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Tous écolos ?

Naïrobi et Davos, Sarko et Ségo, Electrabel et Agoria: tous l’affirment, le réchauffement climatique est l’affaire du nouveau siècle. Cette fois-ci, les Cassandre nommées Al Gore et Nicolas Hulot ont été entendues et leurs oecuméniques recommandations reçues cinq sur cinq.

Les écologistes l’avaient pourtant démontré depuis longtemps: le «productivisme», de gauche comme de droite, qui fait dépendre le bien-être futur de l’humanité du développement sans fin des forces productives, a bien atteint ses limites physiques. Le gâteau global des richesses à partager (entre le Nord et le Sud, entre le travail et le capital, entre la consommation privée et les services publics) ne peut plus croître indéfiniment. Dans l’ancien modèle issu des Trente Glorieuses, la croissance des richesses permettait d’éluder la question de la redistribution: qu’importe, finalement, si les riches deviennent plus riches si, en même temps, les pauvres deviennent moins pauvres. Ce vertueux schéma «gagnant-gagnant» était à la base du modèle rhénan de cogestion d’un capitalisme social, dont la Belgique présente un modèle achevé. Ce modèle n’a pas disparu, et l’Europe du Nord reste un havre d’équité distributive relative dans la jungle des rapports sociaux mondiaux. Mais la mondialisation a complètement transformé les rapports de force. Si le «gâteau mondial» a continué à croître, ce n’est pas le cas des «gâteaux nationaux» des pays socialement développés où, du coup, la bataille de la redistribution s’est aiguisée. La croissance y est poussive, et la contrepartie du fait que les riches deviennent plus riches, c’est automatiquement que les pauvres deviennent plus pauvres. Et donc que les inégalités se creusent. La crise écologique rajoute une couche de contradictions à gérer, car chaque point de croissance acquise se paie irrémédiablement désormais en détérioration de la qualité de vie. Évidemment, selon une comptabilité économique aveugle, les actions de détruire et de reconstruire, de casser et de réparer, de polluer et de dépolluer produisent toutes de la croissance. Mais il s’agit de plus en plus d’une croissance «insoutenable» dont le cyclone Erica a fait la démonstration dévastatrice au cœur de l’aveuglement états-unien. Le réchauffement climatique est devenu d’un seul coup la métaphore un peu envahissante de cette prise de conscience. Promue unanimement au rang de priorité numéro un, la question écologique ne rend pas obsolètes les clivages «capital-travail» ou «exclus-inclus» chers à la sociologie progressiste. La carte des inégalités face à l’environnement se superpose presque parfaitement à celle des inégalités sociales. La dégradation du cadre de vie ne touche pas également toutes les couches de la population. Ainsi, les classes moyennes et supérieures disposent à la fois des ressources matérielles qui leur permettent d’échapper aux pollutions les moins supportables et de la capacité de lobbying nécessaire à consolider leurs privilèges environnementaux relatifs. Dans le militantisme environnemental, la motivation égoïste de type «Nimby» Not in my backyard, pas dans mon jardin. Cet acronyme désigne le refus des nuisances pour soi-même, accompagné généralement et dans la pratique de l’indifférence pour les nuisances subies par les autres.. s’habille le plus souvent d’une rhétorique vertueuse. Les batailles pour la préservation des espaces verts sont généralement menées dans les zones qui en comptent déjà le plus. Leur résultat pratique est de réserver le monopole de la jouissance de ces espaces à ceux qui en profitent déjà. Nous voilà fort loin de la philosophie du célèbre rapport Brundtland sur le développement durable qui précisait en les mettant à égalité les deux concepts inhérents à cette notion: «Le concept de “besoins”, et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir» Commission mondiale pour l’environnement et le développement, Notre avenir à tous, 1987, Éditions du fleuve, Québec. Ainsi, les premières mesures de l’action publique à propos du réchauffement climatique laissent songeur. Les régions se sont lancées dans la promotion de «primes énergie» dont l’objectif est d’encourager les particuliers à améliorer l’efficacité énergétique de leurs habitations. Le mécanisme est celui du cofinancement public d’initiatives privées. Via les primes, la collectivité va prendre en charge des investissements visant aux économies d’énergie à une hauteur variant entre 20 et 75%.Pour plus de détails: .en Région wallonne; en Région bruxelloise. Cette subvention servira largement à couvrir le différentiel de prix entre des équipements standards et des équipements plus sophistiqués à haute efficacité énergétique. Une fois ces équipements installés, les bénéficiaires des primes seront récompensés une deuxième fois via la réduction de leur ardoise énergétique. Ainsi, la collectivité s’apprête à subventionner massivement ceux qui ont déjà la capacité d’investir. On n’est manifestement pas en présence d’un mécanisme de redistribution qui donne «la plus grande priorité» aux «besoins essentiels des plus démunis». Attention à ce que la prise en compte tant attendue de la crise écologique n’aboutisse à creuser un peu plus les inégalités sociales par le biais environnemental Sur cette question, l’Igeat — Institut de gestion de l’environnement et de l’aménagement du territoire, ULB — a tenu un intéressant colloque en 2005, qui débouchera sur un ouvrage intitulé «Environnement et inégalités sociales» et coordonné par P. Cornut, E. Zaccaï et T. Bauler, à paraître dans quelques mois aux Éditions de l’ULB. Pour combattre l’effet de serre, il faut diminuer drastiquement le recours aux énergies fossiles. Mais pour les remplacer par quoi? Le débat fait rage. Quatre remèdes éventuellement complémentaires sont évoqués. Deux d’entre eux ne font pas problème, du moins tant qu’on reste au niveau du discours: il faut éliminer les gaspillages et il faut développer les énergies renouvelables. Sur les deux autres pistes, le désaccord est total. Ainsi, la nouvelle terreur millénariste liée au réchauffement climatique est en passe de remplacer l’ancienne liée au développement du nucléaire. Les risques attachés à ce dernier (problème toujours non résolu des déchets, questions de sécurité, épuisement inévitable du combustible) sont désormais jugés négligeables par rapport à son atout majeur: le nucléaire n’alimente pas l’effet de serre et donc le réchauffement climatique. Ce point de vue est principalement défendu par les nouveaux convertis de l’urgence climatique, et notamment par des technocrates qui ne se consolaient pas de l’arrêt du nucléaire programmé par de nombreux États parmi les plus développés du monde Allemagne, Autriche, Belgique, Italie et Suède. D’autre pays — Australie, Danemark, Grèce, Irlande et Norvège — qui n’exploitent pas à ce jour l’énergie nucléaire, ont inscrit dans leur loi nationale le refus d’y recourir. Mais outre la défense d’un productivisme relooké, on peut aussi y voir le refus de principe du quatrième remède: la nécessaire rupture avec un mode de production dont l’encouragement à la consommation privée reste le principal ressort. À cet égard, il est impossible de déconnecter la question du réchauffement climatique d’autres questions environnementales. Celles-ci ne se réduisent pas à la pollution atmosphérique. Par exemple, la suburbanisation des campagnes, qui augmente les distances à parcourir, isole les habitations les unes des autres et atomise la vie sociale, restera une monstruosité écologique, même si les habitations en question étaient bardées de panneaux solaires.N’est-ce pas pourtant le résultat prévisible des mesures prises par André Antoine, ministre wallon de l’Aménagement du territoire, qui a fait passer d’un seul coup 18~500 hectares de terres agricoles en terrains à bâtir?… Et on ne peut qu’approuver ces écologistes associatifs quand ils déclarent que a «voiture propre» pose quasiment autant de problèmes que la «sale»: «Des kilomètres d’embouteillages de voitures propres, est-ce réellement bon pour l’écologie et la qualité de vie ? De plus en plus de voiries, de parkings, d’espaces consacrés à la voiture, fût-elle propre, est-ce vraiment le modèle de société que nous privilégierons? Notre réponse est claire: continuer à réclamer toujours plus de voiture est un acte irresponsable. Une telle option détruit l’environnement, ruine la santé et anéantit la qualité de l’air. Aujourd’hui, il ne s’agit pas d’encourager l’achat de voitures, fussent-elles moins polluantes, mais de réduire le parc automobile global .Anne-France Rihoux (Inter-environnement Bruxelles) et Jean-Yves Saliez (Inter-environnement Wallonie), Sale voiture propre, in La Libre Belgique, 19 janvier 2007. Ce texte épingle notamment les velléités de certaines personnalités politiques d’encourager fiscalement l’achat de voitures propres.» Sur le plan politique francophone, qui profitera de ce nouvel engouement? La trilogie des nouveaux convertis, qui ont pour eux la force de frappe et font comme s’ils avaient toujours pensé ce qu’ils disent aujourd’hui Note perfide: le réchauffement climatique, ils s’en préoccupaient déjà quand ils ont défendu bec et ongles le Grand prix de Francorchamps?..? Écolo, qu’on ne peut sûrement pas accuser d’opportunisme, mais qui peine à imposer encore sa différence et son intransigeance sur la question du nucléaire ? Nous avons toujours défendu l’idée que notre société a également besoin d’une social-démocratie rénovée et moins arrogante que par le passé — ce qui signifie aussi moins dominante — et d’une écologie politique ancrée à gauche et qui ne se limite pas à être le supplément d’âme vert du capitalisme. La cause de l’environnement n’est assurément le monopole d’aucune formation, mais il y aurait une certaine morale à ce que celle qui l’incarne avec le plus de constance puisse peser d’un poids suffisant pour rappeler leurs engagements aux autres quand les vents de la mode auront tourné. 6 février 2007