Georges-Louis Bouchez se plaint d’être malmené par les médias qui déformeraient ses propos « pour faire dire le contraire de ce que l’on a dit ». Nous avons donc lu attentivement l’ouvrage sorti en aout 2023 que lui consacre l’ex-journaliste de la RTBF Alain van den Abeele.

Je vous rappelle que je suis un prolétaire […]. Par prolétaire, au sens économique, il faut entendre le travailleur salarié qui produit du capital et le met en valeur, s’explique ainsi Georges‑Louis Bouchez. Jadis, on appelait le peuple d’un beau mot : « prolétariat ». On ne le prononce plus beaucoup aujourd’hui, et pourtant, il existe toujours, mais on détourne la tête pour ne pas trop le voir.

Le prolétariat actuel, ce sont les travailleurs qui se lèvent à l’aube, partent au boulot, quel que soit le temps, et rentrent fourbus, le soir, à la maison. Ils n’ont aucun autre choix. Disons qu’on ne leur laisse aucun autre choix […]. Or, quand on abandonne ce prolétariat-là, on pousse le peuple dans les bras des extrémistes de tous poils. Chez nous, c’est le PTB, l’extrême gauche puisqu’il n’y a pas d’extrême droite dans la partie francophone du pays, contrairement à la Flandre1 ».

Si nous omettions la condamnation du PTB, l’analyse politologique brute de décoffrage du président du MR pourrait être souscrite par bien des militant·es à gauche du Parti socialiste. Le reste de l’ouvrage s’avère cependant très différent, et permet de comprendre la vision du monde et les idées fixes du prolixe président.

Un conservatisme culturel sous le libéralisme économique

Passées les digressions sur les courses de formule 1, l’ouvrage d’entretien pourtant réalisé par un ex-journaliste de la RTBF, présente un président de parti se considérant comme victime d’un monde médiatique qui lui serait hostile… Dès lors, la « guerre culturelle 2» est déclarée.

Cette guerre culturelle, Bouchez la « mène3 » au nom du « peuple4 », contre des « groupuscules qui, du véganisme à la nécessité de faire un déplacement sur quatre à vélo, nous expliquent que nous avons tout faux et qu’ils sont là pour nous rééduquer en quelque sorte5 ».

C’est donc officiel, nous avons bien affaire à une pensée conservatrice, jugeant que « nous sommes dans la société de “ l’enfant gâté ” ».

Le conservatisme culturel et social du président du MR se résume parfaitement en cette lamentation : « tout est remis en cause6 », « au détriment des règles établies7 ».  Ses ennemis ? Les « groupes de pression8 », des « groupes forcenés9 », « des petits groupes au détriment de la grande masse10 », des « groupes minoritaires11 » qui sont peut-être même des « groupes anticapitalistes12» et qui imposent des « diktats13 ». Parmi les ennemis déclarés dans la guerre culturelle, il y a les « Ecolos » qui « aliment[ent] » une « haine anti-automobile », qui est « presque une haine communiste14 », et les « extrémistes du PTB ».

Les courants de pensée problématiques peuvent être résumés par le concept de « wokisme », décrit comme « une réduction de la pensée », « binaire », qui « présente une forme de synthèse de tous les maux de notre société [sic]15 ». C’est donc officiel, nous avons bien affaire à une pensée conservatrice, jugeant d’ailleurs que « nous sommes dans la société de “ l’enfant gâté ” 16 ».

Contactée par nos soins, une figure du libéralisme belge contextualise ces étonnantes positions « libérales ». Elles seraient à resituer dans la formation intellectuelle du jeune président au sein du pilier catholique.

Contactée par nos soins, une figure du libéralisme belge contextualise ces étonnantes positions « libérales ». Selon elle, il faut les resituer dans la biographie du jeune président, qui n’est pas un enfant du libéralisme : sa formation intellectuelle, c’est d’abord et avant tout le pilier catholique, au Collège Saint‑Stanislas de Mons, puis à l’Université Saint‑Louis de Bruxelles. Il découvre sur le tard l’enseignement libre-exaministe en master à l’ULB, puisque son alma mater ne proposait pas de master en droit…

Dès lors, que signifie le libéralisme pour le président du MR, qui, selon de précédentes interviews, croit « en lui et en Dieu17 », défend des valeurs, s’intéresse beaucoup « à titre personnel » au personnalisme chrétien, et critique, à l’occasion de l’incendie de Notre-Dame de Paris, « tous ceux qui ne veulent admettre ces racines [chrétiennes] fortes, comme lors du rejet du préambule de la Constitution européenne » ?

Sous couvert de libéralisme, c’est à nouveau le conservatisme qui ressurgit.

Son libéralisme signifie la défense de « la liberté de l’individu », dans une « société devenue plus que restrictive18 ». Après « quelques exemples19 » de dérives liberticides que la Ligue des droits humains aurait peut-être pu contresigner, comme le fait que l’ « on se dirige vers des systèmes de reconnaissance faciale » ou le « contrôl[e] au nom de la santé20 » lors de la crise du covid, la suite est plus déconcertante :

« On nous explique qu’il ne faut plus prendre l’avion, que la voiture pollue, que les entreprises polluent, et qu’il faut mettre fin aux industries fossiles […] et puis, qu’est-ce que ce diktat sur le fait de manger de la viande ? 21»

Sous couvert de libéralisme, c’est donc à nouveau le conservatisme culturel qui ressurgit. Nous pourrions même dire que le libéralisme économique, fixé sur ces sujets, semble en fait la conséquence logique de ce conservatisme.

Galvanisé par sa série d’entretiens, l’intervieweur Alain van den Abeele nous livre d’ailleurs, lui aussi, le fond de sa pensée :

« Au moment où nos libertés chèrement acquises sont menacées [sic], réduites par les dirigeants au dogmatisme avoué, ces moralisateurs parlant au nom du « bien commun », nous subissons, jour après jour, le poids de leurs utopies sous le couvert fallacieux de l’écologie politique ou des inspirations sans avenir des nostalgiques du marxisme‑léninisme 22 ».

« Mettre les gens au travail »

Selon ses dires, Georges-Louis Bouchez serait le président du vrai « parti du travail23 ». Mais c’est un parti du travail particulier qui ne « croi[t] pas à la lutte des classes », défend le capitalisme dont « nous aurons besoin24 », et ne reconnait pas tout à fait les représentants légitimes et institutionnels des travailleuses et des travailleurs que sont les syndicats.

« Nous prônons l’emploi pour tous et la fierté d’avoir un boulot. Eux [les partis de gauche, NDA] veulent préserver des acquis25 ».

Contents d’avoir de la main-d’œuvre bon marché et corvéable à merci, ce sont les grands patrons et les conservateurs qui défendaient la « valeur du travail ».

Comment expliquer à celui qui se présente comme un « prolétaire26 » que ces « acquis » sont des conquêtes sociales qui lui ont permis, lui, « petit‑fils de mineur », comme au rédacteur en chef de cette revue, fils d’un ouvrier manœuvre en construction, d’aller à l’école ?

Qui pour lui rappeler que le Parti ouvrier belge (POB), premier grand parti des travailleurs en Belgique, fondé en 1885, ne défendait pas « le travail », mais bien les travailleurs et les travailleuses, ce qui n’est pas du tout la même chose ? Contents d’avoir de la main-d’œuvre bon marché, corvéable à merci, ce sont en effet les grands patrons et les conservateurs qui défendaient la « valeur du travail ».

A l’opposé, les socialistes et les représentants des travailleurs et travailleuses, rejoints par la gauche libérale et les chrétiens sociaux, défendaient les hommes, les femmes, et les enfants qui, derrière cette sacralité du « travail » subissaient ces conditions de travail. Les « valeurs sacrées » du travail et de la propriété permettaient en fait de nier la réalité du travailleur concret, et motivaient justement le refus de toute législation en la matière.

Le MR : libéral, conservateur ou simplement réactionnaire ?

Il est déraisonnable de taxer de fasciste ou d’extrême droite quelqu’un qui ne l’est pas. Georges-Louis Bouchez n’est pas plus fasciste que Margaret Thatcher. En revanche, il faut toujours prendre au sérieux les paroles de nos hommes et nos femmes politiques.

Car sous couvert de conservatisme, ce dont semble rêver Georges-Louis Bouchez, par son appel au peuple, seul légitime, et son rejet des médiations institutionnelles, par ses critiques envers les syndicats et les mutuelles, ses attaques contre les associations et la gauche, c’est la fin du modèle consociatif à la belge. En d’autres termes : c’est opérer un grand retour en arrière. Mais laissons le lecteur et la lectrice en décider… Le président du MR : libéral, conservateur, ou simplement réactionnaire ?

Une version abrégée de cet article est parue dans le numéro 123 de Politique.