Dans Le Soir du vendredi 2 août 2013, Alexis Buisson, journaliste correspondant à New York, évoque les relations entre Washington et Moscou autour du cas Edward Snowden à l’origine du scandale qui a révélé le programme de cybersurveillance américain en Europe. Réclamé par la justice américaine et réfugié à l’époque dans le principal aéroport de Moscou en espérant obtenir un droit d’asile quelque part, le journaliste explique : « Alors que pour apaiser les craintes russes, la justice américaine s’était engagée à ce qu’Edward Snowden ne soit ni condamné à mort, ni torturé en cas d’extradition, le Kremlin a en fait semblé vite opter en faveur de l’informaticien ». On entre dans une nouvelle ère en matière de droits de l’Homme, Poutine obtient des Américains des garanties sur le respect de l’intégrité physique, des droits et de la dignité d’un ressortissant américain et est prêt à lui accorder l’asile politique… Ce n’est qu’une phrase dans un article, ce n’est qu’un quotidien et cela se passe dans un petit pays en partie francophone mais c’est extrêmement représentatif des changements à l’œuvre depuis les années Bush/Obama en matière de droits de l’Homme, et surtout de discours sur les droits de l’Homme. Ce n’est que le billet d’un individu soumis à la pression de la rédaction et de l’actionnaire, c’est un métier difficile qui ne laisse que trop rarement le temps de prendre du recul (ou de mettre des guillemets pour annoncer la prudence), mais c’est particulièrement intéressant de mesurer à travers la presse notre rapport aux droits de l’homme en 2013, surtout depuis Guantánamo, l’invasion de l’Irak, la prison d’Abou Ghraib, la torture justifiée dans « certaines conditions »… Désormais, aux États-Unis, non seulement on condamne à mort mais de surcroît on torture ! Quant aux autorités russes et Vladimir Poutine, ils sont fondamentalement attachés aux droits de l’homme et très vigilants lorsqu’il est question de peine de mort ou de sévices infligés à des détenus. Le centre de gravité de la démocratie bascule à l’Est au moment où les États-Unis et l’Europe refusent de parler de « coup d’État sanglant » pour qualifier la reprise brutale du pouvoir par l’armée en Égypte, des militaires qui ont chassé et arrêté le premier président démocratiquement élu dans l’histoire du pays… Au final, ce n’est qu’une petite phrase, un extrait au milieu d’un article plus long, quelques mots posés rapidement dans l’urgence avant la clôture de l’édition papier, mais cela montre comment aujourd’hui les Européens et les Américains ne sont plus crédibles lorsqu’ils parlent de droits de l’homme, et cela montre comment d’autres dictateurs finissent par sembler crédibles lorsqu’ils parlent de ces derniers. Le silence des Européens vis-à-vis des États- Unis est directement lié au cynisme ambiant ! Personne n’ose critiquer Barack Obama et les exécutions sommaires secrètes télécommandées par des drones provoquant de nombreuses victimes innocentes liées à ces avions sans pilote. Un peu comme hier avec les vols secrets de la CIA en Europe durant les années Bush, un scandale dont on ne connaît toujours ni l’ampleur ni les complicités. On parle de droits de l’homme mais on fait le contraire ou on laisse faire le contraire sans se plaindre. Au moment où le programme de cybersurveillance est dénoncé par les Européens au nom du droit à la vie privée, comble du cynisme, début juillet 2013, la France, l’Italie et le Portugal ferment leur espace aérien à l’avion d’Evo Morales sur base d’informations indiquant qu’Edward Snowden se trouverait peut-être à bord de l’avion présidentiel bolivien, un geste amical pour rappeler la solidarité avec les États-Unis et les aider à mettre la main sur le « fugitif ». Le cynisme est partout et au final, dans l’imaginaire collectif, et dans la presse, la Russie devient un sanctuaire pour se protéger contre les États-Unis et l’Europe…