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Travailler plus ou travailler moins ? [introduction]

En janvier 2010, la secrétaire générale de la FGTB Anne Demelenne relance la réduction du temps de travail (RTT) comme un des axes d’une riposte à la crise qui soit socialement équitable : puisque le travail manque, partageons-le plus équitablement. Cette déclaration a surpris, y compris nous-mêmes. Mais le fait était là : ça faisait longtemps que l’exigence de la RTT avait déserté les agendas revendicatifs, même si elle n’avait jamais quitté les programmes. En 1997, un des premiers numéros de Politique était précisément consacré à la RTT. A ce moment-là, le gouvernement français de Lionel Jospin dit de la gauche plurielle – qui associait notamment les socialiste et les écologistes – préparait les « lois Aubry » de 1998 et 2000 et le passage à 35 heures de la norme légale de travail hebdomadaire. pourquoi pas en Belgique ? Mais depuis, Politique n’est plus jamais revenu sur le sujet, qui passa petit à petit à l’arrière-plan. Que s’était-il passé? Tout d’abord, une détérioration massive des rapports de forces sociaux. Dans les secteurs de pointe du « capitalisme fordiste », lieux par excellence du compromis social-démocrate, où les avancées étaient généralement initiées pour être ensuite étendues aux autres secteurs, la mondialisation allait sortir ses effets.

Dans une économie ouverte à la plus dure des concurrences, il n’y a aucune raison pour que les exigences de flexibilité de la production coïncident avec les exigences des « citoyens-travailleurs » qui souhaitent que leurs choix de vie soient respectés.

Ces entreprises vont ainsi mettre en concurrence leurs différents sites de production, ce qui fera plier les travailleurs dans les métropoles industrielles, contraints pour résister au chantage à l’emploi de revenir sur les conquêtes passées. Mais, indépendamment de ce contexte extérieur, il a fallu se rendre compte que les travailleurs eux-mêmes n’étaient pas forcément demandeurs de mesures uniformes et qu’ils souhaitaient plutôt des dispositifs leurs permettant d’agencer les temps de travail – et les temps de vie – sur toute une carrière. Avec, évidemment, comme conséquence que le fractionnement des temps passés au travail rendait plus difficile la mobilisation autour d’objectifs unificateurs. Au terme de ce Thème, le défi que pose l’articulation des temps de travail et des temps de vie semble encore plus complexe. Car l’analyse fine des expériences tentées montre que toute RTT n’est pas forcément émancipatrice. Les dernières avancées ont toujours été conditionnées par un recours accru à la flexibilité, et celle-ci induit du stress et de la désorganisation dans la vie hors travail qui est, de plus en plus et pour la plupart d’entre nous, le lieu où notre existence prend son sens. En fait, dans une économie ouverte à la plus dure des concurrences, il n’y a aucune raison pour que les exigences de flexibilité de la production coïncident avec les exigences des « citoyens-travailleurs » qui souhaitent que leurs choix de vie soient respectés. Si la pression à la rentabilité à tout prix reste ce qu’elle est, on ne voit pas comment sortir de cette tension mortifère. Pour ouvrir le feu, Etienne Lebeau et Sébastien Robeet (CSC_CNE), d’une part, et Daniel Richard (FGTB), d’autre part, réaffirment, en tant que syndicalistes, l’actualité de la RTT, même s’ils ne sont pas aveugles à des nouvelles difficultés. Pour Philippe Defeyt (Institut pour un développement durable), la RTT pose de toute façon la question de son applicabilité concrète : est-ce vraiment d’une RTT normative dont ont besoin les personnes réelles, ou plutôt de mesures modulables en fonction des autres temps sociaux ? C’est aussi le constat de Delphine Chabbert (Ligue des familles) : les « citoyens-parents » que sont aussi les travailleurs ne sont plus prêts à considérer que seul le travail donne du sens à la vie. La parentalité a des exigences dont la légitimité doit être mieux reconnue. Pour Esteban Martinez, il est de plus en plus difficile de résister à la pression qu’exerce désormais le « temps professionnel » sur les autres temps de vie. De toute façon, le vent a tourné. L’expérience d’Audi-Volkswagen, racontée par Jean Vandewattyne, montre comment une entreprise-pilote dans la RTT est devenue pionnière dans l’ATT (Allongement du temps de travail). Comme le montre bien Laurent Vogel (Institut syndical européen), la RTT n’est définitivement plus à l’agenda européen où, par contre, on s’accommode très bien d’un développement du travail à temps partiel dont l’effet est de renforcer les inégalités de genre entre les femmes et les hommes au travail. Ce dernier point est au centre des réflexions d’Anne-Françoise Theunissen et de Valérie Lootvoet. La première pointe l’échec du dispositif du crédit-temps « à la belge » qui s’est révélé incapable de réduire ces inégalités. La seconde fait une critique acerbe de la philosophie associée aux 35 heures qui souhaitait aides les femmes à mieux concilier travail et ménage, aménageant ainsi sans la récuser la vieille iniquité de la « double journée » de travail. Ce Thème a été coordonné par Eric Buyssens, Henri Goldman et Anne-Françoise Theunissen.