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Le communisme, une idée périmée ? Parole à la jeunesse !

Photographie d’un bloc jeune lors d’une manifestation à Bruxelles à l’initiative de Tout Autre Chose en mars 2016, réalisée par Raf De Geest pour Solidaire. CC-BY-NC-ND 2.0.
Photographie d’un bloc jeune lors d’une manifestation à Bruxelles à l’initiative de Tout Autre Chose en mars 2016, réalisée par Raf De Geest pour Solidaire. CC-BY-NC-ND 2.0. © Raf Degeest rafdegeest@yahoo.com
Constat frappant : plus aucun mouvement de jeunesse politique de relative importance ne se dénomme « communiste » en Belgique. Cela signifie-t-il pour autant que les jeunes militant·es n’ont plus rien à en dire ? Nous leur avons posé la question : Vous revendiquez-vous du communisme ? Pensez-vous que le communisme soit un mot d’avenir et, si oui, doit-il être réinventé ? Leurs réponses révèlent à la fois de grandes proximités sur l’importance d’accorder communisme, écologie et combats pour l’émancipation, mais aussi de profonds écarts de visions politiques, de sensibilités et de ton.

Cet article est issu du n°122 de Politique (mai 2023). Il s’agit d’une synthèse des propos recueillis par Thibault Scohier auprès de militant·es du Comac (PTB), d’Ecolo J, des Étudiant·es de gauche en action (Ega – PSL), des Jeunes anticapitalistes (Jac), des Jeunes FGTB et du Mouvement des jeunes socialistes (MJS – PS).

« Oui, on s’en revendique ! Même si la société a considérablement évolué en deux siècles, les grandes idées de Marx et Engels se vérifient toujours : oui, nous vivons dans une société capitaliste. Oui, les grands moyens de production appartiennent à une minorité capitaliste à qui la majorité vend sa force de travail. Oui, il y a une lutte des classes qui s’observe chaque jour. » Nous voulions commencer par une affirmation forte du militant Octave Daube, vice-président du Comac, le mouvement de jeunesse du PTB, dont l’acronyme signifiait d’ailleurs à sa création « Communistes actifs », avant d’être transformé en un plus poétique « Changement, optimisme, marxisme, activisme, créativité ». Sans surprise, il s’inscrit pleinement dans la tradition historique du marxisme et du mouvement ouvrier.

La lutte des classes au XXIe siècle

Les Jac, Jeunes anticapitalistes, lié·es à la Gauche anticapitaliste (ancienne Ligue communiste révolutionnaire), n’en pensent pas moins : « Nous nous revendiquons du communisme défini aussi bien comme stratégie de lutte que comme projet de société alternative au capitalisme, dans le sens émancipateur profond que lui ont donné Marx et Engels, et qui peut tout à fait s’appliquer encore à la situation actuelle. » Tout comme Sylvain, qui s’exprime avec passion pour les Jeunes FGTB : « Oui, nous en avons hérité. Il est dans nos gênes. Né du combat de pauvres gens qui ont choisi le partage et la solidarité plutôt que l’individualisme et l’enrichissement personnel, combat qui s’est transformé en un solide combat anticapitaliste et antifasciste. »

Arno et Constantin, de la section liégeoise des Étudiant·es de gauche en action (Ega), jeunesses du Parti socialiste de lutte, les rejoignent sur la pertinence des outils marxistes pour comprendre le monde et se battre contre la domination : « Nous estimons que celles et ceux qui font tourner la société doivent la diriger. Celle-ci repose toujours essentiellement sur deux classes sociales antagonistes : la classe capitaliste, qui détient les moyens de production et d’échange, et, de l’autre, celle des travailleuses et travailleurs, qui doivent accepter des salaires pour survivre. La force par excellence capable de mettre fin à cet état des choses, c’est la classe travailleuse elle-même. C’est elle qui produit les richesses, et peut donc arrêter de faire tourner la machine à tout moment. »

Cette exigence, loin de procéder d’une simple tradition, découle précisément de la situation actuelle. Octave rappelle ainsi que, s’il y a « urgence à être marxiste aujourd’hui », c’est parce que « notre système est en crise, économique, sociale, écologique, géopolitique et plus le temps passe, plus il devient clair que ni la soif de profit à court terme ni le marché ne vont nous sauver ». Thomas Huygens, vice-président externe du Mouvement des jeunes socialistes (MJS), lié au Parti socialiste (PS), note également que « le communisme est un espoir pour l’avenir » et qu’« en tant que militant socialiste, je me réclame de son héritage théorique et du courant critique de la gauche radicale ».

Bien sûr, cette position n’est pas unanime, en particulier chez les Verts. Ainsi, João Pedro Antonucci Rezende, d’Ecolo J, mouvement de jeunesse lié au parti Ecolo, admet effectivement qu’il est « impossible de nier l’influence du communisme dans les mouvements écologistes ». Néanmoins, il ajoute que l’écologie s’en est largement distanciée, « soit parce qu’on n’est pas nécessairement d’accord avec ce qu’on appelle “communisme” aujourd’hui, soit parce que l’écologie politique a évolué au point d’être complètement indépendante et même quelquefois contre l’idéologie communiste ».

Un héritage critique

La question de l’héritage historique, notamment celui de l’URSS et des différentes expériences politiques s’étant revendiquées du communisme, est bien évidemment importante. Personne, dans nos échanges, n’a défendu ou tenté de revaloriser le communisme soviétique ou ses variantes, mais l’accent porté sur sa critique varie. Octave insiste par exemple sur la nécessité de ne pas s’arrêter aux mauvaises expériences passées : « Même en étant conscient des erreurs qui ont été commises par certains pays communistes ou socialistes au XXe siècle, ça ne nous empêche pas de penser qu’il va falloir dépasser le capitalisme et toutes les injustices qu’il crée chaque jour. »

Thomas Huygens, pour les MJS, apparaît plus tranchant : « Le communisme doit tirer des leçons de son passé, notamment de l’imposture stalinienne […] et du régime de domination totalitaire qu’il est devenu dans le contexte social-historique de son avènement. » Il ajoute : « Le communisme moderne doit pouvoir s’éloigner du marxisme-léninisme et des dérives de la particratie pour pouvoir apprendre du syndicalisme. » Les membres d’Ega interrogés ajoutent d’ailleurs qu’aujourd’hui « le mot [communisme] est devenu un épouvantail pour discréditer toutes alternatives, en s’appuyant sur l’exemple de la sanglante contre-révolution bureaucratique stalinienne. C’est pourquoi nous préférons le mot socialisme  ».

Quant aux Jac, ils refusent de renoncer au terme « communisme », notamment parce qu’« y renoncer serait céder à une falsification historique : l’idée que les systèmes bureaucratiques du bloc de l’Est, voire le capitalisme autoritaire de la Chine actuelle, seraient le débouché naturel de l’idée communiste ‒ alors qu’ils sont issus d’une trahison et d’une contre-révolution. Une falsification entretenue par la droite, ou par la social-démocratie qui l’utilise pour justifier sa renonciation à toute perspective révolutionnaire, mais aussi par des courants staliniens ou maoïstes qui se réclament eux-mêmes du “communisme” ». Ils précisent quand même : « Nous ne nous accrochons pas non plus à ce terme comme à notre signe de ralliement, et nous n’en faisons pas le premier élément de notre identité. »

Une nécessaire réinvention

Là où presque tout le monde semble d’accord, c’est sur la nécessité de réinventer le communisme ou le socialisme. Comac parle d’ailleurs de « socialisme 2.0 ». Ega précise qu’il faut « unir toutes les couches opprimées de la population. Les femmes, accomplissant la double peine du travail salarié et domestique, forcées d’abandonner leur carrière en se rendant économiquement dépendante de leur mari ; les personnes LGBTQIA+ qui par leur simple existence, mettent en péril cette logique au cœur même du capitalisme ; les personnes sans papiers, que les patrons payent trois euros de l’heure, pour qu’ils se les fassent arracher par des marchands de sommeil ».

De leur côté, les Jac se revendiquent spontanément de l’écosocialisme et de penseurs comme Michael Löwy ou Daniel Bensaïd. Ils s’inscrivent dans une « analyse marxiste non dogmatique, qui intègre les enjeux actuels. Il est clair pour nous qu’une telle société ne peut se construire sans inclure dans les mouvements émancipateurs la lutte contre le patriarcat, contre le racisme structurel, ou contre toute autre forme de discrimination et d’oppression qui se mêle à l’exploitation au travail, ou qui ignore les défis et contraintes environnementaux » . Ils rejoignent également l’affirmation précédente en précisant : « Ainsi, pour mettre fin à l’exploitation humaine, à l’oppression des femmes, des personnes racisées et des LGBTI+, et à la destruction des écosystèmes, nous défendons l’abolition du capitalisme au profit d’une société où une planification démocratique et écologique de l’économie permettrait de satisfaire les besoins fondamentaux de toutes et tous, dans le respect de l’environnement naturel, duquel l’humain fait intégralement partie. »

Plutôt que le communisme en tant que tel, il n’est pas étonnant de lire sous la plume de João Pedro Antonucci Rezende que pour les jeunes écologistes, « le plus important est la justice sociale, à laquelle les verts ajoutent la justice climatique ». Pour Thomas Huygens, du Mouvement des jeunes socialistes, « le communisme doit être repensé comme un socialisme de conseil, qui allie matérialisme et idéalisme au travers du concept d’autonomie, c’est-à-dire la capacité de se donner ses propres lois à la fois individuellement et collectivement. Cela comporte une dimension matérialiste, dans l’autogestion des coopératives et la répartition matérielle, et une dimension plus idéaliste, dans l’autonomie politique de conseils locaux, l’autonomie sur la valeur et par la conscience et la maîtrise des fictions sociales qui s’imposent à nous ». Et de prendre des accents rouges vifs, en ajoutant que sans renoncer à une stratégie réformiste à court terme, il « arrivera inévitablement un stade où le socialisme devra devenir révolutionnaire, changer radicalement le système et s’émanciper des fictions sociales qui l’entravent ».

Et concrètement ?

Quand il s’agit d’évoquer l’influence des idées communistes sur les politiques existantes et à venir, beaucoup évoquent la sécurité sociale, et plus généralement les progrès liés à la construction d’un État social. Sylvain, des Jeunes FGTB, note « l’utilité d’un système comme la Sécurité sociale pendant les crises ». Ainsi faudrait-il « renforcer le système de caisses de solidarité plutôt que l’affaiblir, qu’il soit mieux adapté aux différents parcours de vie pour permettre à chacun·e de profiter du peu de temps qui lui est imparti sur cette planète tant socialement qu’écologiquement […]. Étendre également ce système, mettre en place d’autres piliers qui permettraient, entre autres, de financer un salaire étudiant pour une réelle équité dans l’accès aux études pour les étudiant·es provenant de milieux plus modestes ».

Thomas Huygens des MJS avoue garder « beaucoup d’espoir quant à l’extension de la Sécurité sociale par la socialisation des profits et la mise en place de caisses d’investissement socialisées, de même qu’en la démocratisation des entreprises en coopératives travaillistes, la prise de contrôle par les travailleurs sur la valeur au moyen des nouvelles technologies, l’exploration de la cotisation-salaire comme moyen de sortir de la logique de marché du travail… »

Chez le militant du Comac Octave Daube, 23 ans, on retrouve une vision de la société communiste que l’on pourrait qualifier de classique, fidèle à l’idéal du mouvement ouvrier : une société future « où les grands moyens de production, les grands leviers économiques sont aux mains de la grande majorité et pas d’une petite minorité d’actionnaires. Une société où l’on organise la production, où l’on planifie l’économie pour qu’elle réponde aux besoins des gens et de la nature. Une société plus démocratique où les gens ont réellement voix au chapitre et où tout ce qui concerne l’économie ne se décide pas dans les bureaux des actionnaires ».

Enfin, chez Ega, on prend en exemple « les actions “Robin des Bois” en France, qui ont lieu dans le cadre de la grève contre la réforme des retraites, quand les travailleurs et travailleuses de l’énergie (affilié·es à la Fédération des mines et de l’énergie de la CGT) ont décidé de distribuer gratuitement le gaz et l’électricité à des écoles, des hôpitaux, etc. Le communisme, c’est des actions “Robin des Bois” généralisées et permanentes ».

Toutes les citations sont issues des réponses aux questionnaires envoyés et reçus entre le 24 février et 11 mars ; elles ont été traitées et mises en forme par Thibault Scohier.

(Image de la vignette et dans l’article sous CC-BY-NC-ND 2.0 ; photographie d’un bloc jeune lors d’une manifestation à Bruxelles à l’initiative de Tout Autre Chose en mars 2016, réalisée par Raf De Geest pour Solidaire.)