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Présentation : Une « jeunesse dépolitisée », vraiment ?

Porté·es aux nues par l’engagement climatique d’une partie de la jeunesse belge en 2019, les jeunes sont bien vite redevenu·es l’objet de critiques portant sur leurs supposés désengagement, désenchantement et égoïsme générationnel, des critiques notamment entendues tout au long des premières vagues de la pandémie de coronavirus. Ce stéréotype a la vie dure. Les recherches sociologiques contredisent pourtant cette vision. D’abord, ce désengagement et cette crise de confiance ne sont pas l’apanage des jeunes. De même, il n’y a pas une seule « jeunesse dépolitisée », la catégorie faisant parfois l’objet d’une instrumentalisation. En effet, qu’ont en commun un adolescent du Brabant wallon et une adolescente du centre de Bruxelles ? La catégorie socio-démographique est plurielle, nous ne parlerons donc pas dans ce dossier de « jeunesse » mais bien « des jeunes » (en-dessous de 30 ans) dans leur diversité. Car définir qui est jeune et qui ne l’est pas est aussi une question politique.

Les manifestations des jeunes en faveur du climat font écho aux plus anciennes mobilisations des jeunes dans les années 90 en faveur de l’enseignement, un terrain d’action moins global mais plus traditionnel de l’engagement politique des jeunes. Cette nouvelle thématique d’engagement donne-t-elle lieu à de nouveaux modes d’action ? Quelles sont les tensions à l’œuvre dans ce potentiel renouvellement des mobilisations (manifestations contre désobéissance…) ? Quel est l’impact des réseaux sociaux ? Quels sont les espaces de politisation propres à notre époque ? Y a-t-il une spécificité belge ? Si les « jeunes » sont pluriel·les, leurs formes de politisation le sont également. Tout comme nous parlons des jeunes, nous parlons des politisations tout au long de notre dossier.

Un dossier qui invite donc à redéfinir la politique et le rapport à la politique, à mettre en lumière les formes de politisation plus quotidiennes et invisibles, voire invisibilisées. Nous investiguons une diversité d’espaces de politisation, au-delà des traditionnels indicateurs que sont la participation électorale et l’adhésion à un parti ou syndicat. Et nous nous opposons clairement aux divisions entre générations et aux discours généralisants sur cette catégorie de la population.

À ce sujet, la plupart des récits médiatiques ne sont pas des plus efficaces. D’abord parce que les jeunes reçoivent peu la parole dans les médias. Une étude de l’Association des journalistes professionnels (AJP) sur la presse quotidienne concluait en 2015 que les jeunes apparaissent peu dans l’information nationale, avec 17,73 % de présence[1.AJP, « Étude de l’image et de la représentation des jeunes dans la presse quotidienne francophone », 2015.]. Les adolescent·es de 13-18 ans sont parmi les catégories les moins présentes dans la presse. Ils et elles ont pourtant des choses à nous raconter. Ensuite, les représentations médiatiques ne manquent pas de clichés et les articles sont plus souvent connotés négativement quand ils parlent des jeunes.

Pour Politique, il s’agissait néanmoins d’une gageure : comment ne pas parler à la place des jeunes, alors même que nos contributeurs et contributrices ne le sont pas dans leur grande majorité ? Comment intégrer tou·tes les jeunes et pas uniquement les plus visibilisé·es, celles et ceux qui possèdent un plus grand capital social (les étudiant·es par exemple) ? Il a fallu essayer de sortir des sentiers battus pour donner à lire des opinions et analyses depuis divers endroits de la société.


Nous entamons ce dossier par un entretien avec Anne Muxel dont l’expertise en matière de politisations des jeunes met en lumière les spécificités de leurs réflexions et modes d’action.

Engagements traditionnels

Un des premiers engagements politiques tient, d’abord, dans la mobilisation contre la précarité étudiante, un enjeu introduit par Lucas Van Molle de la Fédération des étudiant·es francophones (Fef) qui revient sur l’impact des confinements liés au covid-19. Parole est ensuite donnée aux différentes jeunesses représentées, pour évoquer leurs visions. Thibault Scohier souligne les difficultés rencontrées par la représentation étudiante en Fédération Wallonie-Bruxelles. Pour conclure, Alexis Molinier résume l’expérience de Civix, une ASBL créée pour renouer les liens entre les jeunes et la politique.

Mobilisations climatiques

Impossible d’évoquer ce qui politise les jeunes sans s’intéresser à la question climatique qui les a récemment mobilisé·es autour de l’activiste Greta Thunberg. Dans un entretien, Francis Dupuis-Déri analyse les grèves scolaires pour le climat en Belgique et dans le monde. Nicolas Van Nuffel, quant à lui, présente la Coalition Climat, ses objectifs et ses limites, dans un texte auquel réagit Bilal Chair, un jeune de 21 ans actif dans les maisons de jeunes bruxelloises. Enfin, Louise Knops explique la place que prennent les émotions dans cette mobilisation.

Politisation invisible

Il est également des politisations invisibles – voire invisibilisées. Heidi Mercenier est allée à la rencontre de jeunes bruxellois·es pour mieux cerner leur rapport à la politique et à l’Europe. Dans un entretien, Coline Hendricx du Comité des élèves francophones (Cef) souligne un certain rôle de l’école dans la (dé)politisation des jeunes, par rapport au mouvement féministe #14septembre. Les jeunes ont-ils et elles été égoïstes pendant la crise sanitaire ? Chloé Allen, Muriel Sacco et Olivier Servais répondent à cette question depuis leur expertise, en sortant des sentiers mille fois rebattus. Enfin, le témoignage de Nabil Sheikh Hassan, pour le web media Tout va bien, éclaire l’usage des formats vidéo ancrés dans l’expérience quotidienne.

Ce dossier a été coordonné par Vaïa Demertzis, Brieuc Wathelet et Camille Wernaers.