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« Territoires zéro chômeur de longue durée » : outil intéressant ou poudre aux yeux ?

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La Belgique louche souvent sur la France, même si c’est plus rare pour les politiques d’emploi, les modèles étant très différents entre les deux pays. Les nouveaux gouvernements wallon et bruxellois veulent pourtant s’inspirer d’une expérimentation démarrée en France en 2016. Qu’en penser ?

Cet article a paru sur le site de Politique en octobre 2019.

Les politiques d’emploi, et donc de chômage (même si dans une moindre mesure), ayant été en grande partie régionalisées, il était intéressant de voir ce que les Déclarations de politique régionale (DPR) contiendraient à ce sujet. Sans grande surprise pour les observateurs, on retrouve, tant dans la DPR bruxelloise que dans la wallonne, deux idées présentées comme novatrices et positives : la Garantie Jeunes (dont nous parlerons dans une prochaine analyse) et les « territoires zéro chômeur de longue durée ». Cette dernière proposition se retrouve également dans la DPR bruxelloise (page 23) en ces termes : « Le gouvernement mettra en œuvre, dans les quartiers statistiquement les plus pertinents, un projet pilote inspiré du modèle des territoires « Zéro chômeur de longue durée » et adapté à la réalité urbaine bruxelloise. L’objectif est de mieux répondre aux besoins de la région et aux compétences des chercheurs d’emploi ». Le texte de la DPR wallonne, une page plus loin, dans un paragraphe intitulé : « Des expériences pilotes de territoires zéro chômeur de longue durée » est un peu plus disert : « La Wallonie fixera le cadre légal pour développer l’approche « territoire zéro chômeur de longue durée » sur des territoires volontaires et, sur base d’une démarche volontaire des demandeurs d’emploi, assurera la mise en place d’expériences pilotes dans certains bassins d’emploi, à partir d’un travail avec les acteurs de terrain, notamment avec le soutien des dispositifs d’économie sociale, en mobilisant les outils existants (couveuses d’entreprises, accompagnement par les CISP, etc.) » Chacune des deux régions débuterait l’expérience avec trois « territoires ».

De quoi s’agit-il ?

Pour en savoir plus, nous avons participé le 9 septembre 2019 à un séminaire à Charleroi dont l’objet était de réfléchir aux critères et méthodes d’évaluation d’un tel projet pilote qui serait lancé chez nous (notamment dans le Hainaut Sud)[1.Le bilan de l’expérience rurale y a été présenté par Jean-Pascal Higelé (Université de Lorraine) et celui de l’expérience urbaine par Florence Jany-Catrice (Université de Lille).].

L’expérimentation ‘Territoire zéro chômeur de longue durée’ (TZCLD) est menée depuis 2016 sur dix territoires français (cinq ruraux et cinq urbains ou semi-urbains). Le projet TZCLD a été pensé en France par ATD Quart Monde (qui est dans ce pays une association bien plus grande que chez nous) au départ de trois credos :

1) personne n’est inemployable,

2) ce n’est pas le travail qui manque mais bien l’emploi,

3) ce n’est pas non plus l’argent qui manque puisque chaque année le chômage de longue durée entraîne de nombreuses dépenses et manques à gagner que la collectivité prend à sa charge. (Voir la présentation française de la démarche)

Il y aurait déjà beaucoup à dire sur ces prémisses. D’abord parce que la réalité est aussi qu’il y a des  sans-emploi pour lesquels, au moins temporairement, la distance par rapport à l’emploi est de facto immense, sans qu’ils en soient responsables pour autant (et d’ailleurs, on le verra, ceux-là risquent d’être probablement exclus tout aussi de facto de la mesure). Ensuite parce qu’on s’étonne de ne pas mettre en avant premièrement le fait que la différence entre travail et emploi appelle d’abord la réduction collective du temps de travail. Enfin parce que ATD Quart Monde parait insinuer ainsi que les sans-emploi bénéficient de la générosité de la collectivité alors qu’ils sont des ayants droit d’un régime assurantiel.

Une idée généreuse et positive

Mais reconnaissons un aspect positif et même quasi subversif au postulat de départ : il s’agit de renverser l’idée, prégnante aujourd’hui, que les demandeurs d’emploi devraient s’adapter aux offres disponibles et, ajouterions-nous, que c’est leur faute s’ils n’y correspondent pas. La proposition porte carrément l’ambition de réaliser le droit au travail théorisé tant par la Constitution française que par l’article 23 de la Constitution belge.

En outre, le projet doit être porté par des acteurs locaux, ce qui est plus rassurant que des projets venant d’en haut et déconnectés du terrain. Ensuite, il se prétend centré sur la qualité de l’emploi : les chômeurs de longue durée doivent être engagés dans le cadre de contrats de travail à durée indéterminée, pouvoir prester à « temps choisi » et être investis dans l’animation de leur entreprise. Il est censé être accessible à tous les sans-emploi de longue durée, sans opérer donc de sélection, pour des emplois créés à partir de leurs compétences, savoir-faire et motivations. La démarche doit être volontaire dans le chef des chômeurs de longue durée : la participation à l’expérience ne peut en aucune manière être contrainte. Pour concrétiser ces projets, des « Entreprises à but d’emploi » (EBE) sont créées. L’EBE est l’employeur, sur un territoire donné, des chômeurs de longue durée qui décident de rentrer dans le projet.

Le terrain avant le politique

En 2018, les acteurs de terrain à Charleroi et en province de Luxembourg ont avancé sur la mise en œuvre d’une telle expérience. Ils ont déjà lancé un « appel à manifestation d’intérêt » afin de voir les territoires intéressés. Dans ce cadre, ils ont demandé à des chercheurs de réfléchir aux critères et méthodes d’évaluation de l’expérience. C’est donc une mesure qui vient de l’échelon local et n’est pas imposée par le haut par le régional, à la grande différence de la Garantie Jeunes qui nous vient de l’Europe. Ainsi, en 2018, l’Instance Bassin Enseignement Qualifiant – Formation – Emploi (IBEFE) Hainaut Sud s’est intéressée à l’expérimentation et a envisagé l’implémentation de ce dispositif sur son territoire[2.Vu les initiatives d’acteurs locaux, le gouvernement wallon ne devra pas chercher les trois premières zones : deux sont déjà définies sur le bassin de Charleroi – Sud Hainaut (une en zone urbaine, un autre en zone rurale) et une sur le Luxembourg. A Bruxelles, nous n’avons pas connaissance de zones déjà choisies.]. Pour mener à bien ce projet, elle s’est appuyée sur une série d’acteurs carolorégiens. Différents groupes de travail, un comité d’accompagnement et un comité d’accompagnement scientifique se sont constitués autour de cette initiative. La nécessité de se pencher sur la question de la « transplantation législative » du dispositif en Belgique est très vite apparue. En effet, le paysage institutionnel et législatif belge est très différent de celui qui a permis l’éclosion des territoires zéro chômeur en France. Une analyse de faisabilité juridique a donc été effectuée par des chercheurs[3.Importer l’expérience française ‘Territoire zéro chômeur de longue durée’ en Belgique : questions juridiques, Executive Summary, Juin 2019, Jean-François Neven, chercheur au Centre de droit public et Elise Dermine, professeure au Centre de droit public, Université libre de Bruxelles.]. Elle s’est penchée sur l’articulation entre le caractère volontaire de la participation des chômeurs à l’expérience TZCLD et la réglementation du chômage, sur le statut juridique de l’Entreprise à but d’emploi (EBE) et sur les exigences contenues dans le droit de l’Union européenne. Nous n’entrerons pas ici dans les détails de cette étude, très intéressante, qui dégage des solutions de transposition. Nous signalerons seulement la partie visant à vérifier s’il est possible, et à quelles conditions, de garantir le caractère volontaire de la participation au projet des chômeurs de longue durée – trait central de l’expérience TZCLD – au regard de la réglementation belge sur le chômage. L’étude propose l’adoption d’un protocole de collaboration entre le FOREM et l’EBE. Car, pendant la phase préalable à la signature d’un contrat de travail avec l’EBE, le chômeur reste tenu par l’obligation de recherche active d’emploi et est susceptible d’être convoqué à un contrôle. L’étude suggère que le FOREM confirme que la participation à la phase préparatoire est prise en compte dans l’évaluation du comportement actif de recherche d’emploi et que le fait pour les demandeurs d’emploi de longue durée de ne pas diversifier leurs recherches d’emploi et de se focaliser sur l’élaboration du projet avec l’EBE ne pourra pas leur être reproché. De même, le FOREM pourrait envisager l’octroi automatique d’une évaluation positive en faveur des demandeurs d’emploi qui sont impliqués dans la préparation du contrat de travail avec l’EBE, depuis un certain temps. L’étude insiste sur la nécessaire relation de confiance entre le FOREM et le chômeur concerné[4.Idem p. 10.]. Ce ne sera sans doute pas facile puisque les politiques d’activation ont eu pour effet de rompre la confiance de beaucoup de demandeurs d’emploi dans les organismes de l’emploi (ONEm, Forem, Actiris).

Un bilan de l’expérience française

Au-delà de cette étude juridique, le comité d’accompagnement scientifique a organisé un séminaire, celui précité, qui a permis de faire part de l’évaluation de deux des dix expériences françaises, l’une en milieu rural, l’autre en terrain urbain. Ces évaluations ont montré les nombreuses limites du projet (au-delà de points positifs). C’est évidemment un exercice essentiel avant une éventuelle transposition de tirer un bilan sans concession de ce qui a déjà été fait. Reconnaissons dès lors aux initiateurs du projet cette honnêteté, couplée à une volonté de tenir compte des défauts épinglés afin d’y apporter des solutions. Dans la suite de cette analyse, nous mettons donc en avant les points qui posent question et/ou problème, et tentons également, à la lumière de notre expérience, d’envisager s’ils peuvent être selon nous surmontés dans une version « belge » (ce qui ne présume pas de ce que le comité d’accompagnement serait lui peut-être capable de réussir). De manière générale, le résultat de l’expérience dépend intimement du comité d’accompagnement, ce qui signifie qu’en dehors du projet carolo, il s’agira d’être tout aussi exigeant qu’eux quant à sa composition et son implication. Notre analyse mêle donc la critique des principes du dispositif lui-même et des critiques découlant de sa mise en œuvre en France.

La phase préalable

Commençons par la préparation. On l’a dit, l’idée stimulante est de partir des « besoins » non satisfaits (et en général non solvables) d’un micro-territoire d’une part et d’autre part des compétences et souhaits des sans-emploi de longue durée du même micro-territoire. On se dit d’emblée que ces deux données ne vont pas automatiquement « matcher ». Dans l’expérience rurale, les autorités locales étaient en manque d’une entreprise de bûcheronnage et ont donc poussé pour que ce soit l’un des projets mis en place. Quelle est la véritable autonomie de choix des personnes concernées dans ce contexte ? En outre, si une activité comme celle-là est jugée nécessaire par les autorités locales mais n’est pas suffisamment rentable pour intéresser le privé, pourquoi ne l’organisent-elles pas comme un service public ou, au moins, en soutenant une entreprise d’économie sociale avec des emplois barémisés ? Car ici, nous y reviendrons, les participants sont payés au SMIC (salaire minimum français).

Il nous semble donc que le périmètre des activités qui pourraient être menées dans ce cadre devrait être défini de façon concertée, qu’il devrait s’agir d’activités apportant un plus mais en tout état de cause pas des activités nécessaires (de base) sur un territoire donné, comme c’est le cas d’une entreprise de bûcheronnage. Il semblerait logique qu’il s’agisse de « micro-activités » sur des  micro-territoires (comme pour reprendre des exemples pratiqués en France du maraîchage urbain, une épicerie solidaire, une ressourcerie, même si toutes ces activités pourraient aussi être développées par l’économie sociale).

L’une des conditions de l’expérimentation est d’ailleurs ne pas concurrencer une activité existante. Mais cette notion est floue. S’il y a sur le territoire un marchand de haricots, mettre sur pied une activité de vente de tomates, est-ce ou non une concurrence ? Plusieurs intervenants du séminaire ont plaidé pour une conception souple du principe de non-concurrence. Ce qui pose tout de même des questions en termes de mise en danger d’activités existantes ne bénéficiant pas du soutien de l’expérience TZCLD.

La plupart des projets évalués en France n’ont pas été suffisamment pensés/préparés. Se pose la question d’une activité démarrant de zéro : quels locaux, quels équipements, quels outils, quelle organisation, quel capital, etc. ? A nouveau, cela plaide pour des activités de petite taille, réclamant le moins possible de contraintes logistiques.

La « sélection » des participants

L’expérience TZCLD se veut ouverte : en France, l’expérimentation vise les personnes « durablement privées d’emploi », toutes, quel que soit leur statut. Voilà pour l’intention affichée. Mais, dans les faits, dans les évaluations présentées, les participants étaient des allocataires (chômage ou RSA – plus ou moins l’équivalent de notre RIS). Or, à partir du moment où l’une des bases du financement est l’allocation de chômage qui est activée, cela exclut de facto les sans-emploi qui ne perçoivent pas ou plus d’allocation, alors même qu’ils sont a priori les plus concernés. Il nous a été répondu que le financement belge ne suivrait pas nécessairement la même structure. Ce à quoi nous objectons l’expérience vécue par la mise à l’emploi en article 60 & 7. Cet article de la loi organique des CPAS stipule à l’origine que « Lorsqu’une personne doit justifier d’une période de travail pour obtenir le bénéfice complet de certaines allocations sociales, le CPAS prend toutes les dispositions de nature à lui procurer un emploi ». Autrement dit, en 1976, au moment où on augmente le nombre de jours de travail nécessaire pour obtenir le droit au chômage, l’idée est de permettre à une personne à qui il manquerait des jours de les obtenir via le CPAS. Au fil du temps, la mesure a été transformée en une mesure de mise à l’emploi des bénéficiaires du Revenu d’intégration sociale (RIS, ex-minimex). Dès lors, même si rien dans la loi ne réserve le dispositif à ces bénéficiaires, dans les faits plus aucun CPAS n’a agi autrement. Ceci pour des raisons principalement financières, au premier chef desquelles le fait que le RIS (et une subvention fédérale supplémentaire) était activé comme partie du salaire. Depuis la récente régionalisation du dispositif, c’est encore pire : il est explicitement spécifié que la mesure concerne les bénéficiaires du RIS (ou de l’aide équivalente). Cette expérience nous rend très sceptique quant au fait qu’une EBE ne privilégie pas les bénéficiaires d’allocations de chômage ou du CPAS, au détriment des sans-emploi ayant perdu toute allocation. A moins bien sûr que le financement public soit garanti dans les deux cas, mais, à nouveau, cela paraît peu plausible. Durant le séminaire et dans d’autres déclarations, on a entendu régulièrement dire qu’il n’y aurait pas de sélection et, un peu plus tard, que l’allocation faisait partie du financement. Dans un article du Soir, on pouvait lire ainsi sous la plume de Pascal Lorent « Un budget qui, contrairement à la France, pourrait ne pas venir de l’activation des allocations de chômage. » Mais, quelques lignes plus loin, figure cette déclaration de Paul Timmermans, président de la Chambre emploi-formation du Bassin Hainaut-Sud : « Cette somme sera soustraite à l’enveloppe du paiement des chômeurs et des aides à l’emploi[5.Le Soir du 25 juillet 2019, p. 8.] ». Les mêmes contradictions sont apparues pendant le séminaire.

Mais le problème de sélection ne se limite pas à « l’apport » financier que représente le candidat. Il y a bien sûr la question des qualifications dont il dispose et qui doivent correspondre aux profils recherchés. Dans l’expérience urbaine, au départ les travailleurs étaient à 68% des hommes plutôt qualifiés. Certes, ensuite, c’est plus diversifié mais il est illusoire de penser qu’il n’y a pas sélection.  D’autant qu’une part du financement du projet vient du résultat de l’activité et qu’il y a donc des impératifs de productivité qui poussent aussi à « faire le tri » (on parle en France de 30 % de rentabilité, donc près d’un tiers de fonds venant de l’activité). Il y a un véritable risque de politique du chiffre, a fortiori maintenant que c’est un objectif de deux gouvernements : on veut montrer que ça marche avec toutes les dérives que ça peut impliquer en termes de sélectivité, d’exigences de productivité, de pressions voire de harcèlement. Certaines agences de Pôle Emploi n’ont pas fait la promotion de la mesure pour ne pas « attirer » les chômeurs les plus éloignés de l’emploi.

Enfin, et surtout, on parle d’une quarantaine d’équivalents temps plein par zone belge. Dans des territoires où le chômage est élevé. On sait donc qu’il n’y aura pas de place pour tout le monde. En France, d’ailleurs, il y a des listes d’attente de candidats. Dans ces conditions, parler de « zéro chômeur » tient du mensonge, ou au mieux de la poudre aux yeux. Au minimum d’une appellation trompeuse. Au plan global bien sûr, mais même dans la zone concernée, le terme « zéro » tient plus du marketing que de l’objectif crédible…

Un financement en question

En France, le financement se compose de l’activation de l’allocation de chômage et d’un droit de tirage pour faire face aux coûts de démarrage de l’activité (dit frais d’amorçage). Les aides publiques représentent environ 70 % du coût de l’EBE, le solde devant venir des recettes liées à l’activité[6.Idem.]. Cela entraîne une pression pour être à l’équilibre dans les deux ans, alors qu’on ne demanderait pas ça à une start-up ! Le risque est de sombrer dans la productivité à tout prix.

En Belgique, plusieurs estimations fixent à un peu plus de 30.000 euros le « coût » annuel d’un sans-emploi, réparti pour 28 % en allocation, 5 % en accompagnement et administration et 66 % en « pertes potentielles de revenus pour les autorités ». Cette dernière estimation en particulier est surgonflée : elle se base en effet sur les recettes fiscales et sociales moyennes actuelles par chômeur  comparées à celles concernant un salarié au salaire moyen, la différence étant le manque à gagner. Un mode de calcul inopérant donc pour des postes au salaire minimum !

Suite à la sixième réforme de l’État, l’activation de l’allocation est de la compétence des régions pour les chômeurs. « Les compétences régionales en matière d’emploi couvrent notamment les programmes de remise au travail des demandeurs d’emploi ainsi que l’activation des allocations sociales. Elles concernent aussi les réductions de cotisations de Sécurité sociale en faveur des employeurs qui, notamment dans le secteur de l’économie sociale, engagent des demandeurs d’emploi de longue durée. L’expérience TZCLD cadre parfaitement avec ces compétences.[7.Importer l’expérience française ‘Territoire zéro chômeur de longue durée’ en Belgique : questions juridiques, p. 6-7.] » C’est notamment le transfert de l’ex plan Activa qui permet tant l’activation de l’allocation de chômage que celle du RIS.

Des emplois au rabais ?

Les contrats proposés sont des CDI mais le projet pilote est à durée définie (actuellement 5 ans en France). Cela pose question d’autant que, comme déjà dit, il y a des impératifs de rentabilité à remplir. En France, il y a déjà eu des licenciements. Donc situation d’échec et retour au chômage. La question de la représentation syndicale se pose et, en toute logique, au bout de quelques mois, des revendications naissent parmi les travailleurs.

Il semble que l’accompagnement promis soit peu présent. On sort peu des logiques patronales habituelles et l’aspect participatif est peu réalisé. La question des rapports de forces entre les différents acteurs a été sous-estimée. De manière générale, la question du management est trop absente des projets. Passé l’enthousiasme des débuts, les difficultés surgissent et leur traitement est souvent déficient.

On parle de temps choisi mais beaucoup de salariés se plaignent de problèmes de conciliation des temps. Le taux d’absentéisme est très élevé (15%) et sans doute révélateur de malaises.

Les critiques syndicales ne manquent pas en France : « En fait d’emplois en CDI, ce sont des CDD de 5 ans, en conséquence de la durée de la loi d’expérimentation. En fait de temps pleins, ce sont souvent des temps partiels. En fait de droits, on attend le respect des conventions collectives. En fait de travail réalisé, 80% des travaux relèvent des compétences des agents territoriaux, pour partie, ou de salariés en emplois classiques. En fait d’accompagnant à la formation, tel que promis au démarrage, il est largement insuffisant. (…)[8.https://www.cgt.fr/comm-de-presse/420-creations-demploi-quel-prix] ».

Et puis, naturellement, il y a la question du salaire, limité au SMIC en France. 7 % des travailleurs y ont vu leurs ressources baisser malgré l’emploi, 17 % n’ont pas eu d’amélioration de leur situation financière et, pour ceux dont le budget est un peu moins serré, la plupart disent tout de même continuer à ne pas s’en sortir. Il faut dire aussi, comme l’a rappelé le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté lors du séminaire, que la première conséquence d’un retour à l’emploi pour une personne précarisée et endettée qui retrouve un emploi est de voir rappliquer les huissiers… La question de la rémunération n’est pas tranchée chez nous mais il nous semble évident que se contenter du salaire minimum, comme c’est trop souvent le cas pour les articles 60, n’est pas acceptable et qu’il faut exiger que les salaires suivent les barèmes en vigueur. Casser les barèmes au nom de l’emploi, c’est inacceptable. Dans ce cas on peut dire que les meilleures intentions mènent tout droit à l’enfer social… Pointons aussi que, concernant le « temps choisi », les expériences en ont montré les limites et l’expérience ne permet pas de sortir des impasses du temps partiel et des pénalisations qui concernent principalement les femmes.

De la poudre aux yeux ?

L’expérience française montre que l’on répète, malgré les bonnes intentions, les dérives du Workfare et donc de l’activation : mettre à l’emploi à tout prix mais sans penser le travail. La nécessité de régulation des activités a été sous-estimée. On constate beaucoup de précipitation et un lobbying pour montrer que ça marche.

Le problème du chômage reste d’abord le manque d’emplois disponibles. Ce projet ne remet pas en cause véritablement la culpabilisation des sans-emploi : on les considère bel et bien « incapables » d’occuper un emploi « normal », on les cantonne à des postes payés seulement au salaire minimum, ce salaire étant par ailleurs en bonne partie couvert par leur allocation. Cela dit, vu les montants limités (ce sont des enveloppes fermées qui ont été régionalisées), il est légitime de se demander si c’est ce type de projet qui mérite de bénéficier de ces moyens limités.

Payer les personnes selon les barèmes sectoriels et privilégier l’emploi à temps plein paraissent des conditions minimales incontournables pour que ces expériences ne deviennent pas l’exact contraire des intentions généreuses dont elles se réclament. Elles devraient en outre, moyennant un financement adéquat, être prioritairement tournées vers les personnes actuellement privées d’allocation (et donc aussi de beaucoup d’aides à l’emploi).

(Image de la vignette et dans l’article sous CC-BY-NC-ND 2.0 ; photo d’une ancienne mine wallonne, prise en 2016 par hectorlo.)