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Un artisanat provincial (introduction)

Pourquoi s’arrêter, plus de 20 pages, sur le monde de l’édition en Belgique francophone dans une revue comme Politique ? D’abord parce que si notre revue ne rend pas compte de l’actualité culturelle, elle tente cependant de se pencher sur les politiques culturelles. Ensuite parce que s’intéresser au Livre, et à ses conditions de production, permet de mieux saisir les logiques contemporaines de circulation des idées dans l’espace public, par essence très politique. Le milieu littéraire, comme tout le champ culturel, est inévitablement soumis aux règles du marché, qui pense avant tout en termes de rentabilité. Les implications en matière de choix éditoriaux sont dès lors évidentes. Pour André Schiffrin, éditeur francoaméricain, un Kafka ou un Brecht n’aurait peut-être pas eu l’occasion d’être édité en 2012. Car « les nouvelles idées n’ont pas un public assuré » « L’Argent et les mots. Quel avenir pour la pensée critique ? », conférence donnée à l’Université de Liège le 28 avril 2011. (Vidéo accessible en ligne)… Aujourd’hui, un livre doit d’abord pouvoir se vendre.De plus, le marché de l’édition Nous nous sommes principalement concentrés sur la littérature de sciences humaines belge francophone est singulier : la grande majorité des livres vendus sur son territoire viennent… d’autres pays, de France principalement. Concurrencés par des groupes beaucoup plus lourds qu’eux dans leur propre jardin, beaucoup d’éditeurs doivent, pour exister ou survivre, se tourner vers l’étranger. À condition de s’inscrire dans un créneau spécifique (poésie, théâtre…). Dans ce cas, leur public n’est donc pas belge, mais francophone.

Le marché de l’édition belge francophone est singulier : la grande majorité des livres vendus sur son territoire viennent… d’autres pays, de France principalement.

Enfin, parce qu’à la fois pauvre, d’un point de vue économique (les montants d’aide au secteur sont très largement inférieurs à ceux octroyés aux arts de la scène, au cinéma ou encore à l’audiovisuel), il regorge de richesses au niveau intellectuel (petites maisons d’édition dynamiques, avec une renommée internationale, pour certaines). En ouverture, nous avons rencontré Jean-Luc Outers, qui a longtemps dirigé le Service de la Promotion des Lettres de la Communauté française et qui nous livre un regard à la fois historique et prospectif sur les grands enjeux (érosion du lectorat, surproduction d’ouvrages, concentrations économiques…) qui traversent le secteur. Vincent Engel, écrivain multicarte (essayiste, romancier, chroniqueur, critique littéraire…) décrit l’intense aimantation des auteurs belges sur Paris, passage quasi obligé pour toute plume qui veut se faire un nom. Un rappel historique, sur l’ancien leadership international des éditions Marabout, pionnières en matière d’inventivité éditoriale et de diffusion, ponctue cette première partie. Nous avons ensuite voulu nous focaliser sur trois éditeurs belges, en tentant de comprendre les clefs de leur succès. Gilles Martin a lancé les éditions Aden il y a un peu plus de dix ans. Sa recette : une grande passion pour les livres, une vision citoyenne de son métier, les traductions de grands noms mais aussi une gestion financière contrôlée. Émile Lansman s’est lui lancé dans l’édition de pièces de théâtre, en 1989. Un créneau complètement abandonné à l’époque. Depuis, il a publié 810 ouvrages et est devenu une référence internationale de l’édition théâtrale. Phénomène éditorial depuis plus de 15 ans, Luc Pire alimente régulièrement la chronique (et la polémique), par ses coups, que certains qualifient de génie et d’autres de bassement commerciaux. Une de ses idées maîtresses : le livre pré-payé. Sa force : son carnet d’adresses, notamment politique. Olivier Bailly a mené l’enquête. En clôture, nous pouvions difficilement contourner le sujet qui est sur toutes les lèvres : l’arrivée du numérique, qui bouscule, voire révolutionne, les habitudes, enthousiasme beaucoup et interroge aussi sur l’avenir du livre et de la lecture en général. Ce Thème a été coordonné par Jérémie Detober et Hugues Le Paige, avec la collaboration d’Olivier Bailly.