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Présidence belge : un air de déjà vu… en moins bien

Quand on compare la situation politique intérieure de la Belgique et les thématiques et enjeux européens de 2001 (dernière présidence belge de l’union européenne) avec ceux de 2010, on constate une situation quasi identique. En clair, l’Europe piétine, presque 10 ans ont été perdu…

Après avoir été le premier pays à assumer la présidence tournante de l’Union européenne en 1958, la Belgique renouera pour la 12e fois avec ce rôle au cours du deuxième semestre de cette année. S’il revient à la présidence de fixer l’agenda des réunions en fonction de cela, de mettre l’accent sur certains sujets et d’en enterrer d’autres, elle ne fait pas pour autant ce qu’elle veut car elle ne peut ancrer ses priorités durablement que si celles-ci sont en phase avec les projets communs et l’actualité. Nous reviendrons ici sur la précédente présidence en 2001 afin d’en évaluer l’héritage et ferons le lien avec celle de 2010 Ce texte n’entend pas présenter de manière exhaustive le programme belge, d’autant que celui-ci n’était pas achevé au moment de la rédaction de cet article. Celui-ci s’appuie sur le programme du trio, les annonces des Ministres et les intentions de la Commission. Le passage en revue des grands chantiers révèlera que, malgré les neuf années qui se sont écoulées depuis la dernière présidence, les mêmes questions taraudent toujours les dirigeants et alors que la logique voudrait que les réflexions portent des fruits concrets, demeure un sentiment de tâtonnement, voire de recul à maints égards.

Marges de manœuvre

Si le statut de présidence s’accompagne de grands honneurs et d’une attention médiatique accrue, les marges de manœuvre dont elle dispose doivent être relativisées. Ceci est encore plus vrai depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne fin 2009 qui garantit davantage de cohérence et de suivi de l’action politique en organisant les présidences en trio de pays : trois pays qui se succèdent dans l’ordre d’occupation ce poste se mettent au préalable d’accord sur les priorités qu’ils poursuivront. Ainsi, pour la Belgique et dans le cadre du document qu’elle partage avec l’Espagne et la Hongrie, ses deux partenaires du trio, un premier jet a été remis à la Commission à l’été 2009. De pas son droit d’initiative qui lui est propre, la Commission jouit d’un droit de regard (voire veto) sur le programme de travail de chaque présidence. Cela l’a donc amené à biffer la référence à la consolidation des services publics car elle ne partageait pas cette préoccupation et que rien n’était à attendre de sa part dans ce domaine avant un bon moment!.La Commission Barroso II nommée en février a présenté son .programme de travail pour 2010 fin mars… Cela explique que finalement, seule une poignée de dossiers nouveaux impulsés par la Présidence voient le jour.

En 2010, la Belgique se concentrera sur la concrétisation de certaines des innovations de ce Traité comme la mise en place d’une sorte de «ministère européen» des affaires étrangères ou d’un droit de pétition plus affirmé (droit d’initiative populaire).

Il convient également de souligner que les processus européens se déroulent sur un temps relativement long : aucune présidence n’est en mesure d’entamer un nouveau chantier et de le clôturer dans les six mois impartis. Cela signifie que l’essentiel des dossiers qui l’occuperont sont déjà en cours de route : il s’agira alors dans le meilleur des cas de les conclure mais généralement, le travail consistera à les faire progresser, voire à les débloquer.

Repenser le monde

En 2001, la Belgique était aux commandes lorsqu’éclata une grave crise, un traumatisme qui marquera le Monde et d’après certains historiens, le début du XXIe siècle: les attentats du 11 septembre sur les tours jumelles à New York et deux symboles forts du capitalisme. Cet événement ramena à l’avant-plan un questionnement sur le rôle de chaque pays dans les affaires du monde (isolationnisme/multipartisme, monde unipolaire/multipolaire) sur fond de «choc des civilisations». On voit ainsi à quel point l’actualité et l’urgence d’y répondre peuvent chambouler un programme apparemment bien huilé. La crise qui se joue aujourd’hui se déroule sur le terrain social après avoir déferlé sur l’économie et la finance mondiales. 2010, année européenne de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale sera marquée par le retour du taux de chômage européen au-dessus de la barre des 10%, un niveau qui n’avait plus été observé depuis 12 ans. Les Etats-Unis qui fascinaient autrefois par leur plein emploi ne sont pas dans un meilleur état que le Vieux Continent. A nouveau, se pose la question de la gouvernance mondiale comme en atteste la quasi-institutionnalisation du G20, la réforme des institutions de Bretton Woods pour donner plus de voix aux pays émergents, au premier rang desquels la Chine fait office de moteur de l’économie mondiale, ce que personne n’aurait imaginé au début de la décennie.

Réformes institutionnelles

Déjà en 1993, la présidence belge avait permis de remettre l’Europe sur ses rails, après les difficultés qui avaient suivi le Traité de Maastricht. 2001 offrait une nouvelle fois à notre pays l’occasion d’impulser une nouvelle dynamique de réflexion lorsque la Belgique reçut mandat des États membres de rédiger un document qui allait devenir la Déclaration de Laeken. Ce texte devait susciter le débat sur les modifications à apporter à l’architecture institutionnelle de l’Union dans l’optique du grand élargissement de 2004 mais aussi des lacunes persistantes sur les plans de la démocratie, de la transparence, de la légitimité et de la prise de décision. Rédigée par Guy Verhofstadt, la Déclaration envisageait plus d’une cinquantaine d’interrogations et n’excluait pas de déborder de ce cadre. Elle fut aussi à l’origine de la Convention sur le futur de l’Europe (2002-2004) présidée par Valéry Giscard d’Estaing qui aboutirait au projet de Traité constitutionnel et enfin au Traité de Lisbonne. En 2010, la Belgique se concentrera sur la concrétisation de certaines des innovations de ce Traité comme la mise en place d’une sorte de «ministère européen» des affaires étrangères ou d’un droit de pétition plus affirmé (droit d’initiative populaire). Étant donné que l’UE s’est vue assigner de nouvelles compétences comme en matière spatiale, celles-ci apparaîtront plus clairement. Bref, le semestre sera une période de transition et d’acclimatation à de nouvelles «règles du jeu».

Europe sociale

L’une des fiertés des ministres socialistes de l’Emploi, Laurette Onkelinx et de la Santé, Franck Vandenbroucke, avait été de redorer le blason de l’Europe sociale. Dans un contexte encore marqué par une Europe majoritairement à gauche, ils mirent leurs partenaires d’accord sur un ensemble d’indicateurs permettant de cerner la qualité de l’emploi afin que l’on ne réduise plus le débat sur l’emploi à la seule création d’emplois quelle que soit leur nature (emplois précaires). Complémentairement, 18 indicateurs mesurant la pauvreté et l’exclusion sociale furent adoptés. Ils parvinrent aussi à imposer une conception des pensions selon laquelle leur viabilité doit être considérée comme un enjeu social avec des aspects financiers – et non l’inverse – dans le cadre d’une nouvelle procédure de convergence, appelée «méthode ouverte de coordination». Ces indicateurs qui devaient être le pendant du sacro-saint PIB disparurent vite des écrans radars européens parce que l’Europe rebascula à droite. Tout juste, Eurostat, l’organe de statistiques, publia encore une partie de ces données sur son site. Évidemment, à partir du moment où on se privait de la possibilité de mesurer ces dimensions, on sortait de l’agenda politique les domaines auxquels ils se rapportaient. Exit donc la qualité de l’emploi alors qu’il s’agissait de l’un des grands sujets de la Stratégie socio-économique de Lisbonne arrêtée peu de temps auparavant, en 2000!

Bien que l’OMC reconnaisse depuis peu la compatibilité de la taxe CO2 avec les règles du commerce international, l’UE refuse d’entamer le débat par crainte d’être taxée de protectionniste.

Les indicateurs sur la qualité de l’emploi s’effacèrent donc pour mieux laisser la place aux indicateurs de flexicurité. Ce néologisme contracte les préoccupations pour la flexibilité du marché du travail et la sécurité des travailleurs (et non des emplois). Des principes communs avaient été agréés en 2007 mais jusqu’ici, il n’existait pas d’indicateurs permettant de bien comprendre le phénomène et ce concept qui se voulait équilibré a surtout mis l’accent sur les deux premières syllabes. Dans une communication de 2003 de la Commission, la flexicurité était considérée comme l’une des dix dimensions définissant la qualité des emplois. C’est dire le rétrécissement du débat ! Quant aux pensions, le défi démographique se faisant de plus en plus sentir (la force de travail déclinerait aux alentours de 2013) et les difficultés budgétaires ayant été exacerbées par la crise, un Livre vert sur les pensions (tiens, tiens !) sera publié par la Commission afin de préparer les discussions qui se tiendront entre les Vingt-Sept durant la présidence belge. Sur le plan législatif, la présidence traitera des directives relatives au congé de maternité des travailleurs et des femmes indépendantes. Il est également probable que, quatre ans après que la Finlande ait jeté le gant sur le temps de travail, cette discussion revienne sur le tapis. Il en ira de même pour la difficile question du détachement des travailleurs. En 2001, la Belgique avait dégagé un accord sur la directive protégeant les travailleurs en cas d’insolvabilité des employeurs et la directive Renault (baptisée ainsi suite à la fermeture du constructeur automobile à Vilvorde) sur les restructurations transnationales et les obligations en matière d’information et consultation des travailleurs. Une évaluation à mi-parcours de la stratégie 2007-2012 sur la santé et sécurité sur le lieu de travail sera réalisée par la Commission européenne. La présidence belge lancera la discussion sur la nouvelle stratégie sur l’égalité entre les hommes et les femmes pour la période 2011-2015. Le thème émergent des emplois verts sera mis à l’honneur ; la présidence cherchant à atteindre un accord sur une définition univoque de ce que l’on entend par-là ainsi que des indicateurs permettant de les circonscrire. Ainsi, la Belgique persiste à faire adopter des indicateurs en dépit de ces échecs répétés en la matière ! D’ailleurs, en ce qui concerne les indicateurs de 2001 liés à l’exclusion sociale, à nouveau, force est également de constater que rien n’a progressé car le Conseil européen qui a adopté en mars dernier une série d’objectifs stratégiques à mener d’ici 2020 a laissé de côté celui sur l’inclusion sociale au motif que, techniquement, les travaux n’étaient pas aboutis, ce dont on a peine à croire vu qu’une batterie d’entre eux existent depuis 2001! Plus fondamentalement, le report peut s’expliquer par les réticences de certains pays à voir l’UE empiéter sur cette compétence nationale. Enfin, la présidence mettra à l’agenda la lutte contre la pauvreté (en particulier infantile) et le sans-abrisme.

Gouvernement économique

Déjà présent aux commandes en 2001, Didier Reynders, le doyen des ministres de l’Eurogroupe après Jean-Claude Juncker, avait affiché sa volonté de renforcer la coopération entre les Etats membres en matière de politiques économiques, en particulier entre les 12 pays faisant partie de la zone euro et en totalise désormais 16. Depuis lors, la zone euro a absorbé quatre nouveaux pays. La crise a également mis en évidence le fait que la rhétorique de la décennie écoulée était restée une coquille vide car le Conseil européen de mars 2010 a demandé qu’un groupe d’experts communique au plus tard des propositions afin d’améliorer le fonctionnement de la zone euro et de progresser vers l’instauration d’un gouvernement économique. Le gouvernement s’était également exprimé en faveur d’un impôt européen sur l’énergie qui n’avait finalement pas vu le jour. Cependant, un accord sur une directive dite «de structure» sur la taxation de l’énergie était intervenu durant ce semestre. Le gouvernement s’était également engagé à travailler à un «transfert d’une fiscalité sur le travail vers une fiscalité qui poursuit .les objectifs en matière de développement durable qui ont été conclu sur le plan international et de réduction de taxes sur le travail. vers une fiscalité qui poursuit ces objectifs comme par exemple un prélèvement sur le CO2-énergie». Ces deux derniers projets n’ont jamais abouti malgré l’adoption du paquet Energie-Climat (en 2007) et le consensus qui s’est fait jour en la matière. Et bien que l’OMC reconnaisse depuis peu la compatibilité de la taxe CO2 avec les règles du commerce international, l’UE refuse d’entamer le débat par crainte d’être taxée de protectionniste.

Développement durable

Outre les indicateurs mentionnés plus haut, le Conseil européen de Laeken adopta des indicateurs environnementaux qui devaient permettre d’évaluer la Stratégie de développement durable lancée quelques mois auparavant. Serez-vous étonné d’apprendre que ces indicateurs ont subi le même sort que les autres ? L’autre grand rendez-vous international où la Belgique – plus précisément Olivier Deleuze, sous-secrétaire d’État à l’énergie – mena en juillet la délégation européenne fut la Conférence de Bonn sur les changements climatiques. Celle-ci devait préparer l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto. Quelques mois plus tard, la Conférence de Marrakech lui succédait et la complétait en traduisant en termes juridiques de l’accord politique difficilement obtenu à Bonn. L’Europe parvint à ce résultat en jouant la carte de la conciliation entre des points de vue divergents, voire opposés et en évitant de trop larges concessions qui auraient vidé le protocole de sa substance. En cela, elle s’est affirmée à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique.

Ce mouchoir territorial qu’est l’arrondissement de Bruxelles-Halle-Vilvorde a des répercussions qui dépassent le Royaume car l’ébranlement de la Belgique, qui est considérée comme le laboratoire de l’Europe, est un mauvais signal (…)

Neuf ans plus tard, les négociations sur le climat reviennent comme une balle de jokari: il faut cette fois donner un petit frère à Kyoto et définir les objectifs de l’après-2012. La situation a changé car les États-Unis semblent vouloir s’engager de manière plus ferme et de son côté, l’UE s’est assigné des objectifs dans le cadre du paquet énergie/climat. Le véritable enjeu sera d’élargir le protocole aux pays émergents qui sont à la base de la croissance des émissions de gaz à effet de serre (Chine en tête), tout en débloquant des fonds pour financer les mesures qui accompagneront le mouvement et en organisant le transfert des technologies éco-efficaces. Après l’échec du Sommet de Copenhague à la fin 2009 où l’UE s’est retrouvée évincée de la négociation de la déclaration finale par le couple sino-américain autour duquel gravitaient quelques pays, la conférence internationale se poursuivra à Cancun où, à nouveau, la Belgique représentera l’UE. Elle devra au préalable garantir une unicité de vues et veiller à ce que les engagements pris par les uns et les autres permettent de ramener la hausse attendue des températures à maximum 2°C. La présidence belge aura également la responsabilité de mener à bien un plan d’action énergie 2010-2014. Ce sera le deuxième du genre. L’un de ses composants sera le plan d’action sur l’efficacité énergétique qui est attendu au début de 2011 et dont une évaluation sera préalablement menée. La Commission pourrait également proposer la création d’un instrument de financement de l’énergie renouvelable ainsi qu’une communication sur le développement de nouvelles infrastructures énergétiques d’ici 2020 à 2030. Enfin, après avoir apporté 7,5 milliards d’euros au secteur automobile en 2009, les États membres qui ont mis la charrue avant les boeufs réfléchiront aux moyens de soutenir la production des véhicules propres…

L’Union handicapée

La mise en perspective de l’imminente présidence avec celle de 2001, y compris le contexte communautaire, donne l’impression d’un immense déjà vu. Les mêmes sujets reviennent sur le tapis , ce qui indique que l’Europe piétine et qu’un temps précieux a été perdu. Entre les deux présidences, l’Europe a considérablement changé : elle s’est ouverte à 12 pays majoritairement plus pauvres et au terme d’une pénible grossesse au cours de laquelle elle a frôlé une fausse couche (les référendums négatifs en France et aux Pays-Bas, le «non» irlandais et les réticences de la République tchèque), a accouché du Traité de Lisbonne. Son entrée en vigueur en décembre 2009 devait mettre un terme à la crise existentielle qui empêcha l’Europe de se concentrer sur des projets concrets et de regarder que le monde autour d’elle avait continué à évoluer. Contrairement à 2001, la Belgique n’a pu résister aux pulsions autodestructrices qui l’assaillent de manière intempestive. Ce mouchoir territorial qu’est l’arrondissement de Bruxelles-Halle-Vilvorde a des répercussions qui dépassent le Royaume car l’ébranlement de la Belgique, qui est considérée comme le laboratoire de l’Europe, est un mauvais signal alors que la solidarité européenne est régulièrement remise en question par les égoïsmes nationaux. Par ailleurs, il n’est pas sain qu’un gouvernement en affaires courantes et affaibli sur le plan intérieur porte la voix de l’UE dans des enceintes telles que le G20 ou la conférence de Cancun ou qu’elle porte la responsabilité de la mise en oeuvre de la gouvernance économique par exemple. On a vu avec la République tchèque dont le Sommet extraordinaire pour l’emploi a avorté en pleine crise gouvernementale ou avec la Suède au moment de la conférence sur le climat de Copenhague, à quel point une présidence faible pouvait handicaper l’Union dans son ensemble.