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[Pérou] Quand les artisans participent au développement de leur pays

Le consortium textile Flores del Ande est né au Préou en 2009, à l’initiative de femmes ambitieuses de la province de Huanta, dans le département d’Ayacucho. Le marché artisanal contemporain exigeait plus de compétitivité. Les artisans de Huanta se sont alors regroupés pour améliorer leur offre. Portraits croisés de six artisans porteurs d’espoir.

Huanta, dans le département andin d’Ayacucho, fait partie des lieux où se développe actuellement l’artisanat textile péruvien. Dans la petite ville d’à peine 19 000 habitants, cette activité avait été laissée de côté pendant ’époque des violences politiques Conflit entre l’armée péruvienne et le Sentier lumineux dans les années 1980-… Mais depuis 1997, l’artisanat y revit petit à petit. Il y a six ans, chaque association de textile travaillait de son côté. Depuis 2009, six associations forment le consortium Flores del Ande. « Avec Llankay Ninchik, mon association, nous avons débuté en 2004 dans le cadre du Programme intégral de lutte contre la violence familiale et sexuelle (PILVFS) de la CTB (l’Agence belge de développement, NDLR), se souvient Ruth. Les travailleurs du PILVFS ont semé les graines dans cet atelier et m’ont donné l’opportunité de croire en moi. Grâce à eux, de nombreuses femmes au foyer, qui n’avaient pas beaucoup d’opportunités d’emploi, ont commencé à travailler ». De son côté, Rosa raconte qu’à cause des violences politiques elle a migré avec d’autres femmes de sa communauté vers Huanta, où elles se sont organisées, créant l’association Wiñay Aclla. Oscar, quant à lui, est tombé amoureux de Huanta, sa population et ses coutumes en 1996. Originaire d’une famille d’artisans d’Ayacucho, ville principale du département, il y a également formé son association Allpanchik. « Lorsque nous avons constitué le onsortium, se souvient Oscar, nous étions beaucoup d’artisans à Huanta. Nous associer pour travailler ensemble était une bonne idée. » Depuis plus d’une année, ces associations s’organisent entre elles, tout en conservant chacune leur propre style.

D’activité complémentaire à métier reconnu

Flores del Ande travaille au quotidien avec plus de 120 artisans – majoritairement des femmes – qui tissent et brodent des sacs, des portefeuilles, des ceintures et d’autres accessoires, autant de produits qui font la particularité du style régional. Les six associations essayent de travailler prioritairement avec des femmes dans la nécessité (mères célibataires ou de familles plus défavorisées) afin qu’elles puissent apporter un petit revenu chez elle. « Au quotidien, explique Ruth, nous sommes avant tout femmes au foyer. On vient chercher du travail à l’atelier quand on en a le temps ou le besoin. » L’artisanat du textile est une activité complémentaire pour la majorité de ces femmes qui, à côté de cela, doivent élever leurs enfants, s’occuper de la maison ou encore des récoltes.

Dans la région d’Ayacucho, nombreux sont les intermédiaires qui exploitent encore les artisans ; il suffit d’observer combien vivent encore dans des conditions d’extrême pauvreté.

Mais cette tendance évolue peu à peu depuis l’adoption par l’État péruvien, en 2007, de la loi de l’artisan et du développement de l’activité artisanale. L’objectif de cette loi est de transformer l’activité artisanale en un « secteur décentralisé, économiquement viable et générateur d’emplois durables ». Elle devrait donner aux artisans l’accès à des financements privés pour améliorer leur productivité, compétitivité, rentabilité et gestion du marché. La publication de cette loi s’est accompagnée de la création d’un Conseil national pour le développement artisanal au sein du ministère péruvien du Commerce extérieur et du Tourisme, mais aussi de la naissance d’un certificat de droits d’auteur, évitant ainsi toute copie de pièces originales créées par les artisans eux-mêmes. « L’artisanat est aujourd’hui reconnu comme un métier. Avant, il était plutôt considéré comme une activité pour la survie des plus pauvres, raconte Oscar. Cette loi est importante pour nous, car nous faisons à présent partie de la société : nous sommes écoutés et pouvons collaborer au développement de notre pays ». Pour Doris, par ailleurs formatrice en broderie dans diverses communes d’Ayacucho, cette loi est tout aussi importante : « Un artiste populaire doit pouvoir se sentir professionnel, et ainsi enseigner ses capacités à d’autres. » « Depuis tout petit, mes parents, eux-mêmes artisans, m’ont toujours dit que je devais me diriger vers d’autres domaines. J’ai alors fait des études d’ingénieur civil, révèle Oscar. Mais l’artisanat est ma passion et me permet d’être plus proche de ma famille. Ce que j’ai appris enfant, je l’ai amélioré et aujourd’hui c’est l’artisanat qui entretient ma famille. » Pour Flores del Ande, Oscar développe de nouvelles techniques de teinture naturelle de leurs matières premières (laine de mouton, fibre d’alpaca, coton). « Huanta est riche en plantes et en racines. Notre défi est maintenant de trouver un client intéressé par ces teintures naturelles… »

Des petits artisans qui grandissent

Ces six entrepreneurs de Huanta sont positifs pour leur futur. « À nos débuts, les clients avaient des difficultés à percevoir chez nous une certaine sécurité, raconte Ruth. Ils voulaient toujours passer par un intermédiaire. À l’avenir, nous voulons rompre avec cela et traiter directement avec eux. » Dans la région d’Ayacucho, nombreux sont les intermédiaires qui exploitent encore les artisans ; il suffit d’observer combien vivent encore dans des conditions d’extrême pauvreté. « La CTB nous oriente et nous offre des formations (contrôle de la qualité, développement économique, gestion du marché), ajoute Ruth. Cet appui nous permet d’aller de l’avant dans la qualité de nos produits. » Grâce à Flores del Ande, de petits artisans peuvent à présent exposer leur artisanat lors de grandes foires internationales à Lima, telles le Perú Gift Show ou encore le Perú Moda. Ces événements sont des tremplins pour atteindre les marchés local, national et international, car ils permettent d’améliorer la gestion entrepreneuriale mais aussi le design des produits. Et donc d’être plus compétitifs. « Avec la CTB, poursuit Yovana, nous apprenons les tendances, les couleurs, le design. Mais nous devons y investir plus d’effort encore. » Flores del Ande projette d’ouvrir au public un atelier d’artisanat expérimental à Huanta, et de sortir de l’ombre leur travail quotidien. « Malheureusement, la jeunesse actuelle ne parie pas sur l’artisanat, constate Oscar. La modernité (avec Internet) a frappé à notre porte et cela ne les intéresse plus. Ce centre pilote promotionnera notre travail, et permettra de montrer aux jeunes que l’artisanat a un futur entrepreneurial. » Oscar espère de tout cœur que ses enfants lui emboîteront le pas. !