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Paranoïa sécuritaire

Belgique. 21 décembre 2007. Onze heures du matin. L’alerte est lancée. Le parquet fédéral et la section terrorisme de la police lancent un appel à la population: «Tout objet ou agissement suspect doit être signalé aux autorités». Au moment même, rajoute un journaliste d’un quotidien francophone, «toutes les zones de police de la capitale, appuyées par une centaine de policiers supplémentaires sont mobilisées». La Société des transports bruxelloise (Stib) lance à son tour le «plan Vigilance» étendu à 35 stations du métro bruxellois au lieu de quatre lors des sommets européens. On nous dit en effet que la menace aurait atteint son «niveau quatre» (danger maximum). Les chemins de fer ainsi que «Brussels Airport» sont mobilisés, bien que le porte-parole de ce dernier nous rassure en nous rappelant «que la vigilance est de mise tous les jours de l’année». Peu de temps après, le centre de crise du ministère de l’Intérieur et le Premier ministre annoncent que «le phénomène du terrorisme faisait partie de l’actualité quotidienne dans le monde et que le risque s’avère désormais réel en Belgique». Pour accréditer cette thèse, quatorze perquisitions ont lieu le même jour dans les «réseaux islamistes», afin, nous dit-on, de faire déjouer un projet d’évasion de Nizar Trabelsi au moyen d’explosifs et d’armes. Car, il est évident, nous dit le parquet fédéral, «que si ce groupe pouvait utiliser des explosifs et des armes pour assurer l’évasion d’un détenu d’une prison belge, il n’était pas exclu que ces moyens soient utilisés à d’autre fins». Voilà donc la menace incarnée à travers une figure et un réseau. Nizar Trabelsi ancien joueur de football a été condamné en 2003 à dix ans de prison pour avoir préparé un attentat contre la base militaire belgo- américaine de Kleine-Brogel. Il est depuis lors en «régime de sécurité particulier individuelle» qui implique notamment placement en cellule d’isolement, contrôle des correspondances, privation du téléphone…. Pourtant, nous dit-on, cette histoire repose sur des échanges téléphoniques entre Trabelsi et des personnes extérieures. Et comme si cela ne suffisait pas, un journal belge nous raconte, que les autorités judicaires auraient reçu l’alerte des État-Unis : «Plusieurs blogs auraient été créés sur Internet en relation avec ce plan d’évasion». Quant à ce fameux réseau de quatorze personnes arrêtées lors des perquisitions, elles ont toutes été relâchées quelques heures après… Pour ce qui est de Trabelsi, il déclara deux jours plus tard: «Il ne me reste plus que quatre ans de prison je n’ai pas l’intention de m’évader». Selon son avocat, «chaque fois que le régime carcéral de Nizar Trabelsi peut s’assouplir, on invente une histoire pour l’empêcher». D’autres avancent l’idée que le «coup» a été lancé par un secteur de la police fédérale pour faire pression sur les pouvoirs politiques afin d’augmenter leurs moyens. Quel que soit le fin fond de cette histoire, elle prolonge le délire paranoïaque qui a saisi la planète après le 11 septembre 2001. Dans cette affaire, la paranoïa représente une réelle difficulté car elle s’agence avec un régime de pouvoir et une caisse de résonance médiatique pour propager son délire dans tout le corps social. Mais quels en sont les effets sur nos sentiments ? Car ce délire de l’étrangeté (un barbu, une fille voilée, un comportement bizarre, un sac qui traîne, une bouteille d’eau…) présenté comme menace ne se résume pas à une idéologie au service d’un renforcement de l’ordre établi. Il fonctionne aussi parce qu’il trouve à se nicher dans les/nos peurs et angoisses ou plus activement les suscite, les crée. Résister à cette déferlante n’est donc pas seulement une affaire de critique, de dénonciation, il s’agit également, dans nos relations, nos amours, nos projets, de penser et cultiver une étrangeté… pas trop paranoïaque.