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Pour une écologie politique de gauche

Avouons-le : la lecture de l’édito des métallos de la FGTB sur le capitalisme vert a quelque chose de jubilatoire. Enfin, certains osent briser cette nouvelle pensée unique, un peu courte et un peu plate, selon laquelle il suffirait de changer de produits pour ne rien changer à nos modes de production et de consommation.

Raoul Vaneigem, toujours en avance d’une guerre, dans son dernier ouvrage.Entre le deuil du monde et la joie de vivre, Verticales-phase 2, 2008 , avait commencé à sonner la charge. Les défenseurs de la décroissance, dont le discours a le mérite d’être totalement anticapitaliste, vont dans le même sens (et ceci rassure Henri Goldman qui, sinon, aurait pu penser que les métallos de la FGTB, comme les électeurs socialistes dans l’analyse qu’il a livrée récemment «Pourquoi le PS résiste», La Libre Belgique, 16/12/2009, .http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/549643/pourquoi-le-ps-resiste.html (NDLR).., sont culturellement surdéterminés par la présence dans leur paysage mental des terrils, châssis à molette et autres hauts fourneaux à l’arrêt). Rappelons donc quelques évidences. 1) L’écologie n’est pas en soi une politique mais au mieux une science, imparfaite comme toute science, dont le politique peut s’approprier quelques-uns des résultats. Il y a dès lors une écologie politique de droite, qui laisse l’initiative à l’innovation technologique (lourdement subventionnée), au lancement de nouveaux produits et à la création de nouveaux besoins suscités par un marketing vert, à l’initiative volontaire et à la conversion des esprits avancés. Et il y a une écologie politique de gauche qui se reconnaît dans les textes fondateurs de Hans Jonas et d’André Gorz et qui se fonde pour le dire en quelques mots sur une critique radicale du productivisme et du consumérisme. La seule écologie politique à laquelle les socialistes puissent se raccrocher est évidemment celle-là, et quelques excellents exégètes ont pu en trouver les racines dans la théorie marxienne de la réification et de l’aliénation. 2) Partant de ce point de vue doctrinal, et se projetant dans un horizon politique qui ne peut être qu’anticapitaliste, quelle pratique réformiste est concevable dans le court et moyen terme ? On peut retourner la question dans tous les sens, on retombera sur la même conclusion : la même, en substance, que celle qui s’est appliquée aux autres formes de capitalisme depuis les débuts de la social-démocratie. Reconnaître, en d’autres termes, que l’autorité publique a un rôle majeur à jouer dans la délimitation et l’encadrement du marché. Que la régulation du capitalisme vert passera, comme celle du capitalisme gris, par des politiques industrielles volontaristes, des investissements publics massifs, une politique de recherche et développement qui n’est pas laissée aux seules mains du secteur privé (en particulier si on veut aborder la question cruciale de la propriété intellectuelle), une vaste politique d’emploi et de formation, une politique de protection du consommateur qui ne se limite pas à l’éducation, aux labels et à l’étiquetage mais qui énonce des normes contraignantes de retrait du marché des produits nocifs, en termes sanitaires ou environnementaux…

S’orienter vers une économie « bas carbone », c’est condamner des secteurs entiers au pire à la fermeture, au mieux à une reconversion forcée.

3) Le capitalisme vert laisse entière la question sociale. Renforcer les normes d’isolation et les soutiens publics à la rénovation des bâtiments, pour ne prendre qu’un exemple, ne changera, en soi, absolument rien à la question cruciale des conditions de travail, du temps de travail, et des rémunérations directes et indirectes, présentes et différées. Dans un capitalisme vert, la question du droit à l’emploi, de la gestion des temps sociaux, de la redistribution des richesses et de l’emploi décent reste entière. 4) Le passage au capitalisme vert pose les mêmes questions que toute autre transition industrielle majeure. S’orienter vers une économie « bas carbone », c’est condamner des secteurs entiers au pire à la fermeture, au mieux à une reconversion forcée. Et si l’on veut éviter la destruction massive d’emplois dans nos régions, ceci suppose d’oser aborder des débats très libéraux comme ceux de la taxe carbone aux frontières à imposer aux pays qui ne prennent pas d’engagements dans la lutte contre le réchauffement climatique, du protectionnisme intelligent que l’on peut concevoir en normalisant davantage les produits mis sur nos marchés, et bien sûr de l’indispensable politique sociale européenne massive qu’il faudra conduire pour accompagner ces transitions. 5) Dans ce débat crucial, écologistes et socialistes ont le choix entre deux attitudes. La première est celle d’une confrontation qui est dans le fond plus sociologique qu’idéologique entre d’affreux productivistes qui seraient incapables de s’arracher à un imaginaire de la société industrielle et de l’État social, et de gentils « bobos » enfermés dans la bonne conscience d’un capitalisme un peu moins méchant que le précédent. L’autre choix est celui de la confrontation idéologique utile, qui ne peut être fondée que sur la conscience d’un noyau anticapitaliste et anticonsumériste commun, sur l’abandon d’une posture de « je l’avais bien dit » et sur la redécouverte d’une nouvelle critique du capitalisme adapté à une société qui est largement prête à entendre que l’on peut être plus heureux en travaillant moins et mieux, en consommant moins et mieux, en privilégiant dans toutes les formes de la vie sociale la convivialité et l’action collective. En ces temps de crise idéologique patente du capitalisme financier, les forces de gauche ont une occasion unique à ne pas manquer de reconstruire une nouvelle hégémonie, comme aurait dit Gramsci, aussi solide et aussi déterminante que celle que le keynésianisme populaire a permis de diffuser pendant 30 ans et qui a été la plus fantastique machine à réduire les inégalités que l’humanité ait connue depuis la fin du XVIIIe siècle. Sans perdre de vue cette différence de taille : nous ne vivons plus au temps de la décolonisation tranquille et de l’impérialisme doux, mais dans un monde multipolaire où les Européens ne pourront s’en sortir que s’ils parviennent à construire des alliances vitales avec ces pays dits émergents qui rêvent tant de produire et de consommer sans entraves.