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Surpopulation : que faire ?

Ces dernières années, la Belgique fait face à une surpopulation importante dans ses prisons. De nombreuses initiatives sont prises pour tenter d’enrayer ce phénomène. La transaction pénale, renforcée ces dernières semaines, ou le bracelet électronique sont deux exemples parmi d’autres. Quel est le point de vue des partis sur ces deux méthodes ? Permettent-elles d’endiguer le phénomène ? Est-ce une solution à long terme face à la surpopulation carcérale ? Trois avis.

L’outil pénal comme gestion de l’insécurité sociale

Joke Callewaert, avocate, spécialiste Justice du Parti du Travail de Belgique – PTB Les peines privatives de liberté sont trop souvent mises en place. Une importance beaucoup plus grande devrait être accordée à la justice réparatrice : la transaction pénale est, dans son principe, un bon mode de résolution alternatif des conflits. C’est une façon de réagir à la criminalité en essayant de trouver une solution entre auteur et victime tout en donnant une possibilité à la société de réagir contre l’auteur pour avoir enfreint la loi. Mais les modifications récentes de la transaction pénale la détournent de ces objectifs. Même pour des faits graves et alors que le procès pénal est déjà en cours, ceux qui bénéficient de ce système – une infime minorité de fortunés – pourront payer une somme d’argent pour échapper à leur procès : une véritable justice de classe. La transaction pénale n’est ainsi pas une réponse à la surpopulation pénitentiaire. La ministre de la Justice Annemie Turtelboom l’a d’ailleurs elle-même admis, en commission Justice de la Chambre et du Sénat, affirmant que la transaction contribue à dégager une solution réaliste dans les dossiers de fraude complexe. Le bracelet électronique peut être une bonne alternative à la prison. Il donne la possibilité à la personne de continuer à vivre dans la société, à travailler, à étudier, tout en étant contrôlé. Le bracelet peut prévenir que des ruptures lourdes se créent au sein des familles et permet que la personne sanctionnée puisse continuer à prendre ses responsabilités et non devenir une charge pour la famille et pour la société en étant en prison. Mais, là encore, les effets pervers doivent être évités : le bracelet ne doit pas être une piste pour être encore plus répressif, en poursuivant des faits qui auparavant n’étaient pas sanctionnés. Plus généralement, nous ne pensons pas que ces dispositifs sont de réelles solutions à la surpopulation carcérale car ils ne posent pas le débat de fond. Pour nous, il faudrait en réalité s’interroger sur la nécessité de l’emploi de peines privatives de liberté dans tous les cas où elles sont aujourd’hui appliquées. L’augmentation généralisée des populations carcérales est due à l’utilisation croissante du système pénal comme un instrument de gestion de l’insécurité sociale comme l’a montré le sociologue français Loic Wacquant. Cette insécurité sociale est une suite directe de la crise que vit le système capitaliste depuis des années. L’incarcération n’est de ce point de vue généralement pas une solution. Le taux de récidive est très élevé et le fond des problèmes n’est pas résolu. Tant que nous ne remettons pas en cause radicalement notre modèle économique, aucune solution à long terme n’est possible à propos de la surpopulation carcérale.

Pour des peines éducatives

Valérie Déom, députée fédérale – PS La surpopulation carcérale est un problème récurrent. Diverses idées ont déjà été mises sur la table ces dernières années mais peu ont porté leurs fruits. Selon le rapport de décembre 2011 de la Cour des comptes, seules les libérations anticipées ont eu un impact substantiel sur la surpopulation carcérale. Il s’agit donc d’un problème global qui doit faire naître une multitude de solutions afin d’améliorer le sort des gardiens de prison et de mettre fin aux conditions de vie inhumaines des détenus. Même si la transaction pénale ne s’applique pas seulement aux grands dossiers de fraude fiscale, c’est bien dans cette optique que le PS a soutenu le texte. Ces dossiers fiscaux restent actuellement souvent impunis. Dans ce contexte, la transaction pénale doit donc permettre de lutter contre l’impunité et contribuer à résorber l’arriéré judiciaire. Néanmoins, si cela peut permettre d’éviter certains procès-fleuves dont l’issue est très incertaine, cette mesure n’aura pas réellement d’impact sur la surpopulation carcérale. De plus, pour que le système soit efficace, il faudra également veiller au renforcement des moyens de la Justice et de l’Inspection spéciale des impôts. Pour le PS, le bracelet électronique peut être considéré comme une peine alternative intéressante. Toutefois, l’apposition d’un bracelet électronique ne peut être une peine qui exclut plus encore que la prison. Dès lors, la personne qui porte un bracelet électronique doit bénéficier d’un accompagnement psychosocial, doit être soutenue durant cette période notamment pour trouver un travail. C’est à ce prix que peut intervenir la réinsertion. Il importe que la peine soit « éducative » et qu’elle permette à la personne qui la subit d’être meilleure après sa sortie de prison qu’elle ne l’était avant d’y entrer. Ce n’est qu’à cette condition que l’on diminuera la récidive et donc la délinquance et, à terme, la population carcérale. Pour le PS, ces deux mesures sont certes intéressantes mais elles ne suffiront pas à endiguer le problème de la surpopulation carcérale. Nous pensons que d’autres mesures telles que la diminution du nombre de détentions préventives, la fin des condamnations à l’emprisonnement pour certains « types » de délinquants, par exemple, pour les toxicomanes, pour les personnes atteintes de troubles mentaux… et, globalement, pour toute personne dont la place n’est assurément pas en prison. Nous pensons également à la mise sur pied d’autres peines alternatives. Ce n’est qu’à ces conditions que nous pourrons arrêter de construire inlassablement des prisons qui se rempliront aussi rapidement.

Intensifier et diversifier les peines alternatives

Éric Jadot, Fouad Lahssaini (députés fédéraux) et Zakia Khattabi (sénatrice) – Écolo Le recours à l’enfermement est toujours un aveu d’échec et doit rester le recours ultime. Nous sommes dès lors en droit d’attendre du gouvernement une politique pénale réfléchie, globale et cohérente. Nous en sommes loin… Le discours tenu actuellement par le gouvernement Di Rupo sur la question est ambivalent. Pire, il ne comporte aucune vision sociétale. D’un côté, l’accent est mis sur le répressif espérant ainsi « rassurer la population ». Mais, de l’autre côté, rien n’est fait pour régler les problèmes que connaissent nos prisons surpeuplées, ingérables et, pour certaines, carrément insalubres et d’un autre âge. L’actuelle situation de crise que traverse notre système pénitentiaire amène inévitablement à se poser plusieurs questions fondamentales tant sur la gestion pénitentiaire en tant que telle que sur les options choisies pour endiguer le phénomène de surpopulation. Il est évident que le développement et la diversification des sanctions ou mesures alternatives doit être intensifié (et cela aura un coût). Mais encore faut-il que mesures et sanctions soient réellement utilisées comme alternatives à la prison sinon elles risquent d’aggraver encore la surpopulation. Les rares alternatives qui existent à l’heure actuelle ne sont que très rarement appliquées en remplacement d’une peine de prison ferme et davantage à la place d’amendes, de sursis ou de probation. Aujourd’hui, la surpopulation carcérale s’aggrave ainsi en dépit du fait que le recours à la surveillance électronique augmente. La surveillance électronique ne se substitue donc pas à la détention mais s’y ajoute. Quant à la transaction pénale (qui vient d’être élargie à des crimes et délits passibles de peines allant jusqu’à 20 ans de prison) elle n’est pas non plus exempte de critiques : outre qu’elle nous interpelle quant à sa portée et aux implications en termes d’égalité des citoyens face à notre système (ne se verront en effet proposer ou au mieux appliquer une transaction que ceux qui auront les moyens de la payer) on assiste par cette pratique à une dépénalisation de la criminalité financière et à une impunité de fait, pour les grands dossiers de fraude fiscale. Il est plus que temps, pour le gouvernement, de prendre ses responsabilités et de proposer une politique pénitentiaire qui donne un sens à la peine de prison lorsque celle-ci est inévitable, qui améliore l’encadrement des détenus, leurs conditions de vie, les pistes de réinsertion, sans oublier les conditions de travail des agents.