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Rationaliser la microfinance ?

Le succès de la microfinance n’a pas échappé à certains grands acteurs mondiaux qui promeuvent une « gestionarisation » du secteur pour sortir les populations des pays en développement de la pauvreté. Mais cette politique de rationalisation pourrait conduire à un affaiblissement des acteurs locaux de la micro-finance et par là à une réduction des solidarités et un accroissement des inégalités sociales.

Depuis une décennie, le développement de la microfinance fait partie de la panoplie d’instruments que préconisent la Banque mondiale, le Pnud ou encore le BIT pour sortir les populations des pays en développement de la pauvreté. Ces institutions internationales insistent sur l’ardente obligation de favoriser l’accès à la microfinance, éventuellement au moyen de transferts électroniques, pour concrétiser le passage d’une politique macro-économique d’aide au développement à un ensemble d’initiatives pour «lutter contre la pauvreté». On peut dès lors se demander dans quelle mesure cette réorientation s’inscrit vraiment en rupture avec les politiques d’inspiration néolibérale qui ont caractérisé leur stratégie depuis près de trente ans ? Et quelles conséquences une telle orientation peut avoir en termes de lien social et d’expansion du fait gestionnaire ? Pour répondre, en nous appuyant sur une revue de littérature portant sur les pays d’Afrique de l’Ouest, examinons comment un ensemble diversifié de pratiques locales, visant l’adaptation aux «nouvelles» formes de pauvreté constitutives de la globalisation, est en cours d’instrumentalisation et promu en dispositif de gestion des économies dominées.

Cadre d’analyse

Mais tout d’abord, présentons le cadre de problématique qui sous-tend notre réflexion J.-L. Metzger et M. Benedetto-Meyer (dir.), Gestion et sociétés. Regards sociologiques, Paris L’Harmattan, 2008. L’étude du fait gestionnaire s’est peu à peu centrée sur l’examen du caractère performatif des dispositifs de gestion. Accordant une place importante à leur dimension technologique (informatique), tout en replaçant leur étude dans les acquis de la sociologie du travail, Salvatore Maugeri S. Maugeri (dir.), 2006. Au nom du client, Paris, L’Harmattan, 2006 a élaboré un cadre d’analyse reposant sur une définition originale du concept de dispositif. Ce dernier rend compte, non seulement de l’inscription des principes de gestion dans des machines numériques, mais également de l’action managériale dans la production de l’ordre gestionnaire. D’où la solution qui consiste à définir les «dispositifs de gestion», d’une part, comme incarnant les représentations dominantes de la «nouvelle philosophie managériale» et, d’autre part, comme orientant et canalisant l’activité de chacun, contribuant, en cela, à la production et à la perpétuation de rapports de domination. Cela permet de raisonner en termes d’interactions dissymétriques entre un système (principes, normes, outils) et des agents, ces derniers, au fur et à mesure de leur implication, subissant et «actionnant» les logiques de domination inscrites dans les machines, via les catégories qu’elles leur imposent subrepticement. Nous retrouvons la volonté, portée par le concept foucaldien de dispositif, d’appréhender la nature profonde du pouvoir, à la fois stratégies globales, interactions micro-locales et dynamique d’expansion. À cela s’ajoute S. Craipeau et J.-L. Metzger, «Pour une sociologie critique de la gestion», Recherches sociologiques et anthropologiques, vol. XXXVIII, 1, 2007, pp. 166-182 la volonté de souligner que le phénomène gestionnaire se caractérise par sa propension à bousculer la plupart des dimensions sociales, au moyen d’un empilement, non nécessairement cohérent, d’instruments, principes et discours. De plus, le phénomène gestionnaire est considéré comme débordant des cadres de l’organisation marchande des pays développés, pour concerner progressivement l’ensemble des organisations des pays émergents, via, notamment, l’action d’institutions, d’entreprises et d’agences privées internationales. Dès lors, pour apprécier dans quelle mesure l’encouragement international à la microfinance constitue un dispositif de gestion, analysons la spécificité des pratiques de microfinance et leurs articulations avec le travail informel. Cela permettra de mieux comprendre les enjeux liés à la volonté transnationale de développer le microcrédit et d’identifier en quoi cette volonté présente toutes les caractéristiques d’un dispositif international de gestion.

Adaptation à la globalisation

Parmi les pratiques liées à la microfinance, on distingue les associations tontinières et les institutions de microfinance (IMF). Les associations tontinières, dont il existe une grande variété, consistent en des regroupements volontaires d’individus proches, très souvent des femmes, qui se cooptent et se donnent comme obligation de confier, à échéance régulière (tous les jours, les semaines, les mois…), une somme fixe, au collectif qu’ils (elles) forment. Cette somme peut être déposée sur un compte bancaire unique, attribué au nom de la tontine. Chacun à leur tour, les membres utilisent le total des dépôts et doivent le restituer à l’issue de la période. Ces sommes constituent simultanément une épargne collective disponible et un prêt dont chacun peut profiter à tour de rôle. Le simple fait de déposer régulièrement une faible somme constitue une (auto)-incitation à épargner, donc une manière de se forcer à ne pas vivre au jour le jour, de se constituer une cagnotte assurantielle. Ces pratiques tiennent de l’apprentissage collectif : les plus avancé(e)s dans la maîtrise de ce dispositif enseignent aux autres à acquérir un habitus d’épargnant, en les encourageant à éviter de dépenser inutilement (résister à la pression familiale), à ne pas se faire voler du numéraire, à faire des «projets». Les membres se connaissant, ils se font plus volontiers confiance, s’entraident mais simultanément n’hésitent pas à faire pression sur ceux qui seraient tentés de faire défaut, notamment, en jouant sur leur sens de l’honneur et en en appelant à leur réputation F. Doligez, «L’illustration d’une question de viabilité sociale dans la littérature sociologique», Bulletin des Institutions de Microfinance, 2007, p. 13. Cette «pression» s’exerce le plus souvent dans le déroulement même de l’association, qui voit ses membres se réunir régulièrement, alternativement chez les uns et les autres, ce qui permet, à l’occasion, de vérifier l’emploi qui est fait des sommes empruntées. Le caractère intrusif du collectif fait partie de façon intrinsèque du fonctionnement des tontines. Et s’il n’y pas forcément de dépenses de gestion, «il y a un coût en temps et en sociabilité non négligeable» M. Lelart, «Les circuits parallèles de financement : état de la question», L’Entrepreneuriat en Afrique francophone, Paris, Aupelf-Uref, 1990, p. 52. Les emprunts financent, en partie, des micro-activités permettant la survie. Ainsi, étant souvent victimes de discrimination tout au long de la vie (scolarité, santé, embauche…), les femmes contribuent-elles «en grande partie à la croissance rapide du secteur informel, notamment dans certaines activités commerciales (restauration, vente de fruits et légumes, vente de poisson), artisanales (teinture, confection, couture) et de services (travaux domestiques)» S. Kanté, Le secteur informel en Afrique subsaharienne francophone : vers la promotion d’un travail décent, Genève, BIT, 2002, p. 18. Et loin de constituer une survivance désuète d’un passé révolu, le recours au microcrédit constitue une adaptation faute de mieux aux conséquences socio-économiques de la globalisation. Un autre type de dispositif d’accès à l’épargne et au crédit informel a été développé : il s’agit des IMF.

Intermédiaire financiers

Pour pallier les insuffisances du secteur bancaire commercial et celles du secteur informel/autonome, différents intermédiaires financiers spécialisés ont vu le jour, avec parfois l’appui d’ONG, d’institutions nationales ou internationales. Elles sont formelles, dans la mesure où elles sont légalement reconnues, mais elles sont aussi informelles, dans la mesure où elles ne sont pas assujetties à la régulation et à la supervision bancaire. On y trouve des coopératives d’épargne et de crédit, des mutuelles, des caisses villageoises, des ONG. Ces «instruments d’appui» directs aux petits producteurs du secteur informel présentent de nombreux points communs avec les tontines : elles «sont auto-administrées et concourent à l’autopromotion (…), elles sont basées sur la solidarité, l’entraide, la mutualité et la confiance» C. Maldonado, C. Badiane et A.-L. Mélot, «Méthodes et instruments d’appui au secteur informel en Afrique francophone», Rapport de recherche n°24, BIT, Genève, 2004. L’épargne, une fois récoltée auprès des membres (paiements mensuels), sert à offrir des prêts internes (après un délai de plusieurs mois d’épargne préalable) à des taux inférieurs aux taux bancaires, pour financer les frais de fonctionnement ou des investissements. Certains crédits sont également accordés pour des dépenses de santé et des dépenses de rentrée scolaire. La gestion des mutuelles est assurée par les entrepreneurs eux-mêmes, qui n’accordent les prêts qu’à certaines conditions : durée minimale d’épargne, pertinence de la dépense envisagée, identification d’un groupe de mutualistes – tuteurs – qui se portent «garants». La mutuelle peut aussi se porter garante d’un de ses membres qui souhaite emprunter à une banque commerciale.

Travail informel

Le recours à la microfinance ne se comprend qu’à condition de le réinscrire dans le système d’interactions complexes entre «travail informel» et travail formel. Soulèye Kanté indique que, «en Afrique, le secteur informel absorbe 61% de la main-d’œuvre urbaine, et on estime qu’il est probablement à l’origine de plus de 93% des nouveaux emplois créés au cours des années 90» S. Kanté, op.cit.. Cette tendance va croissante, du fait de la raréfaction des emplois dans le secteur formel (restructurations, privatisation des services publics), de la croissance démographique et du grand nombre de chômeurs (31% selon le BIT), dont de nombreux diplômés. Il en résulte une paupérisation accrue des populations et tout particulièrement des femmes K. S. Jomo et J. Baudot, Flat world, big gaps: economic liberalization, globalization, poverty and inequality, London, Zed Books and United Nations, 2007 , à la fois à la recherche de biens et services très bon marché et d’emplois coûte que coûte. Les relations d’emploi ne sont pas traduites en termes de contrat de travail, mais sont basées sur la personnalisation des rapports (liens de parenté, relations personnelles et sociales). Il en résulte une extrême précarité : les travailleurs sont employés au jour le jour, rémunérés à la pièce, sans bénéficier de congés payés, de sécurité sociale, de retraite, d’indemnités de licenciement… Les pratiques «économiques» formelles et informelles sont imbriquées. En effet, d’un côté, une partie importante de la main-d’œuvre recourt au travail non organisé parfois pour survivre. Une autre partie y recourt pour améliorer son ordinaire, comme le font de nombreux fonctionnaires et employés d’entreprises privées du secteur formel. De plus, certaines micro-entreprises ne sont informelles que parce qu’elles ne respectent aucune réglementation sociale ou fiscale, en n’utilisant aucun contrat de travail pour leurs employés et ne déclarant qu’un minimum au fisc. Sur ce terreau, l’on voit se multiplier les pratiques de sous-traitance à des «filiales» créées de façon ad hoc pour réduire les coûts salariaux et fiscaux, de grandes entreprises et d’administrations.

Rationalité de l’attention

Plus généralement, la micro-finance met en évidence l’extrême imbrication du social et de l’économique. En effet, comme l’indique Michel Lelart, en Afrique, «l’acte d’épargne n’est pas posé dans le temps mais dans l’espace. Le paysan ou l’ouvrier» ne cherche pas à assurer son avenir tout seul en plaçant en secret son argent aujourd’hui pour en disposer demain. II «privilégie ses relations sociales, il s’enracine dans un groupe», et il trouve auprès des autres la sécurité dont il a besoin. «L’épargne n’est pas une attitude face au temps qui passe, elle est une attitude à l’égard de ceux qui sont proches.» M. Lelart, op.cit., p. 57 Plus fondamentalement, les pratiques informelles de la micro-finance reposent sur une forme de rationalité ne procédant ni d’une division tranchée du travail, ni du marché pour procéder à une allocation pertinente des ressources. On peut la qualifier de rationalité de l’attention, dans le sens où ce qui fonde le champ des pratiques et échanges socio-économiques serait le fait d’être attentionné pour un collectif, lequel est également attentionné envers chacun, le tout permettant, à certaines conditions, une distribution adaptée des différents types de capitaux. L’intention d’aider se place alors au fondement des relations économiques : veiller au bien être de chaque membre du collectif, tout en étant soucieux du respect des valeurs et positions traditionnelles, notamment au travers des règles de remboursement.

Gestionarisation globale  ?

C’est sur cet arrière-fond que doit être interrogée la volonté des super-acteurs transnationaux de généraliser le recours à ces pratiques : pourquoi institutionnaliser quelque chose qui s’institutionnalise tout seul ? Une première réponse consiste à souligner que ce qui est proposé à la généralisation est simultanément normalisé, partiellement standardisé, passé au crible d’une rationalité instrumentale qui entre en tension avec la rationalité de l’attention, au risque de réduire l’institution sociale à son seul versant économico-gestionnaire. C’est ce que nous nous proposons d’analyser en examinant, tout d’abord, le rôle des structures ad hoc mises en place depuis une dizaine d’années au niveau mondial ; ensuite, la mobilisation de principes et d’instruments classiques de la gestion d’entreprises ; et, enfin, le caractère disciplinaire de cette volonté d’ampleur mondiale. Commençons par rappeler le raisonnement des super-acteurs globaux. D’un côté, ils reconnaissent que le taux de remboursement des micro-crédits accordés par des IMF avoisinerait les 95%. Mais ils notent que le fonctionnement de ces structures intermédiaires (et a fortiori des tontines) présente plusieurs défauts : il n’existe pas d’encadrement national pour financer le crédit mutuel ; les coûts de la collecte de l’épargne et de l’octroi de faibles prêts sont élevés (en main-d’œuvre et déplacements) ; quant aux compétences gestionnaires des mutualistes, elles paraissent insuffisantes aux bailleurs de fonds internationaux. C’est pourquoi, tout en reconnaissant l’intérêt de s’appuyer sur les communautés locales et les micro-entrepreneurs, les super-acteurs internationaux préconisent «la mise en place d’institutions de micro-finance rentables, répondant aux lois des marchés financiers concurrentiels et faisant appel à un mode de gouvernance efficace». Ce qui constitue un changement important de perspective, puisque «l’objectif recherché n’est pas tant l’amélioration du bien-être en général des pauvres, mais l’amélioration de l’accès aux services financiers pour les exclus du secteur bancaire traditionnel» V. de Briey, «Plein feu sur la microfinance en 2005 !», Regards économiques, n°28, mars, 2005, pp. 6-7. L’incitation globale à rationaliser la micro-finance consiste alors à capter la grande souplesse et l’adaptabilité des collectifs communautaires, à mobiliser l’effet économique de la pression sociale entre pairs, tout en cherchant à en réduire les dimensions socioculturelles potentiellement contre-productives, en introduisant des outils comptables et des techniques de responsabilisation/mobilisation des employés des IMF qui permettent de réifier leur autonomie M. Labie, «Microfinance : un état des lieux», Mondes en Développement, Vol. 32/2-n°126, 2004, pp. 9-23. Mais, si le microcrédit est d’abord un contrat social M. Lelart, op. cit., pp. 45-63 , lui substituer un contrat commercial, objectivant certaines dimensions de l’échange selon des normes purement comptables, individualisantes, n’est-ce pas prendre le risque de contester la solidarité en accroissant les inégalités au sein même de la population la plus démunie, lui ôtant ainsi son principal «capital» ?

Agences transnationales

En adoptant le point de vue de la sociologie de la gestion, on peut remarquer que cette tentative de «disciplinarisation» des pratiques informelles des populations les plus pauvres s’appuie d’abord sur l’émergence d’institutions globales et la reconfiguration d’institutions anciennes. C’est ici souligner l’importance de ces super-acteurs, dont la structure s’apparente au modèle des agences et dont la fonction la plus visible est d’agir dans la sphère communicationnelle. En effet, d’importants efforts d’affichage manifestent la volonté de contrôler la production et la circulation de représentations portant sur la nécessaire évolution de la microfinance, évolution qui elle-même prend tout son sens quand on la réfère à la priorité dorénavant donnée à la lutte contre la pauvreté. Notons au passage que ce «changement de cap» n’en est pas vraiment un, et que les politiques économiques des institutions internationales, présentent toujours de nombreux points communs avec les principes directeurs de l’ordo-libéralisme M. Foucault, Naissance de la biopolitique, Paris, Gallimard et Seuil, 2004 , notamment le fait de placer la concurrence au centre des politiques économiques et, plutôt que de réduire les inégalités, agir sur la pauvreté absolue. Ces super-acteurs émergents présentent les caractéristiques d’organisation apparemment non gouvernementale, de «melting-pot» privé-public, transnational, multi-secteur (banque, assurance, télécommunications), multidimensionnel (conseil, soutien, audit) et contribuant, par leur action communicationnelle récurrente (organisation de nombreux «événements» médiatiques) à influer sur la production du cadre normatif orientant l’évolution globale de la micro-finance. Ces organisations transnationales s’apparentent à des entités de gestion de type «agence», dont Elie Cohen E. Cohen, L’ordre économique mondial, Paris, Fayard, 2001 a théorisé les avantages supposés. L’auteur parle «d’instances arbitrales de régulation» qui, au côté des gouvernants, développent par leurs décisions une forme de droit privé s’appliquant dans la sphère publique. L’attrait pour les «agences» est au cœur du New Public Management et constitue l’un des instruments de réforme de l’administration et de l’action publique.

Rationaliser l’autonomie

La gestionarisation du secteur de la microfinance comprend d’autres facettes. Les différentes agences sont dotées de départements ou de filiales procédant à l’audit financier des IMF, pour donner des garanties aux bailleurs de fonds. La publication d’un guide pour mesurer la performance des IMF identifie ainsi quatre grands domaines d’appréciation : qualité du portefeuille, efficacité et productivité, gestion financière et rentabilité. Par ailleurs, la gestionarisation est introduite par la privatisation même de l’aide au développement. Pensons à la place confiée au secteur bancaire commercial pour refinancer la micro-finance, ainsi qu’à la responsabilisation pesant sur chaque micro-entrepreneur, à la fois encouragé à économiser – aussi pauvre soit-il – et à n’emprunter que pour produire des services ou des marchandises à très bas coût. Les IMF qui interviennent dans le microcrédit, tout comme leurs membres – la plupart micro-entrepreneurs – se voient encouragées à considérer leur activité comme essentiellement marchande. Parmi les techniques de gestion les plus souvent mobilisées, on retrouve, outre les audits comptables, l’octroi d’une «autonomie encadrée» aux agents de crédit des IMF, leur responsabilisation sur les crédits qu’ils accordent, ainsi que leur évaluation sur les taux de remboursement M. Labie, op. cit.. Le recours à la pression des pairs, qui relève des pratiques informelles, autonomes, assurant un contrôle social diffus sur le respect des engagements – nécessairement pluriels –, est extrait de son contexte multidimensionnel et transformé en dispositif pour exercer un rôle disciplinaire sur le seul plan monétaire. Nous retrouvons des pratiques gestionnaires devenues «classiques» en entreprise et consistant à instrumentaliser et à réifier en des dispositifs de gestion les connaissances sur le social. Agencification, recherche de performance, transplantation aux mondes associatifs de modèles de gestion issus des entreprises privées, tous ces éléments montrent que nous assistons à la tentative de gestionarisation, d’ampleur mondiale, des pratiques autonomes d’adaptation des populations appauvries par la globalisation. Cette préférence pour les instruments de gestion se substitue au développement de l’action publique volontaire et renforce la tendance des États à «sous-traiter» leur action sociale. Émerge alors le risque que la mise en œuvre des dispositifs encouragés par les super-acteurs globaux, en déstabilisant la rationalité de l’attention et en désinstitutionalisant certaines pratiques, réduise l’ampleur et la force des solidarités communautaires, tout en accroissant les inégalités sociales.