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Protection sociale, statut de l’artiste et la culture en prime !

Depuis qu’il existe, le statut de l’artiste fait l’unanimité contre lui. Excluant certains travailleurs culturels, il fait des autres une sous-catégorie mal protégée et assujettie à des droits éclatés. Décortiquant la réforme fédérale qui se profile, cet article revient sur ce qui constitue un véritable défi : revaloriser le travail culturel sans créer une loi sociale d’exception.

Cet article a paru dans le n°117 de Politique (septembre 2021).

Après des années de revendications pour une réelle protection sociale des artistes et techniciens de la culture, rendues plus urgentes par l’arrêt de la culture dans le contexte controversé de la crise sanitaire, le gouvernement fédéral s’engage en faveur des artistes et techniciens. Dans sa déclaration de politique gouvernementale, il annonce, fin septembre 2020, réformer le statut d’artiste et se dote d’un budget annuel de 75 millions d’euros.

Initialement prévu pour ce printemps 2021, le projet de réforme est finalement reporté pour la rentrée de septembre. Mais les consultations, auditions et groupes de travail informels permettent cependant de prédire le scénario. Cette réforme ne révolutionnera pas les conditions actuelles de la protection sociale des artistes et techniciens. Elle améliorera positivement la protection sociale des artistes mais, victoire à la Pyrrhus, entérinera l’abandon d’un réel statut adapté à leurs besoins.

« Working in the Arts »

À l’initiative des ministres de l’Économie et du Travail Pierre-Yves Dermagne (PS) et des Affaires sociales Frank Vandenbroucke (Vooruit, ex-SP.A), des groupes de travail techniques, composés de représentants des secteurs culturels, des administrations et des experts, se sont réunis. Les interlocuteurs sociaux n’ont pas été associés à ces travaux. Ils le seront dans les cadres formels existants par le biais d’un avis du Conseil national du travail (CNT) et du comité de gestion de l’Onem (gestion paritaire).

Ces travaux ont abouti à un rapport dont l’objectif attendu est « une modernisation de la protection sociale qui améliore le “statut d’artiste” existant en fournissant : des règles de sécurité sociale mieux adaptées à la situation et aux besoins du travailleur culturel ; Un renforcement de la pratique artistique ; La solidarité avec et au sein du secteur ». Le gouvernement avait invité les groupes de travail à « élaborer des propositions qui répondent aux besoins des travailleurs culturels à tous les stades de leur carrière artistique et technique et à toutes les étapes du processus de création et d’interprétation », précisant qu’il « est nécessaire d’adopter une approche coordonnée de la protection sociale des travailleurs culturels concernés[1.Working in the Arts (gouvernement belge), Projet de proposition de réforme groupe de travail technique, printemps 2021.]».

Ce rapport traite uniquement de l’amélioration de la commission artistes et de l’amélioration du statut d’artiste sous la forme de l’aménagement des règles existantes en matière de droit au chômage. Le rapport confirme également un débat initié sur une réforme du régime des petites indemnités (RPI). Le RPI est un véritable fléau, utilisé de manière trop importante et dévoyant son objectif premier qui était de soutenir l’art amateur. Il est depuis un outil de précarisation utilisé par les opérateurs supposés soutenir les artistes, eux-mêmes subsidiés par la Fédération Wallonie-Bruxelles, ou pour des opérateurs marchands se souciant peu de respecter une tension salariale décente. Une petite note complémentaire au rapport sur le statut réduit l’ambition gouvernementale à une adaptation du régime RPI aux applications électroniques, sûrement utile pour le contrôle, mais sans attaquer de front cet outil de précarisation du travail culturel.

Pour ceux qui espéraient une révolution, fort du débat amplifié en septembre 2020 par la proposition du MR[2.C. De Salle – Centre Jean Gol – MR, « Libérons la création artistique », septembre 2020. Le projet va jusqu’à envisager un revenu de base octroyé par une administration nouvelle, fédérale, pour les artistes, en dehors du cadre de la sécurité sociale et du ministère de l’Emploi.], l’atterrissage sera difficile. Pire encore, les mesures temporaires prises dans le cadre de la crise sanitaire ne semblent pas avoir servi de base de discussion, si ce n’est un élément récent et très important, portant sur le montant de l’allocation perçue. Et on ne voit rien venir sur les enjeux du financement de la protection sociale des artistes ni sur les mécanismes de solidarité à développer ou à créer au sein des – et entre – secteurs culturels. Quant au renforcement de la pratique artistique, rien à se mettre sous la dent, sauf si l’on tient compte du fait que, par ailleurs, le gouvernement entend profiter du débat sur le travail associatif, et le contexte de crise sanitaire, pour y intégrer les secteurs socioculturels, ce qui créerait un nouveau « sous-statut » et n’augure pas d’une protection sociale renforcée des artistes[3.Voir la communication relative à l’adoption de l’Avant-projet de loi portant extension du champ d’application de la loi du 24 décembre 2020 relative au travail associatif, porté par le ministre des Affaires sociales Frank Vandenbroucke, et adopté en conseil des ministres ce 7 mai 2021, ici.]. Mais voyons déjà ce qui est porté par les ministres fédéraux, avant les étapes de concertation au sein du gouvernement, puis avec les partenaires sociaux, qui augurent d’une réforme envisageable d’ici début 2022.

Commission artistes

Actuellement, la fonction principale de la commission artistes est de délivrer les cartes et visas d’artiste[4.Cf. l’entrée « commission artistes » du glossaire.]. Sur base d’un travail sur dossier, chaque demande est évaluée par la commission afin de vérifier le caractère culturel et créatif de la prestation. S’il n’y a pas de cadastre des « fonctions » reprises automatiquement comme relevant d’une prestation artistique, une sorte de jurisprudence informelle s’est constituée. Le principal écueil réside dans la distinction entre les fonctions techniques, de supports qui seront parfois considérées comme relevant de la création, parfois pas. Un costumier par exemple pourra, sur un projet, ne faire qu’appliquer des instructions précises du créateur donneur d’ordre, mais sera parfois le vrai créateur de l’habillage, partie intégrante de la création artistique sur un autre projet. Faute de cadastre clair définissant des « fonctions » reprises d’office comme artistiques, les déceptions restent nombreuses. Plus compliqué à comprendre, l’Onem qui délivre les allocations de chômage peut ne pas respecter la décision de la commission et refuser le « statut d’artiste » parce que la fonction sera jugée comme ne relevant pas du travail créatif. L’enjeu de l’octroi des cartes et visas est cependant l’accès à ces allocations de chômage, mais aussi à du travail « hors cadre », via le RPI (régime des petites indemnités). La reconnaissance de la commission permet aussi de garantir un assujettissement à la sécurité sociale même si la prestation artistique ne s’est pas faite dans le cadre d’un contrat de travail (qui suppose un donneur d’ordre clairement identifié)[5. C’est le fameux article1bis qui fait le succès de la Smart, désigné par la déclaration de politique communautaire comme acteur potentiel en vue de créer les maisons des artistes. La loi prévoit un aménagement (appelé article 1bis) permettant aux artistes qui travaillent à la commande (donc sans un « patron ») d’être considérés comme salariés même si les conditions du contrat de travail ne sont pas remplies.].

Le projet vise à conforter la commission dans son rôle d’octroi du « statut » par le biais d’une attestation unique donnant de ce fait un droit automatique à toutes les particularités connues des artistes (RPI, chômage, indépendants, 1bis, etc.). Il souhaite également l’amélioration de sa représentativité, supposée améliorer la bonne réception des demandes. Le rapport estime surtout que l’attestation « peut être demandée par tous les travailleurs culturels qui apportent une contribution essentielle lors d’une création ou une production artistique, que ce soit à titre artistique, technique ou de soutien[6. Cf. Working in the Arts.] ». L’ouverture aux techniciens est réelle et pourrait donner satisfaction aux secteurs culturels nommément cités : les arts audiovisuels et visuels, la mu­sique, la litté­ra­ture, le théâtre et la chorégraphie. L’at­testation serait valable 5 ans. Il est même évoqué une attestation pro­visoire d’une durée plus courte pour les jeunes sortis de l’école (sans plus de précision). Enfin, sans aller jusqu’à la publication d’un cadastre des fonctions admis­sibles au statut, toutes les décisions alimenteraient une information accessible aux demandeurs pour qu’ils puissent auto-évaluer leurs chances de succès.

Sur le fond, cette commission renouvelée en charge de remise d’attestations ne tranche pas le débat sur l’article 1bis et les excès du RPI, exceptions au droit du travail utilisées abusivement par le secteur, ce qui dans des contextes marchands lucratifs est souvent choquant. Et non sans lien, l’ouverture qui semble faite aux techniciens n’est pas sans poser question. Même si le curseur n’est pas encore posé, et que le budget sera certainement déterminant dans sa gestion courante, on peut supposer que davantage de techniciens des secteurs artistiques seront couverts. Personne ne conteste le besoin de protection sociale, de garantie de revenu, et la particularité du travail culturel, assez proche de la situation du « chercheur » dont le temps de production pure est souvent très inférieur au temps qui entoure cette « production », en ce y compris pour les travailleurs « techniques ». Mais dans certains secteurs culturels, et pour certains opérateurs au sein de ces secteurs, la question de l’effet d’aubaine est à poser, et la solidarité financière au sein du monde culturel est encore largement à construire.

Toute avancée en matière de protection sociale des travailleurs de la culture, d’autant plus si on élargit la reconnaissance aux travailleurs techniques, suppose de penser la juste contribution de chacun à cette solidarité. Or la culture est pensée comme un tout, oubliant ses réalités spécifiques, ses inégalités fortes, et une hiérarchisation parfois extrême sur certains projets qui n’a parfois rien à envier aux plus grandes entreprises capitalistes. Rappelons que le système français de statut d’artiste est, pour une bonne part, cofinancé par une cotisation spécifique payée par les employeurs des secteurs concernés. Cela relève de l’impensé en Belgique.

Le monde du travail est trop riche de fonctions remplies de manière intermittente par des travailleurs qui vivent souvent la précarité. La question du défaut de protection sociale pour les professionnels de la culture, marchande et non marchande, n’est-elle pas la même qui est posée pour les travailleurs intérimaires, les faux indépendants (courant dans les soins de santé, l’architecture, le consulting, la construction, les services de taxi et de livraison, etc.). Et derrière cela, se pose la question de la légitimité de voir le monde du travail, qui finance la sécurité sociale et le chômage, rémunérer une précarité qui peut être organisée au profit de sociétés à but lucratif. L’augmentation annoncée du droit au cumul des droits d’auteurs et revenus d’activités indépendantes avec les allocations de chômage aurait par exemple pu se penser en augmentant d’autant la contribution des gros bénéficiaires de droits d’auteurs à la sécurité sociale. On pourrait plus encore penser une taxe spécifique sur les profits des opérateurs culturels marchands (sans pour autant viser à court terme les Gafam, comme le fait naïvement le MR), ou des indépendants des secteurs culturels qui tirent leurs revenus de cette précarité, certes légèrement apaisée, mais néanmoins institutionnalisée, normalisée.

Droit au chômage

Pas de révolution pour le chômage, mais des simplifications et améliorations réelles sont proposées dans le projet de rapport du gouvernement[7.Pour une analyse technique de la réforme présentée par le rapport de ces groupes techniques, voir : « La réforme du mal nommé « statut d’artiste » : retour sur la proposition fédérale Quelle sécurité sociale souhaitons-nous pour demain ? », Anne-Catherine Lacroix, Atelier des droits sociaux asbl, juillet 2021.]. Il faudrait à présent, outre l’attestation de la commission artistes, prouver 156 jours de travail effectif sur 24 mois (à peu près l’équivalent de 7 mois complets). On peut douter du caractère non discriminatoire d’une telle proposition. Il faut aussi observer que le cadre transitoire prévu dans le contexte de la crise sanitaire octroie le statut sur base de 10 prestations ou de 20 jours de travail sur l’année 2020. Fin 2020, cet assouplissement sérieux n’a pourtant concerné que 318 artistes (pour 328 demandes)[8.La Chambre, 3e session de la 55e législature, réponse du vice-premier ministre et ministre de L’Économie et du Travail du 09 février 2021, à la question n° 145 de monsieur le député François De Smet du 08 janvier 2021. ]. Et même si le cadre envisagé est préférable au système préexistant au covid-19, passer d’une condition d’accès au statut basée sur 20 jours de prestations sur une année à 156 jours sur deux ans ne témoigne pas d’une grande ambition. Ce qui est étonnant vu le budget alloué à cette réforme. Peut-être que la réforme de la commission artiste et ses implications en ressources humaines et investissement informatiques induiront plus de dépenses que prévues, mais pas de quoi justifier ce petit renoncement. La difficile accessibilité au statut d’artiste était pourtant au cœur des préoccupations issues de la crise sanitaire. Elle révéla au grand jour les « hors radars » en défaut de protection sociale et, parmi eux, les intermittents culturels en défaut d’activité causé par le confinement, mais sans statut pour pouvoir bénéficier du chômage économique « amélioré », ou de son équivalent pour les indépendants (le « droit passerelle » amélioré également).

Concernant le retour au « statut » après une période d’autres activités, d’indépendant par exemple, il suffirait de prouver 52 jours sur 12 mois, ou 104 jours sur 24 mois, ou 156 jours sur 36 mois, ce qui est bien plus accessible que les actuels 156 jours à prouver sur les 18 derniers mois. Amélioration encore concernant la règle du cachet qui serait étendue aux techniciens actifs dans le secteur culturel (62,53 euros touchés correspond à une journée de travail, mais la limite serait portée à 78 jours maximum par période de trois mois). Citons encore le cumul autorisé entre allocations de chômage et les droits d’auteurs ou revenus d’activités indépendants perçus qui verraient leur montant autorisé doubler (et passer de 4536,48 euros à 9072,96 euros, sans tenir compte des frais professionnels qui permettaient déjà de doubler cette exonération). On peut douter que cette amélioration soit bien perçue du côté syndical, vu son caractère discriminatoire possible, même si probablement anecdotique. Le maintien dans le statut est lui rendu plus difficile. Le projet prévoit de remplacer la règle annuelle des « 3 contrats/prestations » au profit de 78 jours de travail sur 36 mois (ou 4877,34 euros brut à valoriser).

Enfin, et ce n’est pas rien, le montant octroyé par l’Onem serait revalorisé. Le rapport évoque une prolongation de la mesure adoptée durant la crise du covid-19 qui, par son arrêté royal du 2 mai 2021 prévoyait une augmentation des minimas pour les cohabitants et isolés à 52,2 euros par jour, et pour les chefs de ménage à 59,25 euros par jour. Pour rappel, l’un des principaux atouts du « statut d’artiste » est d’éviter la dégressivité de l’allocation de chômage. Ceci serait donc maintenu, et renforcé. L’augmentation permet, en moyenne, aux cohabitants et isolés de bénéficier de 1357 euros par mois contre 991 euros, tandis que les chefs de ménage bénéficient ainsi de 1540 euros, contre 1357 euros avant l’introduction de cette mesure. Seuls 10 % des artistes disaient pouvoir vivre de leur art en Flandre selon un rapport de recherche[9. Voir : https://urlz.fr/gpz2.] paru en 2016, c’est dire si la mesure est bienvenue et amplifie l’urgence de revaloriser l’ensemble des minimas sociaux !

Il faut aussi revenir sur l’obligation de disponibilité pour le marché de l’emploi. Les artistes estiment pourtant ne pas devoir rencontrer cette obligation imposée aux chômeurs indemnisés, considérant que leurs allocations ne relèvent pas d’une indemnisation d’inactivité, mais d’une indemnisation d’un travail non rémunéré, entre périodes de travail rémunéré. On ne produit pas son travail artistique uniquement durant le temps d’un contrat, mais en amont, en aval, comme un art de vivre. Le projet défend ainsi l’idée qu’un « travail doit être réalisé avec les Régions sur la disponibilité afin que le travailleur qui renouvelle son statut soit présumé rechercher activement un emploi et qu’il ne puisse plus être sanctionné ». Il est difficile de justifier, d’un point de vue éthique, que certains chômeurs se voient contraints à une obligation de recherche active d’emploi et d’autres pas, au motif que ceux qui bénéficient déjà d’un droit amélioré (non-dégressivité et minimum plus élevé garanti) estiment ne pas devoir remplir les mêmes conditions que les autres. Le débat ne sera pas simple. La demande est pourtant légitime, pour tous, mais elle serait sans objet pour les artistes si leur protection sociale était pensée dans le cadre d’un véritable statut, en dehors du cadre de l’assurance-chômage.

Le premier écueil au débat sur la protection sociale des artistes provient d’un gros malentendu : le statut d’artiste n’existe pas. Le statut d’artiste n’est qu’une exception au droit du chômage ! Dès lors, celui qui se préoccupe du sort des travailleurs intermittents de la culture doit d’abord répondre à une question principielle. Le « statut » doit-il valoriser la personne pour la manière dont elle se définit professionnellement, même sans activité rémunérée, ou le statut d’artiste doit-il compenser les périodes d’inactivités considérées, à tort ou à raison, comme consubstantielle à son métier d’artiste ?

Si le statut doit compenser le défaut du marché du travail, même sous couvert d’une particularité supposée des travailleurs culturels, alors le cadre de l’Onem s’impose, ainsi que ses conditions partagées par l’ensemble du monde du travail. Mais on court le risque que la brèche ainsi ouverte soit élargie par des acteurs porteurs de l’ubérisation du monde du travail, alors que la question du financement de la sécurité sociale est un problème majeur, sans majorité politique progressiste laissant espérer un refinancement adéquat. Et le climat politique est moins propice à l’économie dans les soins de santé et les pensions… La prise en charge de l’ubérisation du monde du travail aboutirait de facto, faute de financements adaptés, à réduire la protection sociale de tous. Et le revenu de base proposé par le MR pour les artistes n’est d’ailleurs qu’une étape vers un revenu de base élargi pour tous, mesure libérale défendue depuis longtemps par Georges-Louis Bouchez[10.Projet de revenu de base qui, dans sa version libérale, remplacerait en partie ou totalement les autres prestations sociales. (NDLR)].

Mais si l’on pense que le métier d’artiste suppose un vrai statut, qui par lui-même confère la reconnaissance d’une profession, et d’une plus-value sociétale, c’est auprès des Communautés qu’il nous faudrait revendiquer, fortes de leurs compétences attribuées en matières culturelles.

La solution communautaire !

Il faut constater que la problématique du « statut d’artiste » est une préoccupation peu polémique dans le débat politique francophone. La Flandre a d’autres ambitions pour sa culture, et affiche un pouvoir politique qui voit d’un mauvais œil une culture autonome et critique et qui la veut tout entière dévouée à la cause flamande[11.Jacques Hermant, « Comment la N-VA tente de prendre le contrôle de la culture en Flandre », La Libre Belgique, 7 juin 2021. L’auteur explique comment la N-VA truste les lieux de décision des centres culturels, sans oublier que le Premier flamand, J. Jambon, exerce directement la compétence culturelle, ce que la N-VA assure directement partout où elle le peut, en vue d’assoir la glorification de l’identité flamande, et la mise au pas d’une culture dite « de gauche ». Voir aussi l’entretien avec Fred Dhont « Flandre : quel soutien politique ? » dans Politique, n°115, mars 2021. ]. Rappelons qu’en 2019, la Flandre présidée par la N-VA réduisait les subsides au secteur culture de 60 %[12.Voir : https://urlz.fr/gpz6.]. Le contexte du débat sur la protection sociale des artistes se fait plus pressant sur fond de crise sanitaire qui vit le secteur culturel procéder à de la désobéissance civile – citons Still Standing for Culture[13. Cf. l’entretien de StillStanding for Culture dans ce numéro.]. Il s’agissait de contester la discrimination politique subie par la culture, au vu des confinements dont la variabilité parait effectivement non fondée d’un point de vue sanitaire strict. Plus fondamentalement, pense-t-on la Flandre capable de soutenir financièrement un statut social pour des artistes surtout francophones, si pas publiquement décriés pour leur cosmopolitisme, clairement associés à des fraudeurs[14.Le député N-VA Wouter Raskin s’offusquait en 2016 du trop grand nombre d’artistes bruxellois au chômage, mettant en cause leur supposée condition d’artiste et un statut trop souple. 3 391 artistes bruxellois au chômage étaient alors indemnisés contre 2 182 en Wallonie et 2 328 en Flandre.] ? Pris en otage d’une querelle communautaire vive, le statut d’artiste n’a d’avenir possible que par le biais de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), désargentée par sa loi de financement peu généreuse. Nœud communautaire, encore !

Si la FWB n’a pas d’argent, elle dispose potentiellement des compétences et outils pour développer un vrai statut d’artiste qui allie reconnaissance, juste rémunération, liberté créatrice et protection sociale. Des propositions ont été mises en débat, notamment par la CSC-Culture, et sans remettre en cause la sécurité sociale et son caractère fédéral mais en s’appuyant en parallèle sur les compétences communautaires[15. L. Ciccia, « Faire culture autrement ou comme avant ? Quatre voies alternatives au débat sur le « statut des artistes », La Revue Nouvelle, 2021/2 (n° 2), p. 53-57. Cet article résume et simplifie une note de la CSC francophone disponible en ligne via https://www.csc-culture.be/dossiers/.]. La FWB pourrait ainsi octroyer des bourses, selon le modèle ajusté des chercheurs (FNRS), ou des sportifs de haut niveau, à tous les diplômés d’écoles d’art porteurs de projets. Ces bourses reconductibles seraient aussi accessibles à tout qui défend son dossier devant une commission sur l’exemple du fonctionnement de la commission artistes fédérale, avec des conditions de prestations de, par exemple, 52 jours par an. La FWB pourrait même développer des emplois d’impulsion culturelle, de courte durée, pour favoriser des projets ponctuels au sein d’opérateurs déjà subsidiés par la FWB, et donner droit aux bourses culturelles sur base du projet déposé. Ne faut-il pas plus de culture dans l’enseignement, dans les crèches, l’aide à la jeunesse, les télévisions locales, l’éducation permanente ?

Mieux encore, en développant le statut des travailleurs culturels par le biais de la Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est l’objet même de la culture qui pourrait être révisé et ainsi autoriser des choix politiques forts, par exemple en faveur d’une culture démarchandisée. La solidarité pour la culture et ses travailleurs est un choix juste à poser, mais le supplément d’âme de cette solidarité, voire son essence, ne serait-elle pas de la conditionner à la promotion d’une culture non soumise au règne du profit et exploitant la précarité ? Et si pour promouvoir un vrai statut d’artiste, il fallait revoir les lois de financements en faveur de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et engager la bataille de la justice fiscale pour y parvenir, ne serait-ce pas là une belle occasion de faire convergence des luttes ?