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Service minimum, sanctions en prison : la controverse

L’absence de service minimum dans les prisons contrevientil à certains droits des prisonniers (visites de famille, soins de santé…) ? Mais, sans droit de grève, les agents pénitentiaires se trouveraient pour leur part démunis face à leurs patrons. Quant aux sanctions en prison, sont-elles nécessaires aux gardiens pour maintenir l’ordre ou constituent-elles un abus de pouvoir de leur part ? À travers le point de vue de deux acteurs, au nom des détenus et des travailleurs, ce sont deux droits fondamentaux qui s’opposent.

POUR le service minimum : la grève ne respecte pas les droits des détenus

> Delphine Paci, avocate, Observatoire des prisons S’il n’est aucunement question de remettre en cause le droit de grève, il convient de rappeler que ce droit n’est pas et ne peut pas être absolu. La difficulté du métier d’agent pénitentiaire, liée aux conditions carcérales exécrables, est elle aussi incontestable. Deux droits fondamentaux s’affrontent : celui de déclencher une grève, et celui pour la personne détenue de voir ses besoins vitaux assurés. La balance doit forcément pencher en faveur de ce qui est vital. On imagine mal un État autorisant la grève de l’ensemble du personnel soignant, ou des services de pompiers… Pourtant, la Belgique est le dernier État du Conseil de l’Europe avec l’Albanie à ne pas prévoir de service garanti en cas de grève des agents pénitentiaires. Ces grèves mettent en péril les droits les plus élémentaires des détenus (visites des familles, des avocats, distribution des repas, douches et préaux supprimés, soins de santé…). De plus, différents types de grèves apparaissent dans nos prisons. Ainsi, les services d’aide aux détenus et les visiteurs de prison ne peuvent plus rencontrer de détenus à la prison de Forest depuis mars 2012, et leur fournir l’aide sociale et psychologique indispensable à leur réinsertion. La menace de grève est trop souvent employée comme moyen de pression des syndicats pour des revendications non justifiées, comme le fait de limiter les activités des détenus.

CONTRE le service minimum : la grève, seul moyen de pression

> Rudy Schrouben, agent pénitentiaire, prisons de Saint-Hubert et de Lantin Lors de grèves du personnel, JAMAIS les besoins vitaux des détenus n’ont été en péril. Il ne faut pas confondre besoins vitaux et condition de détention. Est vital : l’oxygène, la nourriture et l’accès aux soins. Les visites familiales, les avocats, les préaux… ne le sont pas. Pour les détenus, le plus gros problème qu’engendrent les grèves est la difficulté d’approvisionnement en drogue car il n’y a pas de visite, pas de congé pénitentiaire ou de permission de sortie, pas de visite hors surveillance. La sécurité est assurée par la police et la distribution des repas par la protection civile. Médecins, infirmiers et une petite partie du personnel (chef surveillant, technicien des cuisines et quelques agents) sont autorisés à entrer afin de garantir un fonctionnement minimum. Le jour où un service minimum sera obligatoire, il ne servira plus à rien de faire grève car il n’y aura plus aucune pression sur le pouvoir administratif et politique ! De plus, l’argument consistant à pointer l’exception belge (et albanaise) concernant l’absence de service minimum en cas de grève des gardiens de prison est fâcheux dans la bouche de ceux-là même qui reprochent à l’OCDE ou à la Commission européenne de vouloir supprimer l’indexation des salaires en arguant notamment que ce système n’existe plus que dans de rares pays. Ce qui serait la preuve de son caractère obsolète.

Pour les sanctions en prison : « Manque de confiance envers le personnel »

> Rudy Schrouben Le système des sanctions a fortement évolué ces dernières années. Si l’uniformisation des sanctions au sein d’un même établissement, voire à toutes les prisons du royaume, est plutôt positive, d’autres changements sont apparus. Malgré les rapports disciplinaires, de plus en plus de petites infractions comme les insultes, les agressions verbales, le retard à l’appel (moment important de contrôle dans les prisons ouvertes comme Saint- Hubert…) ne sont plus sanctionnées par la direction. Dès lors, les gardiens ne remplissent plus ces rapports ou aggravent le type de sanctions pour s’assurer qu’elles soient prises en compte. De plus, la durée des sanctions a diminué et les conditions sont plus douces. Afin de respecter les droits du détenu, l’administration a alourdi la « paperasserie » : mesure provisoire, délais à respecter, droit à un avocat… Il est décevant de constater le manque de confiance visà- vis du personnel à qui il n’est pas autorisé de donner la moindre sanction comme un professeur à qui on interdirait de donner la moindre sanction à ses élèves. Et les conséquences sont nombreuses : les gardiens appliquent à la lettre le règlement et refusent des faveurs (comme donner une information par exemple) aux détenus récalcitrants et certains détenus se permettent plus de choses, ils savent qu’ils ne seront pas sanctionnés. Résultat : les relations entre détenus et gardiens, basées en partie sur des éléments informels, sont mises à mal.

Contre les sanctions en prison : le règne des abus

> Delphine Paci La prison est une microsociété dans laquelle règne l’arbitraire, et la matière disciplinaire se prête particulièrement à tous les abus. Avant septembre 2012, chaque prison fixait à sa guise les comportements susceptibles d’être sanctionnés disciplinairement, et ce sans que cela ne soit toujours communiqué aux détenus. Il est contre-productif de lancer ce double message. Un : « Vous êtes détenu car vous n’avez pas respecté les normes en vigueur dans une société ». Deux : « Dans votre prison, il n’existe aucune norme préétablie ». Donner à la personne détenue la possibilité de se défendre, en étant accompagnée d’un avocat, est une avancée en matière de droit de la défense. Malheureusement, l’avocat est trop souvent convoqué par fax à des heures fantaisistes pour le lendemain matin, et ne dispose pas d’un dossier complet. La parole de l’agent « verbalisant » est parole d’évangile, et celui-ci est présent lors de l’audition du détenu par la direction. Les témoins cités par « l’accusé » ne sont qu’exceptionnellement entendus. Les audiences disciplinaires sont en réalité des parodies de mauvaise justice. Si monsieur l’agent pénitentiaire ose un parallélisme avec la situation de l’enseignement qui sanctionne un élève, on relèvera que l’élève ne se verra jamais placé au cachot pendant plusieurs jours, ni privé de contacts avec l’extérieur. Les sanctions disciplinaires sont en général d’une grande sévérité, et dépendent trop souvent des pressions des agents sur la direction.