Retour aux articles →

Un secteur professionnel sous pression (introduction)

À deux reprises au cours des quinze derniers mois, une grande partie du secteur culturel a dû baisser le rideau. Non seulement les grandes institutions, mais aussi toute une myriade de lieux d’échanges, de rencontres, d’apprentissage et de créativité. Ce qui a fait réagir une partie du secteur et qui l’a mobilisé, ce n’est pas tant l’impérieuse nécessité de précautions sanitaires (confinement, distance sociale, etc.), qu’un sentiment de vexation et de négation.

En quoi la culture serait-elle moins essentielle que la société de consommation ? Comment expliquer le silence du monde politique à son égard, alors que la situation de certaines activités spécifiques, comme celles des coiffeur·euses par exemple, ait été abondamment discutée ? Surtout : comment oublier que le secteur culturel était déjà, comme bien d’autres, largement précarisé avant la crise et que celle-ci a transformé l’instabilité structurelle en menace quotidienne ?

Comme le secteur dans lequel il se déploie, le travail culturel est divers et multiple. Il serait impossible, dans un seul dossier, de revenir sur les spécificités de chaque type d’expressions culturelles. Comme le note d’ailleurs Roland de Bodt dans les pages qui suivent, tout travail est culturel !

Nous avons décidé de nous concentrer sur les travailleur·euses et les artistes qui, depuis le début de la crise, ont justement pu se reconnaître et se lier à travers la négative de leur « non-essentialité ». On trouvera donc dans ce dossier, tant des analyses que des témoignages, des chiffres que des vécus, du recul que des émotions éruptives et parfois nécessaires. Nous sommes aussi conscients des limites de l’exercice. Trop peu de disciplines sont représentées et, même si nous avons essayé de ne pas nous cantonner aux « beaux-arts », en mettant notamment en avant le travail de terrain des centres culturels ou encore le monde du cinéma, il nous apparaît au moment d’écrire ces lignes que la culture comme enjeu de classe n’est que survolée. Nous n’abandonnons pas nos réflexions dans ce sens et les pages de Politique seront toujours ouvertes à leur exploration.

Il ne nous semble pas possible d’éviter le débat en cours sur le statut de l’artiste, vieux serpent de mer législatif depuis les réformes de 2013. Parce que ce numéro paraît en pleines négociations, il a le mérite d’offrir aux différent·es protagonistes un espace de débat et des analyses visant à expliquer comment nous en sommes arrivé·es là. Mais cette force est à double tranchant : nous savons que dans les jours, les semaines et les mois à venir, les discussions vont se poursuivre et que les lignes vont bouger – nous l’espérons, en prenant en compte les retours du secteur et les intérêts des travailleur·euses culturel·les. Ici aussi, Politique restera attentif aux résultats des discussions et à l’aboutissement de la réforme. Nous ne manquerons pas de revenir sur le sujet au moment opportun.

Le devenir du travail culturel rejoint celui du travail en général : une précarisation de plus en plus assumée comme modèle par certain·es responsables politiques et patronaux·ales ; une instabilité qui touche en particulier les femmes, les racisé·es et toutes les catégories de populations discriminées ; une conception « économistique » où la rentabilité et la croissance sont les seuls mètres étalons. À l’inverse, on verra poindre dans les pages qui suivent d’autres mondes et d’autres possibles.

Des terrains et pratiques bouleversées

La pandémie et le confinement ont durement touché le secteur culturel. L’interview du collectif StillStanding for culture revient sur l’année écoulée, les écueils et les mobilisations. Morgane Degrijse pense l’application des droits culturels aux travailleurs de la culture eux-mêmes, en particulier dans les centres culturels. Ceux-ci sont également à l’honneur d’un ensemble de textes, introduit par Patricia Santoro, évoquant la manière dont ils ont gardé le contact avec les populations pendant le confinement.

Les travailleuses de la culture : entre exclusion et inclusion

Les femmes n’ont pas attendu ces derniers mois pour être particulièrement touchées par les problèmes de parité et d’inclusion. Elsa Poisot et Aurélie Molle présentent les résultats de l’étude Deuxième scène sur la répartition genrée des postes dans le secteur culturel. Dans une interview fleuve, les membres du collectif Elles tournent analysent la situation spécifique des travailleuses culturelles dans le monde du cinéma. Thibault Scohier interroge les moyens alloués au travail d’écriture, transversal dans le secteur culturel et pourtant rarement considéré comme un travail en lui-même. Enfin, Elli Mastorou se concentre sur leur place dans les mobilisations, en particulier les occupations au Théâtre National et à La Monnaie.

Quelles frontières et représentations  du travail culturel ?

Comment tracer les contours d’un secteur aussi divers ? Roland de Bodt propose une double réflexion sur la définition de l’emploi culturel et sur la manière dont on assigne la culture à des formes d’essentialité ou de « non-essentialité ». Nathalie Nyst et Anne-Sophie Radermecker reviennent sur la différence entre culturel marchand et non-marchand. Politique a également interrogé la CSC Culture et le Setca côté francophone, et l’Acod et l’ACV côté néerlandophone, sur leurs conceptions de la représentation syndicale culturelle. Roger Burton présente le projet de la Smart, appelant à suivre la voie de la mutualisation.

Quel statut pour les artistes ?

Ce dossier ne pouvait échapper à la question du statut d’artiste dont la réforme est en cours. Suzanne Capiau propose d’abord un retour sur l’histoire du statut avant que Luca Ciccia ne résume et n’analyse le débat sur l’actuelle réforme. Politique a voulu donner la parole aux forces politiques en présence. Le PS, Ecolo et le PTB présentent chacun leur position, puis vient le tour des fédérations du secteur : l’Upact, F.(s) et la Scam réagissent à la fameuse note « Working in the Arts (Wita) » rendue publique fin juin. n

Ce dossier a été coordonné par Luca Ciccia, Roland de Bodt, Morgane Degrijse, Jean-Paul Gailly et Thibault Scohier.