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Vers un monde consensuel sans discriminations ?

Initialement, le concept «diversité» émerge dans les débats sur les questions culturelles dans les pays anglo-saxons. C’est ainsi qu’aux Etats-Unis en 1980, Jimmy Carter fait adopter les premières lois sur la culture qui intègrent la notion de diversité. Ces premières législations sur la diversité culturelle protègent et légalisent toutes les langues, les formes d’expression et de vie ainsi que les croyances des citoyens. Par la suite, ce concept est intégré dans les différents domaines économiques et sociaux. Aujourd’hui, il est présent dans la plupart des États membres de l’Union européenne et, sans être repris dans les directives européennes, il est néanmoins utilisé dans les discours, débats et actions programmatiques de celle-ci. Mais de quelle «diversité» parle-t-on ? C’est au lendemain des études menées par l’Organisation internationale du travail, en 1997, que le mot diversité apparaît dans les politiques publiques. Au terme des analyses universitaires qui rendent visibles les discriminations au sein des entreprises, particulièrement dans le recrutement des travailleurs, les autorités des différentes entités fédérées de la Belgique se saisissent de la question. Les discriminations sont toujours présentes dans tous les domaines de la vie économique, sociale et culturelle. Directes ou indirectes, elles introduisent des différences de traitement fondées sur le sexe, l’origine nationale ou ethnique, la conviction religieuse ou philosophique, la couleur, l’orientation sexuelle, l’état de santé ou encore l’âge. La discrimination est certes prohibée dans tous ces domaines, y compris dans les relations de travail. La Belgique dispose de législations particulièrement intéressantes censées lutter contre les discriminations et promouvoir l’égalité entre hommes et femmes. Pourtant tous les indicateurs du marché du travail montrent la persistance des inégalités. Dans ce contexte, le mot diversité, repris par les sphères du pouvoir, nous est proposé telle une contrepartie aux plans d’égalité et aux programmes d’actions positives qui n’ont pas inversé les fondamentaux et les mécanismes inégalitaires. Ainsi ce mot prend-il une ampleur qui nous interroge :  En Belgique, le Nord du Pays adopte une directive et des mesures favorisant la diversité sur les lieux de travail, de manière similaires aux politiques menées aux Pays-Bas. Depuis lors, les deux autres Régions privilégient l’adoption de plans diversité au sein des entreprises en lieu et place des politiques de lutte contre les discriminations.  La Région wallonne adopte plusieurs mesures visant à favoriser la gestion de la diversité de ressources humaines dans le cadre d’une concertation sociale «s’inscrivant dans le respect de l’égalité des droits et traitements de tous les travailleurs (avec et sans emploi) et se traduisant par des mesures structurelles et des résultats concrets».  En Région bruxelloise, en 2006, cinquante premières entreprises signaient la Charte de la diversité par laquelle elles s’engageaient en faveur de la diversité. À ce jour, ce sont près de 200 entreprises qui ont adhéré à cette charte. Autant le mot diversité insiste sur la différence, la variété, autant la notion d’égalité implique des démarches actives et contraignantes pour sa réalisation. Lutter pour l’égalité, c’est lutter contre les obstacles qui empêchent cette égalité. Par ailleurs, ce mot qui nous rapproche d’une conception plus anglo-saxonne, plus différentialiste et plus communautariste, se différencie des héritages de la Révolution française qui ont influé nos politiques en matière d’égalité et de justice. Du droit à l’égalité, on passe au droit à la différence. L’effet obtenu, s’il en est, risque de produire des résultats contraires à ceux escomptés. Après les prises de conscience sur le racisme et la xénophobie et les combats contre toute forme de discriminations, on active des processus différentialistes qui s’opposent aux grands combats égalitaires. En l’absence, d’études et d’analyses sur ce glissement ou les risques de glissement qui ne sont pas que sémantiques, mais qui relève des droits individuels et collectifs, nous avons voulu ouvrir un débat avec les acteurs concernés par la mise en œuvre des nouvelles politiques basées sur la diversité dans le champ du travail. La diversité, terme d’une mutation terminologique, a modifié les politiques et stratégies visant à supprimer les discrimination. Trois contributions systématisent l’approche. Eric Buyssens débusque au travers des législations qui se succèdent du fédéral au régional, les transformations des politiques relevant de l’égalité pour déboucher sur celles basées sur la diversité. Youssef Ben Abdeljelil nous plonge ensuite dans l’immigration telle qu’elle se vit en Flandre. Au travers de l’histoire des travailleurs de la mine, des hauts-fourneaux, c’est toute une lecture des politiques d’intégration qui est proposée. Dans un débat ouvert sans concession entre elles, trois féministes, Agnès Hubert, Carine Joly et Gratia Pungu passent à la loupe les directives européennes concernant l’égalité entre hommes et femmes et leurs extensions à toutes les catégories discriminées. Au centre de leurs échanges la dilution des instruments légistiques et programmatiques dans un grand « tout » où se confondent toutes les inégalités et les mécanismes qui les produisent. Sur ces termes, les acteurs se divisent. Pour Jojo Burnotte, les politiques de diversité détériorent celles qui visent l’égalité de fait et de droit. Elles s’inscrivent dans les fondements de l’État social actif qui renvoie aux individus la responsabilité de l’intégration en remplacement des responsabilités collectives et publiques. À l’inverse, Christopher Oliha démontre à quel point les plans diversité modifient le management au sein des entreprises. Dans la même foulée, Denis Stokkink appelle les forces progressistes à se saisir de tous les nouveaux outils (dont la diversité) mis à disposition pour résoudre la question du chômage. Et la ministre Marie Arena de conclure entre opportunité et mécanismes producteurs d’inégalités. Au regard de ces débats, Edouard Delruelle inscrit la diversité dans le respect des lois sur l’égalité, c’est-à-dire la prohibition de toutes les discriminations. Etablissant un lien entre discrimination et migrations économiques, il démonte les enjeux liés aux replis communautaires et leurs effets sur les solidarités sociales. Enfin, dans une analyse courageuse Gratia Pungu démonte certains replis féministes au regard des politiques de diversité. Pour ce faire, elle s’appuie sur l’expérience des féministes afro-américaines se situant dans une double altérité, celle d’être noire et femme. Ce Thème a été coordonné par Eric Buyssens et Anne-Françoise Theunissen.