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Transition écologique et politique industrielle

« Nous sommes parvenus a un moment où une politique industrielle véritable – c’est-à-dire des interventions publiques visant à assurer des allocations de ressources autres que celles par lesquelles aurait procédé le marché — est indispensable.»

Longtemps écarté de l’horizon, le besoin de politique industrielle revient en force et occupe désormais souvent le devant de la scène. Les propositions pour une telle relance sont variées. Pour moi, l’essentiel est que la crise écologique qui s’étale sous nos yeux, non seulement peut et doit faire l’objet d’une politique industrielle résolument appliquée, mais aussi, qu’elle présente cette vertu de permettre une sorte d’aggiornamento et de redéfinition de la politique industrielle, lui donnant de nouveaux fondements et une nouvelle pertinence. Dans les discours, l’urgence à assurer la transition vers des produits et procédés plus propres et économes en ressources ne fait plus vraiment question. C’est sur les moyens d’y parvenir, par contre, que règne la confusion la plus grande. Pour les uns, la transition énergétique n’est finalement qu’un moyen d’ajouter encore du marché au marché. Pour d’autres, dont je suis, ces solutions n’en sont pas, car elles ne font que reproduire et étendre la prégnance des mécanismes mêmes qui nous ont conduit au bord du gouffre.

Micro-entreprise et collectivité territoriale

Pour que la crise que nous traversons serve et finalement soit bénéfique, il faut résolument s’orienter dans de nouvelles directions. Ce qui passe par l’acceptation de l’idée que le marché ne sait pas tout faire. Nous sommes parvenus a un moment où une politique industrielle véritable – c’est-à-dire des interventions publiques visant à assurer des allocations de ressources autres que celles par lesquelles aurait procédé le marché – est indispensable. Ma conviction est que la crise écologique constitue par excellence le type d’événement qui rend possible et nécessaire le déploiement de politiques industrielles nouvelles et ambitieuses à même d’assurer la transition dont tous ressentons le besoin. Pour ce faire, le nouveau type de politique industrielle et de « grand programme » que j’appelle de mes vœux doit s’appuyer sur quelques principes simples. La nouveauté doit concerner aussi bien la nature des acteurs dont il faut favoriser l’essor que le contenu lui-même de la politique industrielle. Pour ce qui est des acteurs, si dans certains des domaines nouveaux il faut promouvoir des grandes entreprises, fondamentalement c’est vers de nouveaux modèles productifs qu’il faut résolument s’orienter, des modèles largement « horizontaux » constitués d’acteurs multiples. Les modèles de l’« économie circulaire » et de l’« économie de la fonctionnalité » encore souvent à leurs balbutiements doivent être favorisés et confortés. En pratique les petites et moyennes entreprises doivent avoir ici toute leur place. Qu’il s’agisse des expertises multiples, la coopération est nécessaire pour installer des panneaux solaires ou retraiter de la biomasse et des déchets organiques, tout doit être fait pour que, de la « micro » à la moyenne entreprise, l’initiative des petites et moyennes entreprises soit encouragée et soutenue. À côté des entreprises (de toutes tailles) et des autorités publiques locales, les organisations issues de la société civile et des ONG animées par des préoccupations et des ambitions citoyennes sont appelées à jouer un rôle important. Outre leur capacité à orienter les choix en fonction des besoins des populations et riverains concernés, de telles organisations doivent jouer rôle majeur dans les programmes d’économie d’énergie.

Associer innovations techniques et innovations sociales

L’engagement dans la transition écologique et énergétique devra évidemment s’appuyer sur des programmes « dédiés » et spécialisés de nature « verticale ». Ainsi par exemple du développement de l’offre d’énergie solaire ou éolienne (ou plus généralement des énergies renouvelables), qui exigent des mesures spécifiques pour favoriser le développement des entreprises, des services et des réseaux à même de garantir le succès de cette offre. Mais ce n’est que dans une vision systémique intégrant la mise au point conjointe de normes et la promotion d’offres nouvelles que la politique doit se déployer. Par excellence, la politique énergétique requiert le déploiement de réseaux : production, stockage, distribution doivent être coordonnés. L’avancée vers la transition écologique suppose certes la mise en place d’innovations technologiques, mais tout autant, elle ne pourra se développer que sur la base d’un ensemble d’innovations sociales majeures. La mise en place de modèles économiques reliant dans des coopérations renforcées des acteurs multiples entreprises publiques et privées, centres de recherche et universités, collectivités locales, associations et organismes à but non lucratif, poursuivant des objectifs d’utilité publique, est une condition de la réussite de la politique nouvelle. Quant au « niveau » optimal de conception et de déploiement de la nouvelle politique industrielle, plusieurs remarques peuvent être faites. Idéalement, l’Europe est le lieu privilégié pour assurer les impulsions nouvelles. En définissant des normes, en allouant des moyens et en favorisant les coopérations entre acteurs elle peut jouer un rôle d’initiation et d’entraînement majeur. Les choses étant ce qu’elles sont, et en dépit de certaines proclamations auxquelles l’Union nous a habitués, il ne faut pourtant pas attendre grand-chose de ce côté. Le « plan » stratégique de l’Union en matière énergétique, appuyé sur les quotas et la taxe CO2, est, clairement, en train d’échouer. Devant cet échec, et en attendant que sur ce point comme sur d’autres l’Union comprenne qu’il lui faut se mettre à la hauteur des nouveaux enjeux, en renonçant à son attirail de vieilleries néolibérales, des coopérations élargies entre pays membres, telles que prévues par le traité de Lisbonne sont certainement envisageables. Le ministre allemand de l’industrie a souvent répété qu’un « Airbus des énergies solaires » était nécessaire en Europe sans que personne jusqu’ici ait jugé bon de lui donner la réplique. Il n’est pas irréaliste de penser que sur ce point, comme sur d’autres, des politiques communes aux États de l’UE en tout ou en partie pourront voir le jour. Des initiatives dans ce sens fourniraient la base de ces nouveaux « grands projets », repensés et différemment définis, que nous appelons de nos vœux. À défaut ou en complément de ces politiques européennes, nombre d’initiatives peuvent et devront être prises au niveau « national » ou « local ». Souvent, c’est même à ce seul niveau qu’elles pourront se déployer efficacement. Ainsi des politiques d’isolation de l’habitat, ou encore de maintes initiatives d’écologie circulaire ou d’économie de la fonctionnalité qui ne peuvent souvent trouver logique et cohérence que dans des limites territoriales, nationales ou régionales. Alors, on commence quand ?