bien d’autres depuis. Tout cela est basé sur l’idée qu’au sein de l’Union, il fallait progresser vers un partage accru, fondé sur la confiance mutuelle qu’il est logique de pratiquer dans ce que le Traité d’Amsterdam en 1997 appelait un « espace de liberté, de sécurité et de justice », corollaire de la liberté de circulation au sein de l’Union. Et donc, toute la question est de concilier le principe de souveraineté nationale d’un côté, qui s’applique particulièrement en matière de poursuites pénales, et, d’autre part, toutes les conséquences d’un territoire où l’internationalisation est partout et où les gens circulent librement.

Ce qui vient de se passer avec les indépendantistes catalans est un beau cas de ce que peut vouloir dire la confiance mutuelle en pratique : la Belgique ne peut pas refuser de traiter une demande d’arrestation basée sur un mandat d’arrêt européen. Mais, d’une part, ses tribunaux peuvent ne pas mettre la personne sous les verrous s’il existe des conditions permettant de ne pas craindre qu’elle s’enfuit. D’autre part, des juges vont examiner si ce qu’on reproche aux inculpé·e·s existe aussi chez nous. En l’occurrence, le Parquet lui-même penchait pour considérer que ce n’était pas le cas pour tous les chefs d’accusation et le risque était que le juge suive ce raisonnement. C’est ce qui a poussé la justice espagnole à retirer le mandat, puisqu’elle voulait éviter de ne plus pouvoir poursuivre une partie des inculpé·e·s sur base des mêmes délits que leurs collègues poursuivis en Espagne. Voilà qui illustre bien le rapport dialectique complexe, mais assez passionnant, entre espace européen commun et États nationaux.