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Silence, on marche

«Oserai-je le dire? Je n’étais pas parmi les 80.000 personnes qui ont défilé après le meurtre de Joe, pas plus que je n’ai participé à la Marche blanche, et pas plus que je n’irai à d’autres manifestations du même genre, à Anvers ou ailleurs. Pourtant, la marche ne me fait pas peur, je n’hésite pas devant ma manif hebdomadaire, depuis celles qui rassemblent cinquante personnes qui se connaissent toutes, devant les centres fermés, jusqu’aux grandes mobilisations syndicales ou la Marche mondiale des femmes… Mais là non. Je refuse. Je reste chez moi, et c’est presque un acte militant. — Mais tu vas nous dire pourquoi. — Eh bien ! Parce que rendre hommage, se recueillir, oui, bien sûr. Seulement après, on a tous ces discours politiques prétendant avoir «entendus le message des citoyens», un message qui s’est pourtant voulu silencieux. Ce qui me gêne, ce n’est pas tant ce silence, c’est le contenu que d’autres y mettront. Les 80 000 personnes exprimaient toutes leur solidarité avec les proches de Joe, mais ce qui a été «entendu», c’est une demande pour davantage de policiers, davantage de caméras dans les rues… Eh bien non ! Je refuse que ma présence serve de caution à Big Brother. — Oh, mais les caméras, la sécurité dans les lieux publics, c’est déjà dépassé! La politique consistant désormais à courir derrière les événements, l’actualité du jour C’est-à-dire la mi-mai: car qui sait quelle autre actualité occupera le devant de la scène d’ici la parution de ce texte.. c’est la découverte que le racisme peut tuer et qu’il faudrait quand même restreindre la possibilité d’acheter librement des armes dans le commerce ! Un drame chasse l’autre, les politiques suivent. Comme l’a dit Nabela Benaïssa Sœur de la petite Loubna assassinée en 1992. Interview du Morgen reprise par Le Soir du 8 mai 2006 : «Nous avons cette habitude en Belgique: quand il se produit quelque chose, on décide de prendre des mesures et quand il se produit encore quelque chose, on en instaure d’autres, ajoutant: Ni la politique ni la justice ne peuvent surfer sur les vagues de l’actualité. Cela ne fait pas progresser notre société d’un pas.» — Peut-être faudra-t-il qu’un demandeur d’asile se fasse poignarder dans le métro ou tirer comme un lapin dans la rue pour qu’une réponse plus humaine soit donnée à tous ces gens qui occupent des églises dans l’indifférence médiatique… Pourtant, dans leurs histoires aussi, on trouve du sang et des larmes, et des jeunes et des enfants, et du racisme à gogo! — Encore faut-il qu’un fait divers, aussi tragique soit-il, soit élevé au rang de «fait de société» par les médias. Je vous choque? Le 2 mai dernier près de Liège, une femme a été rouée de coups puis étranglée par son mari en pleine rue. Vous en avez entendu parler? Vous avez vu des débats à ce sujet, semaine après semaine Par respect de la vérité, il faut dire que le sujet a été évoqué lors de Controverse sur RTL, le 7 mai dernier, au cours d’un débat plus général sur la violence ? Remarqué des propositions politiques? Et pourquoi non ? Faut-il en conclure que la violence conjugale, même si elle va jusqu’au meurtre, ce n’est pas un de ces «faits de société» mais l’effrayante banalité quotidienne qui vaut à peine un entrefilet? — On n’a d’ailleurs pas beaucoup entendu les femmes dans tous ces débats, et pourtant la sécurité dans les rues et les lieux publics, ça les concerne de près… Certaines y travaillent de leur côté, par exemple par les marches exploratoires, histoire de voir ce qui, dans l’aménagement urbain, l’éclairage, peut améliorer la sécurité. Une question bien d’actualité à l’approche des élections communales…»