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Réforme de l’impôt des sociétés : la face cachée de l’iceberg

Isoc
Isoc

Dévoilée en juillet 2017 au moment de « l’Accord d’été », la réforme de l’impôt des sociétés (Isoc), qualifiée d’historique par le gouvernement Michel, fait depuis lors l’objet de nombreuses critiques tant de la Commission européenne que par la cour des comptes en Belgique. Alors que le gouvernement va, plus que probablement, « passer en force » devant le parlement les jours prochains, tentatives d’éclaircissement…

Dans un contexte économique caractérisé par une croissance faible et un chômage élevé, les États européens s’adonnent à une joute fiscale afin, comme le veut l’adage néolibéral, « d’attirer l’investissement et créer de l’emploi ». Chaque pays joue sur son taux nominal d’imposition des bénéfices ou sur le développement de niches fiscales afin d’attirer les entreprises sur son sol. La Belgique n’échappe pas à la règle et c’est dans ce cadre que le Gouvernement Michel est parvenu à un accord sur la réforme de l’impôt des sociétés (Isoc).

Cette réforme aspire à plus de clarté, de transparence et d’équité

Une pluie de critiques émanant de la Commission européenne ainsi que de la Cour des comptes s’est en effet abattue sur cette mesure « historique » du gouvernement Michel. Ces institutions mettent fermement en doute la prétendue neutralité budgétaire de la mesure qui, d’une part, ne prend pas en compte le caractère imprévisible du comportement des entreprises et, d’autre part, se baserait en partie sur des données obsolètes datant de 2015.

La diminution du taux nominal, qui représente le point phare de cette réforme, équivaudrait, en vitesse de croisière, à une perte de plus de 5 milliards d’euros pour le budget de l’État selon la Cour des comptes. La vraie question est de savoir si les timides mesures compensatoires, comme la limitation des intérêts notionnels ou l’introduction d’un impôt minimum, parviendront à combler cette perte ?

Diminution du Taux Nominal : de 33 à 25%

En Belgique, le taux nominal d’imposition s’élève à l’heure actuelle à 33,99% avec un tarif réduit possible pour les sociétés dont le revenu imposable ne dépasse pas 322.500 euros. La réforme en deux étapes proposée par le gouvernement le réduirait à 29,4% en 2018 puis à 25% en 2020. La Belgique passerait donc sous la barre symbolique des 30%. Au niveau des PME, fiscalement avantagées, le taux nominal est également revu à la baisse en passant de 25% à 20% sur la première tranche de 100.000 euros de bénéfices. Le gouvernement prévoit également une diminution, par phases et jusqu’à suppression, de la contribution de crise qui passera de 3 à 2% en 2018 pour disparaître en 2020.

  Taux nominal  2018  2020
Ancien 33% 33%
Nouveau 29% 25%
Taux  PME (premiers    100 000 € de bénéfice) 20% 20%
Source : Note de politique générale : Finances (19 octobre 2017). Chambre des représentants de Belgique DOC 54 2708/013

Avec ses 33,99%, la Belgique est l’un des pays d’Europe avec le taux nominal d’imposition le plus élevé. Cependant, on observe d’une part que, depuis 40 ans, ce taux ne fait que diminuer : 56,8% dans les années 1970, 45% en 1982, 43% en 1987, 41% en 1990, 39% en 1993 et enfin 33,99% à partir de 2002. D’autre part, on constate également que même si ce taux nominal théorique demeure élevé, le taux effectif, celui qui est réellement payé après diverses déductions et autres niches fiscales, avoisine les 15%, c’est à dire proche de la moyenne européenne.

Par conséquent, les mécanismes légaux, ou pas, permettant aux entreprises de diminuer leur base imposable (par exemple les intérêts notionnels ou les stratégies de niches fiscales) rendent les taux nominaux inopérants afin de saisir réellement la pression fiscale exercée sur les entreprises. Brandir l’argument de la diminution du taux nominal pour stimuler l’investissement et l’emploi pose donc déjà question puisque, dans la pratique, le taux nominal ne s’applique pas !

Limitation des intérêts notionnels

Selon Johan Van Overtveldt, ministre des Finances (N-VA), le financement de cette réforme, rappelons-le présentée comme neutre budgétairement, est porté par l’élargissement de la base imposable via une limitation de la fiscalité de niche et une diminution des déductions fiscales.

Au niveau des intérêts notionnels, le gouvernement entend appliquer un nouveau système de déduction qui aura uniquement trait aux augmentations de fonds propres. En effet, les intérêts notionnels sont des déductions fiscales actuellement calculés sur l’ensemble des fonds propres de l’entreprise (capital + bénéfices). La réforme de l’Isoc entend, à partir de 2018, limiter la déduction des intérêts notionnels à une moyenne mobile du capital supplémentaire calculée sur les cinq années précédentes. En d’autres termes, les déductions relatives aux intérêts notionnels ne seront plus basées sur l’ensemble des fonds propres de l’entreprise, mais uniquement sur l’augmentation de ces derniers.

Le taux fictif défini pour les intérêts notionnels est établi selon le taux d’intérêt moyen des émissions d’obligations linéaires sur 10 ans (en gros le taux d’intérêt sur la dette du Royaume) et sera de l’ordre de 0,746% à partir de 2018 (0,237% en 2017).

Rappelons que les intérêts notionnels, eux aussi initialement qualifiés de neutres budgétairement, ont engendré un trou de plusieurs milliards d’euros dans les caisses de l’État et devaient, au départ, être supprimés et non pas réformés.

Impôt minimum de 7,5%

Autre mesure compensatoire, l’introduction d’un impôt minimum. Afin de compenser les pertes liées à la diminution du taux nominal d’imposition et atteindre la fameuse neutralité budgétaire, le gouvernement compte également élargir l’assiette fiscale via l’insertion, à partir de 2020, d’un impôt minimum de 7,5% sur les bénéfices excédant 1 million d’euros.

Concrètement, l’idée est de créer une « corbeille » annuelle limitée à 1 million d’euros de bénéfices où les entreprises pourront réduire leurs impôts via différents procédés.. Au-delà de ce montant, les déductions fiscales seront limitées à 70% des bénéfices et les 30% restants seront imposés au taux nominal (donc 30% taxé à 25% = impôt de 7,5%).

La diminution du taux nominal semble donc plus concrète pour les PME et l’introduction de l’impôt minimum à 7,5% pour les plus grosses entreprises rend la mesure « plus juste » selon Koen Geens, ministre de la Justice.

Certaines multinationales ont déjà fait savoir leur mécontentement. En effet, avec l’introduction de l’impôt minimum et la limitation des intérêts notionnels l’addition s’avère finalement plus salée pour les grandes sociétés. Ceci pourrait bien entraîner l’effet inverse de celui attendu par le Gouvernement à savoir l’exode des capitaux et l’absence de nouveaux investissements en Belgique. Gageons cependant que les multinationales auront tôt fait de trouver la parade en ayant recours à la sous-traitance. C’est, sans doute, un biais fondamental et commun aux différentes politiques économiques en Belgique et en Europe : penser que le développement économique repose sur un tissu de PME indépendantes des groupes multinationaux.

La face cachée de l’iceberg : le financement de la réforme de l’Isoc

L’impôt des sociétés, qui ne représente même pas 10% des recettes fiscales (contre 50% pour les revenus du travail), aura fait couler beaucoup d’encre tant les tergiversations du gouvernement ont révélé le flou de son moyen de financement. En effet, si la diminution du taux nominal représente la face visible de l’Iceberg, le financement de la réforme en représente bel et bien la face cachée. Par conséquent, il convient de nuancer fortement les mesures compensatoires destinées à financer la baisse du taux nominal et atteindre la neutralité budgétaire.

Tout d’abord, on constate que le taux des intérêts notionnels, qui sera de l’ordre de 0,746% à partir de 2018, est particulièrement bas en comparaison avec le passé où il a pu atteindre les 4% comme par exemple en 2009. Ainsi, le cadeau fiscal est d’ores et déjà moins intéressant pour les entreprises qui bénéficient de déductions moins importantes. Par conséquent, on observe que la réforme de l’Isoc s’attarde à brider, symboliquement, une niche qui n’en est déjà plus une…

Ensuite, on observe que l’introduction d’un impôt minimum à 7,5% a peu de chances d’entrer en application étant donné que la restriction des déductions fiscales se limite uniquement à certaines niches, à savoir les intérêts notionnels qui ne rapportent déjà plus grand chose. En effet, selon le service d’études du PTB, les 50 sociétés qui bénéficient le plus des déductions fiscales ont été imposées à un taux de 1% en 2017. Après la réforme, ce taux évoluerait à 2,4% ce qui est deux fois plus, mais qui ne représente quand même que deux fois rien. Ainsi, l’introduction d’un impôt minimum à 7,5% pour les bénéfices excédant le million d’euros relève au mieux d’une farce ou au pire d’un mensonge.

Épinglé par la Cour des comptes ou encore la Commission européenne sur le flou de son argumentaire chiffré, le gouvernement Michel maintient néanmoins ses positions en garantissant la neutralité budgétaire. L’accord sur le budget, signé le 24 octobre 2017 par Sophie Wilmès, ministre du Budget (MR), n’évoque qu’à demi-mot la réforme de l’Isoc et se contente de souligner que ses mesures vont permettre d’améliorer la compétitivité de la Belgique. En définitive, bien loin de la justice fiscale, cette réforme semble ne représenter ni plus ni moins qu’un cadeau de plus au capital au nom du dogme de la compétitivité.