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Vers où va le Vooruit ? Les ornières du socialisme flamand

Montage ©Politique
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Alors que le Parti socialiste (PS) de Paul Magnette est en pleine « refondation », la situation actuelle de son « parti frère » flamand préfigure-t-elle l’avenir… ou le passé du PS  ? 

Le 8 novembre 2019, Conner Rousseau prend les rênes du parti socialiste flamand. Après l’avoir rebaptisé Vooruit (« en avant ») et en avoir fait un « mouvement », il réussit à freiner une lente, mais réelle, érosion électorale. Bien plus, Rousseau assume progressivement un tournant, en se présentant comme un socialiste de type nouveau, un millenial-socialist, mettant l’accent sur les mérites individuels, les vertus du dynamisme et de l’ambition, sans plus faire référence à l’appartenance ou au combat de classe. 1 Il l’a d’ailleurs dit, répété, le clivage politique ne se situerait plus entre la gauche et la droite, mais entre « les constructifs et les destructifs ».

Bert Engelaar, le secrétaire général de l’ABVV/FGTB, a choisi lors de ce congrès, de ne pas voter. Le 1er mai, il a d’ailleurs réitéré ses critiques contre un afbraakregering, un gouvernement de casse sociale.

« Sans nous ce serait pire »

Aujourd’hui, Vooruit est la caution de gauche de la majorité fédérale. Du fait de cette position difficile, il a chèrement défendu sa participation à la coalition, acquise le 1er février 2025, lors du congrès de Vooruit tenu à Sint-Niklaas. En substance, il a assuré que « sans nous, ce serait bien pire », un argument somme toute assez classique.

Les relations entre le parti nationaliste et les socialistes flamands se sont manifestement améliorées depuis que Rousseau est aux commandes.

Depuis, Rousseau ne cesse de brandir la menace d’une crise gouvernementale. C’est une manière de donner des gages aux autres branches du mouvement socialiste flamand, les instances syndicales, notamment, ne voyant pas cette participation d’un bon œil. Ainsi Bert Engelaar, le secrétaire général de l’ABVV/FGTB, a choisi lors de ce congrès, de ne pas voter. Prenant la parole le 1er mai à la suite de  Rousseau et de Paul Callewaert, président de la mutuelle socialiste, Engelaar a d’ailleurs réitéré ses critiques contre un afbraakregering, un gouvernement de casse sociale.

Bromance avec la N-VA

Que recouvrent les quelque 14% des voix obtenues par Vooruit dans les cantons flamands et à Bruxelles le 9 juin 2024, et les progrès enregistrés dans plusieurs villes et communes flamandes en octobre ?

Nombre de villes flamandes seront gérées, ces prochaines années, par des majorités dont font partie à la fois la N-VA et Vooruit. Cette relation, le Standaard  l’a qualifiée de « bromance ».

Dans son édition du 11 juin 2024, le journal flamand De Standaard relève que Vooruit a enregistré ses meilleurs résultats dans les communes flamandes les plus prospères, là où la N-VA, par contre, a subi ses baisses les plus fortes. Dans les 20 % des communes les plus riches de Flandre, les socialistes ont obtenu 5 % de voix en plus qu’en 2019 – et seulement 1 % en plus dans les 20 % de communes les plus pauvres. Soit l’inverse de la N-VA, qui a perdu 2 % de ses électeurs dans les communes les plus aisées et s’est maintenu dans les communes les plus pauvres. 

Il y a dorénavant, dans les locaux du boulevard de l’Empereur, un parti d’opposition  et un parti de gouvernement. La situation n’est pas unique, mais elle n’en pose pas moins question.

Parlons, justement, de la N-VA. Les relations entre le parti nationaliste et les socialistes flamands se sont manifestement améliorées depuis que Rousseau est aux commandes. Vooruit avait déjà rejoint la coalition gouvernementale flamande après juin 2024. À l’exception notoire de Gand, où les socialistes locaux ont préféré (après des remous assez vifs) monter avec les libéraux et les Verts, nombre de villes flamandes seront gérées, ces prochaines années, par des majorités dont font partie à la fois la N-VA et Vooruit. Cette relation, le Standaard  l’a qualifiée de « bromance ».

Une drôle de famille au Boulevard 

Il y a donc dorénavant, dans les locaux du boulevard de l’Empereur, un parti d’opposition  et un parti de gouvernement. La situation n’est pas unique : entre 2007 et 2010, les socialistes francophones faisaient partie des gouvernements successifs alors que le SP.A avait choisi l’opposition. Elle n’en pose pas moins question. Georges-Louis Bouchez l’avait bien compris en 2023, après que Vooruit s’était rallié (avec quelques nuances, mais quand même) à la limitation dans le temps des allocations de chômage : « Nous constatons que la famille socialiste n’existe plus. Vooruit est mené par Bart De Wever et le PS par Raoul Hedebouw. Si Vooruit n’est plus le bienvenu dans les bâtiments du PS, ils peuvent venir chez nous ». 2 La formule est excessive mais n’est pas dépourvue d’une certaine pertinence, en tout cas en ce qui concerne les socialistes flamands. 

La part de l’électorat ouvrier flamand votant pour les socialistes est passée de 22 % en 1991 à 17 % en 2014, puis à 6 % seulement en 2019

Modèle ou repoussoir socialiste ? 

Une tribune libre, publiée en janvier 2025 par Jonathan Weisman, dans le New-York Times, attribue les défaites électorales successives des démocrates américains à l’érosion de leur électorat populaire “perçus comme des consommateurs plutôt que comme des travailleurs.3 Les citoyens américains dépourvus de diplôme de l’enseignement supérieur seraient désormais plus nombreux dans l’électorat républicain (de 36 % en 1992 à 56 % aujourd’hui). Dans un article paru dans la revue SamPol en avril 2025, le sociologue Marc Swyngedouw indique, dans le même ordre d’idées, que la part de l’électorat ouvrier flamand votant pour les socialistes est passée de 22 % en 1991 à 17 % en 2014, puis à 6 % seulement en 2019.4

Paul Magnette a lancé une opération de « refondation » du PS. Le précédent flamand prête à réfléchir. Changer de nom, « moderniser » ce qui devient un « mouvement » permet sans doute de gagner, à court terme, des électeurs. Mais quid de l’ancrage social, et d’échéances plus lointaines ?