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Seraing, entre enthousiasme et scepticisme

Deuxième commune de la Province de Liège en nombre d’habitants (environ 63 000 en 2012), Seraing conserve les marques de son passé industriel et ouvrier Voir Jean Faniel, « Seraing, une commune façonnée par les luttes », Les analyses de l’IHOES, n°58, décembre 2009, http://www.ihoes.be/. Depuis la fusion des communes de 1977, Seraing englobe Boncelles, Jemeppe et Ougrée. Le tissu industriel et le logement s’imbriquent étroitement. L’évolution de la commune dépend en partie de celle de la sidérurgie qui en a fait la grandeur et le déclin. Les socialistes y détiennent la majorité absolue depuis 1899 quasiment sans interruption et, contrairement à ce qui s’est fait ailleurs en 2006, ne l’ont pas ouverte à d’autres partis. La législature 2006-2012 a été plus agitée sur le front économique que politique. Suite au décès en février 2005 de Guy Mathot, c’est son fils Alain qui s’est imposé comme homme fort. En octobre 2006, il a été confortablement élu et désigné bourgmestre, dépassant même le meilleur score de son père. Depuis lors, le leadership d’A. Mathot n’a pas été contesté et celui-ci semble même avoir fait oublier qu’il a été initialement brocardé comme « fils de ». Son assurance et sa détermination sont parfois ressenties comme de l’arrogance, y compris dans les rangs de son parti. Mais la majorité absolue détenue par le PS (56,9% en 2006) ne semble pas menacée.

« L’évolution de la commune dépend en partie de celle de la sidérurgie qui en a fait la grandeur et le déclin. »

Le sort de la sidérurgie est par contre passé par toutes les phases, ArcelorMittal (AM) soufflant le chaud et le froid. Le géant de l’acier a décidé en 2007 de relancer le haut-fourneau de Seraing (HF6), inversant ainsi la décision prise quatre ans plus tôt par Arcelor, avant son rachat par Mittal. Mais à la fin de 2008, le HF6 puis son voisin d’Ougrée (HFB) sont mis en veilleuse. En octobre 2011, AM annonce la fermeture définitive de la phase à chaud de la sidérurgie liégeoise. Depuis plusieurs années déjà, les pouvoirs publics ont réfléchi au redéploiement de Seraing, sur le plan économique et urbanistique. Un « masterplan » a été élaboré qui prévoit une série de projets redessinant en profondeur le paysage de la commune. Des voies sont tracées ou remodelées, plusieurs bâtiments ou complexes sont rénovés, des espaces commerciaux, administratifs, d’affaires ou de loisirs sont en préparation, du logement moyen et de standing doit être construit… Plusieurs chantiers importants prennent aujourd’hui forme de manière très visible. Seraing entend s’afficher comme une ville renouvelée. À quelques mois des élections communales, ces transformations qui sortent très concrètement de terre sont une vitrine sans doute percutante pour la liste PS.

Des transformations qui posent question

Ces transformations ont notamment pour objectif de réaffecter une série d’espaces et de bâtiments qui ne sont plus utilisés par la sidérurgie, soit en les rasant, soit en les rénovant pour les réaffecter à d’autres activités. Différentes contraintes pèsent sur ce travail. Après deux siècles d’activité, la pollution est un facteur qu’on ne peut négliger. La sidérurgie reste active sur différents sites implantés dans la commune, que ce soit à travers la cokerie – activité qui n’est pas la moins polluante – ou dans la phase à froid. Enfin, les atermoiements d’AM ont compliqué les projets de reconversion et de réaffectation des espaces. La majorité a dû composer avec les revirements successifs de la multinationale, a veillé à afficher son soutien (ni inconditionnel ni toujours très empressé) aux combats des métallos (autrefois pour la réouverture du HF6, désormais pour le maintien d’une sidérurgie intégrée – chaud, froid et recherche – en dehors du groupe AM via, notamment, une prise de participation publique), tout en cherchant à mener ses projets à bien dans un contexte mouvant et sans apparaître comme fossoyeur de la sidérurgie, ce que les milieux syndicaux ne manqueraient pas de dénoncer illico comme une trahison. Au conseil communal, l’opposition soutient globalement le redéploiement. Certaines critiques se font toutefois entendre. Ces projets posent effectivement question. Le nombre et la taille de certains d’entre eux impressionnent. Ne risque-t-on dès lors pas d’en voir certains avorter ou, pire, se transformer en grands travaux inutiles ou surdimensionnés ?

« Mais les projets de redynamisation mettent l’accent sur le changement immobilier et relèvent moins, voire peu d’une stratégie proprement industrielle. »

Si Seraing parvient à devenir le pôle d’attraction voulu, quelles seront les conséquences en termes de mobilité ? L’augmentation du trafic routier sera-t-elle supportable ? L’offre de transports en commun suivra-t-elle ? Le projet de tram liégeois, dans son état actuel, ne circulera pas sur le territoire sérésien. Le projet, très pertinent, de remettre en service la ligne de chemin de fer 125A ne semble pas encore mûr, malgré l’appui de la majorité communale et de la province. Afin d’introduire plus de mixité sociale dans son vaste parc de logements publics et d’engranger de nouveaux moyens pour l’entretien de celui-ci, la majorité sérésienne a voulu réserver une partie de ces logements à des ménages aux revenus un peu plus élevés qu’actuellement ; cela a provoqué un conflit avec les autorités wallonnes. Le redéploiement prévoit par ailleurs la construction de logements privés pour revenus moyens et supérieurs. Ce faisant, ne risque-t- on pas de voir marginalisée la population de la commune, dont le revenu moyen par habitant est l’un des plus faibles du royaume (66,2 % du revenu moyen national en 2008), dans un phénomène de gentrification déjà bien connu ailleurs ? Le taux de chômage à Seraing dépasse 25%. La population fait de la création d’emploi une de ses priorités. Mais les projets de redynamisation mettent l’accent sur le changement immobilier et relèvent moins, voire peu d’une stratégie proprement industrielle. Dès lors, créeront-ils suffisamment d’emplois ? Et ceux-ci seront-ils accessibles à la population locale ou l’essor espéré ne sera-t-il qu’un déplacement vers Seraing d’activités existantes ? Enfin, comment la ville de Seraing va-t-elle pouvoir poursuivre sa reconversion avec un budget sérieusement amoindri en raison des pertes fiscales dues à l’arrêt des activités d’AM, de l’accroissement (décidé par le gouvernement fédéral) des charges liées aux pensions des employés de la commune et du centre hospitalier du Bois de l’Abbaye, et de la perte de précieux dividendes suite à la mise en liquidation du holding communal due au naufrage de Dexia.

Les forces en présence

Si le PS affronte la campagne électorale avec des réalisations bien concrètes à son actif, il fait également face à des défis importants pour la poursuite du redéploiement. Ses relais à d’autres niveaux de pouvoir pourraient être un atout. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’A. Mathot ait renoncé à toute ambition ministérielle, fédérale ou régionale, freinée notamment pour cause d’accusations pesant à son encontre. L’entente avec Willy Demeyer, bourgmestre de Liège, n’est par contre plus nécessairement aussi bonne qu’avant, des dossiers comme celui du tram ayant pu induire certaines tensions. L’appui de la fédération liégeoise du PS, présidée par W. Demeyer, pourrait désormais être moins aisé à obtenir pour faire avancer des projets dépassant les frontières communales.

« Poil à gratter du PS sur sa gauche, le PTB sera-t-il favorisé par le contexte socio-économique général de crise et d’austérité ? »

Face au PS, les autres listes auront fort à faire pour se distinguer. En progrès continu, le MR pourrait à terme bénéficier du redéploiement si celui-ci attire une population plus aisée et plus sensible aux arguments libéraux. Pour le CDH, se distinguer n’est pas chose aisée dans une commune urbaine et fortement laïque. Des tensions sont en outre survenues au sein même de la section locale et il se pourrait qu’une liste commune soit déposée avec le MR. Autrefois deuxième groupe au conseil communal, Écolo doit parvenir à articuler son discours environnementaliste aux préoccupations sociales de la population sérésienne, sous peine de conserver une étiquette de « parti des bobos » peu encline à le faire progresser dans un tel milieu. Entré au conseil communal en 2006, le PTB semble être parvenu à s’implanter à Seraing, en bonne partie grâce au travail de terrain mené à travers sa maison médicale. Sa liste accueillera des candidats du Parti communiste et sa campagne s’appuie sur une vaste enquête destinée à cerner les préoccupations de la population. Poil à gratter du PS sur sa gauche, le PTB sera-t-il favorisé par le contexte socio-économique général de crise et d’austérité ou handicapé par les réalisations du PS sur le plan local ? Enfin, d’autres listes viendront-elles complexifier le jeu dans cette ville qui a autrefois compté deux élus d’extrême droite ? Seraing est en transformation et cela se voit à présent clairement. Mais les incertitudes demeurent nombreuses. Reste à voir ce qu’en pensent les habitants qui se prononceront le 14 octobre.