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Nominations de hauts fonctionnaires : retour des vieux démons ?

Depuis quelques mois, les médias font régulièrement écho à des polémiques ayant trait aux nominations de hauts fonctionnaires, essentiellement au plan fédéral mais aussi au plan wallon. Or la décennie écoulée a été riche en réformes : «Copernic» au plan fédéral, «Beter Bestuur Beleid» en Flandre, «Plan Courard» en Wallonie. L’ambition commune affichée est d’améliorer la qualité du travail et de rendre un meilleur service aux usagers des services publics. Autant il y a une sorte de consensus politique mou pour prôner des améliorations, autant les résistances sont vives devant des changements en profondeur. Luc Vandenbossche, sous l’Arc-en-Ciel a hérissé juristes, syndicalistes, politiques et fonctionnaires, lorsqu’il avançait : «Le management prime le droit». Avec un peu de recul, quel était le message ? Non pas de porter atteinte au traitement égalitaire des citoyens. Mais bien d’affirmer que l’organisation des services ne pouvait pas se cantonner à une approche bureaucratique. Le fait de qualifier les citoyens de «clients» du service public a choqué également en pleine période de libéralisation à tout crin. Pourtant le but était de se mettre réellement «au service» des usagers et de pourchasser les pratiques kafkaïennes. Sa technique de bulldozer a permis des changements, notamment la reconnaissance du rôle important des nouvelles technologies et de la «gestion des ressources humaines». Toutefois un changement dans les pratiques des organisations ne peut se décréter, une réforme ne peut réussir sans un minimum d’adhésion des personnes concernées. Le rapport de forces syndical a évité les risques d’arbitraire dans la réforme. Mais figés dans une réaction défensive, les syndicats ont saisi insuffisamment les leviers de progrès introduits dans le domaine des «ressources humaines». On doit regretter la même frilosité chez certains ministres du PS. Permettre à chaque fonctionnaire de s’exprimer sur le contenu de son travail, lui offrir de meilleures possibilités de formation, accroître les possibilités de mobilité volontaire, cela bouleverse les mauvaises habitudes étouffantes des petits chefs et potentats des ministères. Là où on ne connaissait que la paie des salaires et le suivi de l’ancienneté, c’est paradoxalement le grand méchant loup «copernicien» qui a posé les bases d’une évolution centrée sur les personnes. Est-ce à dire que la réforme ne contenait pas d’erreurs d’appréciation voire de risques ou d’ambiguïtés ? Sans doute pas, comme le soulignait récemment un rapport de la Cour des Comptes au Parlement fédéral. Mais il y a eu néanmoins des avancées. L’ennui est que tous ces débats de fond, ces difficultés, sont passées sous silence dans les médias et n’ont franchement pas l’air d’intéresser beaucoup les partis politiques. Là où le citoyen serait en droit d’attendre au contraire une implication importante des partis démocratiques. Anecdote : au moment le plus fort de la crise politique sur BHV se tenait un séminaire des fonctionnaires dirigeants des services publics fédéraux pour débattre des difficultés comme des «bonnes pratiques» de gestion. Les journalistes présents ont manifesté leur étonnement positif devant la motivation des participants autour de réels enjeux, sans aucune différence communautaire : comment dénicher les meilleurs collaborateurs pour assurer un service de qualité ? Comment clarifier les relations entre décideurs politiques et responsables de la gestion ? La relation entre les administrations et le pouvoir politique : nous y sommes. Si l’on veut renforcer la légitimité des services publics, avancer vers une meilleure gouvernance publique, l’autonomie des responsables et leur impartialité sont des éléments essentiels. Autant la définition des politiques appartient aux élus, autant la gestion concrète doit bénéficier de suffisamment d’espace pour la créativité et la prise de responsabilités, dans le cadre d’une relation de confiance mutuelle. Or s’il y a bien un écueil dans toutes les actions de réforme, c’est la culture de méfiance entretenue par bien des acteurs politiques à l’égard des fonctionnaires, et pas uniquement les partis traditionnels dans leurs vieux réflexes d’occupation de l’appareil d’État ; lors des débats sur Copernic, certains écologistes étaient tentés par un système à l’américaine avec un changement de tous les responsables parallèlement au changement de majorité politique. D’aucuns avancent comme hypothèse de travail que notre histoire fortement axée sur les communes joue un rôle dans ce domaine : les politiques qui ont pignon sur rue sont souvent bourgmestres ou échevins. La pratique de gestion communale, où l’élu est extrêmement proche des responsables de l’administration et impliqué dans la gestion concrète, empêcherait les décideurs politiques de prendre suffisamment de recul, et de se centrer sur la définition ou l’évaluation des politiques. Cela étant, tous les partis ont malgré tout opté pour un système de mandats dans la désignation des fonctionnaires dirigeants. Au niveau fédéral, les candidats, après avoir prouvé une bonne expérience de gestion et communiqué leurs diplômes, subissent une épreuve orale solide devant un jury composé de spécialistes de la gestion, des ressources humaines, du domaine concerné par la fonction. Les lauréats sont classés en fonction de leurs compétences ; le ministre est lié par ce classement. Il paraît de plus en plus évident que ce système, s’il n’a pas évacué entièrement un certain étiquetage politique, empêche clairement la désignation de personnes incompétentes qui auraient pour seule qualité d’avoir porté la bannière de l’un ou l’autre parti. Cette évolution semble irriter de plus en plus certains partisans du retour aux bonnes vieilles pratiques de lotissement politicien. Voir l’acharnement d’un ancien collaborateur ministériel MR à déposer force recours devant le Conseil d’État pour saper la réforme fédérale. En Wallonie si le Selor voit bien les candidats, il ne peut que les déclarer aptes ou non aptes sans classement. On garde donc toute latitude de nommer un candidat moins compétent du moment qu’il a passé le cap, sans devoir désigner le meilleur. On le voit, la marche vers une meilleure gouvernance démocratique et un meilleur service public ne se fait pas sans heurts ni paradoxes. Le plus préoccupant finalement c’est de devoir constater que de façon majoritaire l’évolution des services publics semble intéresser plus leurs usagers/«clients» et leur personnel que les formations politiques démocratiques et progressistes. Préoccupant, le mot est faible alors même que la gauche devrait au contraire porter des avancées sur ce thème au moment où la soif de profit et la libéralisation effrénée mettent en péril un modèle de service public actif et égalitaire.