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Une culture énergétique inadaptée

La culture de l’énergie en Belgique est aujourd’hui totalement inadaptée aux défis climatique et d’approvisionnement en énergie. C’est celle d’une société fortement industrialisée : l’énergie y est abondante, bon marché et sa consommation invisible. La question politique est alors celle de la transition vers une nouvelle culture de l’énergie pour laquelle la disponibilité en énergie est fragile, l’accès compliqué, les ressources primaires limitées alors que la consommation devrait être plus visible. Le revenu est un déterminant essentiel de la consommation d’énergie.

Cet article a paru dans le n°53 de Politique (février 2008).

Résumons une étude sur la consommation d’énergie des ménages belges. Le sondage a été réalisé en été 2005, et on peut supposer que suite au surenchérissement de l’énergie certains paramètres ont (légèrement) évolué , on peut affirmer que la culture de l’énergie est quasi inexistante en Belgique pour l’instant. Au sein de la population, les connaissances sont pauvres, les attitudes envers les économies d’énergie peu soutenues, les pratiques quoique très variées sont peu cohérentes et de gros efforts doivent encore être fournis en matière d’équipements. L’analyse a montré que les variables sociodémographiques (diplôme, âge…) sont des explications plus puissantes des comportements que les attitudes. Par ailleurs, les personnes les plus conscientes des problèmes environnementaux semblent être celles qui ont le plus d’impact sur l’environnement, du moins en moyenne [1. G. Wallenborn & J. Dozzi, « Du point de vue environnemental, ne vaut-il pas mieux être pauvre et mal informé que riche et conscientisé ? », in Environnement et inégalités sociales, P. Cornut, T. Bauler and E. Zaccaï (eds.), Editions de l’Université de Bruxelles, 2007.]. Ce paradoxe s’explique par le fait que la dimension matérielle domine aujourd’hui les autres : les personnes qui ont un diplôme de l’enseignement supérieur ont en moyenne une meilleure connaissance des problèmes environnementaux et un revenu plus élevé. Or le revenu est un déterminant essentiel de la consommation d’énergie.

Inégalités face aux politiques

Selon que l’on considère l’efficacité énergétique des ménages ou leur consommation globale, on en déduira des politiques très différentes. On peut en effet avancer que l’efficacité énergétique (énergie pour se chauffer par mètre carré habitable, voitures ou appareils électriques performants) est meilleure chez les ménages des classes moyennes et supérieures. Si on exclut les deux derniers déciles, les dépenses pour se chauffer oscillent entre 600 et 900 euros par ménage et par an. Dans la mesure où les surfaces des logements sont croissantes avec le revenu, cela signifie que les classes moyennes dépensent moins d’énergie pour chauffer par mètre carré que les classes inférieures. Selon cette perspective, ce sont alors les plus démunis que les politiques doivent viser. Mais ces personnes sont généralement locataires et sont donc très peu incitées à améliorer l’isolation de leur logement. Cependant, on observe que l’efficacité énergétique présumée des classes moyennes et supérieures ne les empêche pas de consommer globalement plus d’énergie comme on le voit pour l’électricité et les carburants. Si la consommation de carburants par décile semble plafonner vers 1200 euros par an, les dépenses pour le chauffage ne semblent pas connaître une telle limite – la taille des logements et la température intérieure continuant à augmenter régulièrement.

Dans ce cadre, quelles seraient des politiques qui aideraient les ménages à réduire leur consommation d’énergie ? Les normes et règlements qui portent sur la performance énergétique des équipements ont aujourd’hui les grands défauts, primo, d’être peu contrôlés ou peu respectés (par exemple l’isolation des logements) et, secundo, de mener souvent à un «effet rebond», c’est-à- dire à une augmentation de l’utilisation des équipements, ce qui annule les économies d’énergie. C’est pourquoi l’augmentation des prix de l’énergie est souvent avancée comme la meilleure motivation pour épargner de l’énergie. Mais cela pose de graves problèmes aux ménages les plus démunis qui ont déjà des difficultés à payer leurs factures.

Cependant, on observe que l’efficacité énergétique présumée des classes moyennes et supérieures ne les empêche pas de consommer globalement plus d’énergie comme on le voit pour l’électricité et les carburants.

On évoque parfois l’idée d’établir des tarifs progressifs de l’énergie : plus on consomme, plus on payerait cher l’unité de consommation ; ou bien la fourniture des premiers KWh serait gratuite. Mais quelle serait l’efficacité d’une telle mesure ? La facture de chauffage oscille entre 600 et 900 euros pour les huit premiers déciles. Mais pour le premier décile de revenu, le chauffage représente en moyenne 5 % des dépenses du ménage, mais seulement 2 % pour les ménages du dernier décile. Cela signifie que si un tarif progressif était d’application pour le chauffage, les plus démunis seraient les plus touchés.

En revanche, étant donné la corrélation assez claire entre revenu et consommation d’électricité, qui va de 450 euros par an pour le premier décile à 900 euros pour le dernier, un tarif progressif semble plus opportun. Pour être équitable le tarif élevé devrait être au moins le double de celui du tarif de base, vu que l’électricité représente environ 3 % du budget moyen pour le premier décile et 1,5 % pour le dernier décile. Une politique ambitieuse de l’énergie peut aujourd’hui prendre deux voies. Soit les taxes sur l’énergie sont augmentées, et leur revenu est investi dans des infrastructures économes en énergie, notamment en ciblant les ménages les plus pauvres [2. Voir la proposition de Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean, Le plein s’il vous plait !, Le Seuil, 2006.] Soit on met en place un système de quotas individuels, sous la forme d’une «carte carbone». Comme il est aujourd’hui pratiquement impossible de calculer le contenu en carbone de tous les biens mis sur le marché, les quotas individuels pourraient ne concerner dans un premier temps que les consommations directes d’énergie. Ce dispositif permettrait aux personnes qui n’ont pas atteint leur quota de revendre leur CO2 épargné à ceux qui l’ont dépassé, récompensant ainsi immédiatement les petits consommateurs. Alors que dans le cas des taxes c’est l’État qui redistribue les revenus et décide des investissements à faire, la carte carbone opère dans un marché où les individus sont responsabilisés.

Ces deux dispositifs distribuent donc autrement les responsabilités et les pouvoirs mais la question de savoir quelle culture de l’énergie est présumée par ces dispositifs reste ouverte.

Absence d’enjeu politique

La prise de conscience de l’enjeu climatique s’est certes considérablement élevée depuis un an, mais elle demeure superficielle au regard des pratiques des différents acteurs. La question de l’énergie n’est aujourd’hui pas un enjeu politique majeur – elle revêt tout au plus l’aspect des « chèques mazout », mesure à court terme qui ne résout rien. Les politiques sont aujourd’hui peu cohérentes, et les acteurs professionnels importants sont très mal formés. Par ailleurs, la culpabilisation engendrée par les discours sur l’énergie mène à l’impuissance. Tant que les politiques ne prendront pas en compte la diversité des cultures de l’énergie présentes dans la population, elles ne feront que répéter d’anciennes recettes dont on connaît l’inefficacité.