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Un système saturé

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Le système partisan belge est paradoxal. Il est à la fois le plus fragmenté d’Europe, avec pas moins de 13 partis représentés au Parlement fédéral, et l’un des systèmes les plus imperméables à l’apparition de nouveaux partis au cours des deux  dernières décennies.

Cet article a paru dans le n°105 de Politique, en septembre 2018. 

 

Examinons notre parlement fédéral : seuls trois sièges sur 150 sont occupés par des partis (PTB et PP) ayant fait leur entrée au Parlement après 1995[1. Nous reviendrons plus loin sur le cas particulier de la N-VA, que nous n’estimons pas être réellement un nouveau parti.]. Cette situation est d’autant plus frappante quand nous tournons nos regards vers nos voisins d’Europe de l’Ouest, où de nombreux nouveaux partis ont acquis ces dernières années une large représentation parlementaire. Citons le Mouvement 5 étoiles en Italie, l’AFD en Allemagne, Podemos et Ciudadanos en Espagne, la République en marche en France[2. Voir l’article de Joanne Clotuche et Thierry Bertin dans ce dossier.], le PVV aux Pays-Bas, le Bloco de Esquerdaau Portugal ou encore les True Finns («Vrais Finlandais ») en Finlande.

La Belgique n’est pourtant pas, a priori, un terrain défavorable à l’émergence de nouveaux partis. La volatilité électorale, définie comme la part des électeurs qui votent pour deux partis différents à deux élections successives, est en croissance constante. Les enquêtes électorales montrent que jusque dans les années 1980, moins de 15 % des électeurs changeaient de parti d’un scrutin à l’autre. Ce chiffre est monté à 30 % dans les années 1990, pour atteindre 40 % des électeurs à la fin de la décennie 2000[3.R.Dassonneville & P. Baudewyns, «Transferts de voix, flux électoraux et électeurs mobiles », Courrier hebdomadaire du Crisp, n° 2225, 2014, p. 9-19.]  Par ailleurs, la confiance exprimée par les citoyens belges à l’égard des partis et des élus est en berne. Lorsqu’il leur était demandé de noter sur une échelle leur degré de confiance envers différents acteurs et institutions, les électeurs sondés ont placé les élus et les partis politiques tout en bas du classement. Tous les ingrédients sont donc là, a priori, pour voir les électeurs se tourner en masse vers de nouveaux partis[4. É. Bélanger & R. Nadeau, “Political Trust and the Vote in Multiparty Elections: The Canadian Case”, European Journal of Political Research, 44/1, 2005, p. 121–146.].

Et pourtant, malgré la volatilité électorale en hausse et la méfiance politique marquée, le système partisan belge demeure étonnamment stable. Nous tentons ici de comprendre et d’expliquer la résistance assez remarquable du système partisan belge à l’émergence de véritables nouveaux partis emportant une large part des votes et des sièges aux élections fédérales et régionales. Et nous proposons deux logiques d’explication : la forte saturation du système partisan belge, qui complique la tâche des nouveaux venus, et la stratégie de cartellisation mise en œuvre par les partis bien implantés dans les institutions représentatives. Ces éléments ne rendent pas impossible l’émergence de nouveaux partis, et l’avenir en verra peut-être émerger. Ils rendent toutefois leur tâche bien plus compliquée et contribuent au caractère fermé du système partisan belge.  À chacun de juger s’il faut s’inquiéter de cette fermeture ou si, au contraire, elle est un gage de stabilité pour les institutions représentatives.

Un système partisan proche de la saturation

La recherche en science politique nous apprend que le nombre de partis dans un pays dépend de plusieurs facteurs. Il est, en particulier, fonction de la structure des clivages dans un pays[5. S.M. Lipset & S. Rokkan, Structures de clivages, systèmes  de partis et alignement des électeurs : une introduction, traduction française, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2008.]. En Belgique, ces clivages sont au nombre de trois : le clivage socio-économique gauche/droite, le clivage philosophique ou religieux et le clivage linguistique[6. Voir à ce sujet l’article de Vincent de Coorebyter dans ce dossier.] Ces trois clivages ont conduit à la naissance des trois familles traditionnelles, ainsi qu’à leur implosion le long du clivage linguistique. À ces divisions sur des  clivages viennent s’ajouter des tensions sur des enjeux nouveaux autour desquels de nouveaux partis  peuvent apparaître et se consolider[7. D. Lowery, A. van Witteloostuijn, H. Brasher, S. Otje & S. Gherghina, “Policy Agendas and Births and Deaths of Political Parties”, Party Politics, 19 (3): 381–407, 2013.]. Cela a été le cas des partis régionalistes sur la question communautaire, puis des écologistes sur les questions environnementales, et enfin  de l’extrême droite sur l’immigration.

De plus, pour que les clivages et enjeux se traduisent en la naissance de partis politiques, il faut un système électoral permissif, qui présente un seuil relativement bas d’accès à la représentation parlementaire[8. O. A. Neto & G. W. Cox, “Electoral Institutions, Cleavage Structures and the Number of Parties”, American Journal of Political Science, 41 (1): 149–174, 1997. W. R. Clark & M. Golder, “Rehabilitating Duverger’s Theory: Testing the Mechanical and Strategic Modifying Effects of Electoral Laws”, Comparative Political Studies, 39 (6): 679–708, 2006.]. C’est largement le cas du système proportionnel belge. Toutefois, le nombre de partis qu’un système partisan peu inclure n’est pas infini. S’inspirant des approches en écologie des populations et en écologie organisationnelle, quelques auteurs se sont en effet penchés sur l’hypothèse d’une saturation de certains systèmes partisans. Lorsque le nombre de partis devient suffisant pour couvrir tous les versants des clivages et tous les enjeux saillants, il n’est plus possible pour un parti nouveau de s’installer. De nouvelles forces ne peuvent émerger et se consolider que si un segment de l’électorat n’a aucun parti à disposition pour promouvoir son identité, ses intérêts ou ses préférences programmatiques9. Affinant cette logique générale, certains auteurs ont pu démontrer[10. I. Lago & F. Martínez, “Why new Parties?”, Party Politics, 17 (1): 3–20, 2011.] que la densité du système partisan n’empêche pas qu’un nouveau parti décide de se lancer dans la course, ou même qu’il obtienne ses premiers élus, mais qu’en revanche, la saturation du système partisan réduit la capacité du nouveau parti à s’implanter dans la durée. Ce sera particulièrement le cas s’il trouve face à lui des partis installés, qui accaparent l’essentiel des ressources organisationnelles, financières et institutionnelles.

Cette idée de « saturation du système partisan » apporte des éléments d’éclairage intéressants pour la Belgique. D’une part, le système partisan belge est déjà proche de la saturation. Les clivages principaux sont toujours occupés par les partis traditionnels : socialistes, libéraux et démocrates-chrétiens. Les nouveaux enjeux apparus au fil des dernières décennies – comme la structure de l’État belge, la préservation de l’environnement et la gestion de l’immigration – ont permis l’émergence de nouveaux partis (régionalistes, écologistes et de droite radicale) jusqu’aux années 1990. La dernière percée majeure dans le système partisan belge – celle de la N-VA, devenue en 2014 premier parti du pays – pourrait faire croire que le système partisan belge est encore ouvert à l’entrée de nouveaux venus. C’est toutefois une nouveauté en trompe-l’œil. La N-VA est, d’abord et avant tout, l’héritière d’un mouvement flamand ayant au moins un siècle de présence sur la scène politique belge. Ce parti a, de plus, gagné ses voix en récupérant des positions défendues auparavant par des partis en place, et non en proposant réellement un nouvel agenda. Sa stratégie a été de combiner une position dure sur les questions communautaires (que le CD & V, l’OpenVLD et le SP. A pensaient avoir mis sous l’éteignoir) avec une position fermée sur les questions identitaires et migratoires (jusque-là promue, avec moins de civilité, par le Vlaams Belang).

Deux niches électorales restent cependant jusqu’ici inoccupées et pourraient permettre, si on suit la logique précitée, à de nouveaux partis de voir le jour et de s’installer durablement dans le système partisan. C’est le cas de la question migratoire dans l’espace francophone, qui n’a pas mené à la consolidation durable d’un parti anti-immigration, alors que cela a été le cas en Flandre[11. H. Coffé, Extreemrechts in Vlaanderen en Wallonië. Het verschil, Roeselare, Roularta Books, 2005.]. C’est aussi le cas des conflits autour des politiques d’austérité, à la suite de la crise économique de 2008. Dans les pays du Sud de l’Europe les plus touchés par la crise (Espagne, Grèce, Portugal), des partis nouveaux comme Podemos, Syriza et le Bloco de Esquerda ont pu émerger dans cet espace[12.S. Hutter, Kr. Hanspeter & V. Guillem, “Old versus New  Politics: the Political Spaces in Southern Europe in Times of Crises”, Party Politics, OnlineFirst, 2017.]. Les recherches récentes montrent que cette niche peut être électoralement porteuse au-delà de ces quelques pays[13. T. Abou-Chadi & M. Wagner, « The Electoral Appeal of Party Strategies in Post-industrial Societies: When can the Mainstream Left succeed? », Journal of Politics, 2019.]. C’est sans doute le pari que fait actuellement le PTB-PVDA en Belgique. Néanmoins, le modèle nous apprend aussi que ces  nouveaux venus potentiels doivent faire face à des partis en place, aux ressources solides, et qui ne laisseront pas aisément de nouveaux venus s’installer durablement dans le système partisan.

Une cartellisation du système partisan

La seconde clé de lecture permettant de comprendre la difficulté pour de nouvelles formations politiques en Belgique d’émerger et, surtout, de se consolider, est à trouver dans la théorie du « parti cartel[14. Théorie développée par Richard Katz et Peter Mair : “Changing Models of Party Organization and Party Democracy: The Emergence of the Cartel Party”, Party Politics, 1 (1): 5–28, 1995. Voir R. Katz & P. Mair, «The Cartel Party Thesis: A Restatement », Perspectives on Politics, 7 (4) : 753–766, 2009.] ». D’après celle-ci, en Europe, depuis les années 1980-90, les partis politiques installés ont agi comme un cartel de grandes entreprises, qui se coordonnent pour limiter la compétition aux acteurs déjà présents sur le marché et pour en exclure les nouveaux venus. Cette coordination ne s’inscrit pas dans une stratégie délibérée et frauduleuse ; elle intervient au travers de décisions pour lesquelles les acteurs déjà présents sur le marché comprennent directement qu’ils ont un intérêt commun à mettre des barrières à l’arrivée de nouveaux venus. Ce n’est pas un grand complot, c’est une convergence d’intérêts. Selon cette théorie toujours, les décisions prises par les partis politiques déjà intégrés dans le système partisan, et ayant pour conséquence de mettre de fortes barrières à l’entrée des nouveaux venus, sont  principalement de trois ordres.

Premièrement, le vote de lois sur le financement public des partis qui favorisent les partis ayant déjà de nombreux élus. Deuxièmement, l’adoption de règlements électoraux qui contiennent des conditions d’éligibilité plus favorables aux partis ayant déjà des élus. Enfin, la réglementation de l’accès aux médias publics à l’avantage des partis en place. S’appuyant sur une comparaison de 33 pays européens durant une période allant de 1970 à 2010, d’autres auteurs[15. I. van Biezen & E. Rashkova, “Deterring new Party Entry? The Impact of State Regulation on the Permeability of Party Systems”, Party Politics, 20 (6): 890–903, 2014.] ont confirmé ce modèle du « parti cartel ». Ils observent une tendance claire à une régulation plus forte des partis politiques sur les trois dimensions précitées, surtout en ce qui concerne le financement public des partis et le contrôle de leurs dépenses, en campagne électorale comme en dehors de ces périodes. L’autre résultat important  pointé par les auteurs, c’est que ces régulations ont un effet significatif sur les nouveaux partis. Cela ne réduit  pas leur capacité à se présenter aux élections et à conquérir leurs premiers sièges mais, en revanche, il est plus difficile pour eux de s’installer durablement dans le système partisan et d’y croître là où la régulation des partis politiques est plus forte. Ces constats trouvent un écho évident en Belgique. Diverses modifications législatives et réglementaires des dernières décennies s’inscrivent en effet pleinement dans cette logique de cartellisation du système partisan. Premier élément : le vote, en 1989, de  la loi du 4 juillet « relative à la limitation et au contrôle des dépenses électorales ainsi qu’au financement et  à la comptabilité ouverte des partis politiques ». Les dons des entreprises, des associations et des particuliers ont été fortement limités par cette loi. Son but était plus que louable, puisqu’il s’agissait de rendre plus transparent le financement des partis et de limiter l’inflation des dépenses électorales. Toutefois, la logique qui y est mise en œuvre tend clairement à favoriser les partis déjà bien installés dans le système partisan. Ainsi, le financement public est réservé aux partis ayant une représentation parlementaire. Son mode de calcul conduit les partis les plus puissants à recevoir le plus d’argent. Les partis ayant droit au financement public reçoivent en effet un montant annuel de base de 125 000 euros, additionné de 1,25 euro par vote valable reçu lors du scrutin fédéral. La conséquence de ce mode de calcul est que des ressources bien supérieures sont octroyées aux partis les plus grands. Après les élections de 2014, la N-VA a reçu plus de douze millions d’euros de financement public annuel, tandis que le FDF (aujourd’hui Défi) recevait moins d’un million[16. J. Smulders & B. Maddens, “Hoe rijk zijn onze partijen?”, Samenleving en politiek, 2014/10, p. 70.].

La même loi du 4 juillet 1989 fixe également les règles relatives aux dépenses électorales et à leur contrôle. Celui-ci met a priori tous les partis sur un pied d’égalité, puisque le même plafond d’un million d’euros de dépenses électorales est appliqué à tous. Toutefois, à ce plafond pour les dépenses collectives viennent s’ajouter des règles pour les dépenses des  candidats, et ces règles favorisent nettement les plus grands partis. Un maximum à dépenser est fixé pour tous les candidats. Cependant, chaque liste peut désigner un nombre de candidats pouvant dépasser ce seuil. Ce nombre est égal au nombre d’élus obtenus au scrutin précédent, plus un. Pour un parti n’ayant eu aucun élu, ce plafond rehaussé s’applique donc à un seul candidat. En revanche, pour un parti ayant obtenu au scrutin précédent cinq élus dans la circonscription, ils seront six à se voir appliquer ce plafond. Le plafond sera donc d’autant plus haut que le parti avait glané beaucoup de votes à l’élection précédente. À nouveau, les partis installés sont clairement dans une position plus favorable que les nouveaux venus.

Autres obstacles

Les règles relatives au financement et aux dépenses des partis ne sont pas les seules pour lesquelles la logique de cartellisation peut s’appliquer. La législation électorale contient, elle aussi, plusieurs dispositions tendant à favoriser les partis les plus grands et les mieux installés. En 2002, un seuil d’éligibilité de 5 % a été introduit pour les élections européennes, fédérales et régionales. Celui-ci s’ajoute au seuil déjà applicable pour l’accès à l’apparentement provincial  au niveau du Parlement wallon[17. Pour plus de détails, voir Fr. Bouhon et M. Reuchamps (dir.), Les systèmes électoraux de la Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2012. Ne sont admises à la répartition provinciale, pour l’élection du Parlement wallon, que les listes qui franchissent le seuil de 5 % des votes dans la province.]. Le mode de dépôt des listes de candidats est lui aussi plus favorable aux partis ayant déjà des élus. Pour être valide, toute liste de candidats doit être signée par un certain nombre d’électeurs. Pour la Chambre des représentants, il faut 500 signatures dans une circonscription d’au moins un million d’habitants, 400 signatures lorsque la population est comprise entre 500 000 et un million, et 200 si la circonscription compte moins de 500 000 habitants (art 116 § 1 du Code électoral). Cependant, le Code électoral stipule aussi que les signatures des électeurs peuvent être remplacées par un petit nombre de signatures d’élus sortants. Ainsi, sur une liste de candidats à la  Chambre des représentants, les signatures de trois membres sortants de la Chambre peuvent remplacer celles des électeurs.

Clairement, cette condition facilite bien plus la vie des partis en place que celle des nouvelles formations. Les obstacles qui compliquent la vie des petits partis en Belgique ne s’arrêtent pas au seul accès à l’élection. Même après avoir réussi à entrer dans une assemblée élue, un nouveau parti va se trouver confronté à une série de dispositions des règlements parlementaires qui avantagent les plus grands partis. L’enjeu principal est la reconnaissance des élus en tant que groupe politique. Pour pouvoir constituer un groupe politique, il faut réunir au moins cinq élus dans l’assemblée[18. Au Parlement bruxellois, il faut que les élus représentent au moins 10 % de leur groupe linguistique pour pouvoir former un groupe politique. Le Parlement flamand permet quant à lui de former des groupes politiques non reconnus (ou techniques) comptant au minimum trois membres et bénéficiant de droits un peu plus importants que ceux des députés isolés. Nous nous  limitons ici à la situation des groupes reconnus, qui est assez similaire d’une assemblée à l’autre.]. Or le statut de groupe politique reconnu est fondamental pour le travail quotidien des membres des assemblées législatives. Il donne accès à des moyens financiers et humains complémentaires. De plus, les commissions parlementaires sont composées sur la base des groupes politiques
reconnus. Les élus n’appartenant à aucun groupe politique reconnu peuvent aussi y siéger, mais sans voix délibérative. La distribution du temps de parole et du droit d’interpeller le gouvernement est également à l’avantage des groupes reconnus.

En outre, le travail des assemblées législatives est en grande partie organisé par deux organes : le bureau de l’assemblée et la conférence des présidents. Or les partis n’ayant pas assez d’élus pour former un groupe politique reconnu n’ont pas de représentant dans ces instances, tandis que chaque groupe reconnu y envoie au moins son chef de groupe. La multiplication récente des petits partis comptant moins de cinq élus (Défi, PTB-PVDA, PP, Union des francophones, J’Existe, Vuye-Wouters) rend plus évident le caractère discriminatoire de ces règles pour un nombre non négligeable d’élus. Enfin, la Belgique applique aussi une réglementation de l’accès aux médias publics en période de campagne électorale qui tend à favoriser les partis ayant déjà des élus. La VRT et la RTBF définissent des protocoles spécifiques pour les périodes de campagne électorale. Les partis n’ayant pas (encore) de représentation parlementaire bénéficient d’une garantie de couverture médiatique inférieure à celles des partis ayant des élus dans les assemblées sortantes. Ils ont la garantie de pouvoir faire l’objet, pendant la campagne électorale, d’un reportage télévisuel et d’une tribune en radio, mais ils ne sont pas conviés aux débats des médias publics ni ne bénéficient sur ces médias d’une présentation systématique de leur point de vue. À l’inverse, les partis déjà représentés dans les parlements sortants se voient garantir un accès aux débats électoraux, mais aussi un temps médiatique qui fait l’objet d’un comptage précis. Ce temps médiatique garanti n’est pas le même pour tous les partis : il est modulé selon leur représentation dans l’assemblée sortante (sur base de la clé proportionnelle D’Hondt[19. Cette clé vise, au départ, à attribuer à chaque parti un nombre de sièges proportionnel à son nombre de voix. Les partis l’utilisent aussi pour organiser la répartition des influences partisanes dans l’appareil d’État en proportion de la représentation parlementaire de chaque parti.]). Les plus grands partis ont donc plus de temps d’antenne pour se faire connaître des électeurs.

Ces règles spécifiques à la campagne électorale dans les médias publics tendent aussi à produire des effets en dehors de cette période, ainsi que dans les médias privés. À de rares exceptions près, dans les débats et émissions politiques, seuls des représentants des partis représentés dans les parlements sont invités. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a d’ail leurs pointé le risque que fait courir au débat démocratique l’exclusion médiatique des nouveaux et des petits partis politiques. Son récent Règlement relatif aux programmes de radio et de télévision en période électorale demande à ce que les médias télévisuels et radiophoniques veillent «à assurer la visibilité des listes qui se présentent pour la première fois, des listes qui n’avaient pas d’élus à la suite des élections précédentes et des listes qui, sur la base des critères objectifs, raisonnables et proportionnés définis par l’éditeur, n’auraient pas accès aux débats[20. Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), Collège d’avis, Règlement relatif aux programmes de radio et de télévision en période électorale, avis n° 001/2018, article 13.] ».

Système plus perméable ou plus étanche ?

À la lecture de ce qui précède, la stabilité relative du système partisan belge et la difficulté rencontrée, depuis vingt ans, par de nouvelles formations pour voir le jour et s’imposer durablement sur la scène politique semblent moins difficiles à comprendre. Le système partisan belge est déjà très fragmenté et il n’est pas exagéré de dire que l’on s’approche du point de saturation. De nouvelles formations peuvent émerger, mais elles doivent soit s’approprier les dernières niches électorales inoccupées, soit parvenir à remplacer un parti en place. Or, pour y parvenir, ces nouveaux acteurs doivent faire face à toute une série de barrières, présentes dans la législation électorale, dans les modes de financement public des partis, dans les règlements des assemblées parlementaires et dans les modes de régulation de l’accès aux médias publics, autant d’éléments qui, à la fois, leur compliquent la tâche et offrent des avantages aux partis politiques déjà bien implantés au cœur du système politique.

On peut débattre du bien-fondé de cette situation. Les politologues sont loin d’être d’accord sur le nombre souhaitable de partis dans un système partisan[21. A. Lijphart, Electoral Systems and Party Systems: A Study of Twenty-SevenDemocracies, 1945–1990, Oxford, Oxford University Press, 1994. G. Powell, Bingham, Elections as Instruments of Democracy, New Haven, CT, Yale University Press, 2000. D.-L. Seiler, “Le mode de scrutin fait-il l’élection?”, in P. Delwit et J.-M. De Waele, Le mode de scrutin fait-il l’élection ?, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2000, p. 21-37.]. Les tenants de systèmes plus ouverts et plus proportionnels soulignent qu’avec un plus grand nombre de partis, chaque électeur peut trouver plus aisément un parti proche de ses idées. Cela facilite également l’apparition de nouveaux enjeux portés
par des formations émergentes, comme cela a été le cas en Belgique avec les partis régionalistes, écologistes, puis anti immigration. À l’inverse, les promoteurs de systèmes partisans moins fragmentés estiment qu’un nombre trop grand de partis complique la formation des gouvernements et rend les coalitions instables. Ils estiment également que quand trop de partis sont en lice, l’électeur a plus de peine à s’y retrouver. En particulier, la capacité pour l’électeur de sanctionner le gouvernement sortant est réduite par la présence au pouvoir d’une coalition.

Les deux logiques se défendent et ont leur cohérence propre. Néanmoins, il est impératif que chacun soit bien conscient des règles et de leurs effets. La logique qui semble avoir primé depuis les années 1990 en Belgique est celle du contingentement du système partisan par la cartellisation, figeant en bonne partie le multipartisme dans sa forme existante. Cela n’est pas le fruit du hasard. Et si on le conteste, il convient de réfléchir à certaines réformes, que ce soit pour aller vers plus d’ouverture ou vers plus de fermeture.

(Image de la vignette et dans l’article sous CC BY-NC-ND 2.0; photographie de la Chambre belge prise par François Lambregts en 2008.)