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Vers un nouveau « pacte associatif »

Il existe, littéralement, des dizaines de milliers d’associations en Belgique. Cette nébuleuse est constituée d’associations aux tailles diverses et formes d’organisations très différentes, aux terrains d’activités innombrables. Il ne s’agit pas d’un ensemble homogène, mais plutôt d’un monde avec ses institutions établies, ses réseaux informels et ses piliers constitués, ses généralistes et ses spécialistes, ses professionnels et ses bénévoles… Le fait associatif, au sens le plus large, mériterait une analyse descriptive minutieuse qui n’était pas l’objectif de ce dossier. De manière plus circonscrite, nous avons voulu explorer une question dérivée, celle des rapports entretenus par le politique et l’associatif. Le politique étant ici l’ensemble des pouvoirs publics conduits à normer, subventionner, encourager ou borner l’activité associative. En introduction, Garbiel Maissin montre que les frontières entre action publique et associative ont évolué au gré des différents contextes socio-économiques, induisant chaque fois un modèle particulier de relation entre État et associations. Dans le contexte actuel, où le rôle de l’État est contesté par le modèle néolibéral, il plaide pour un partenariat renforcé en vue d’associer le champ associatif à la définition de certaines politiques publiques ainsi qu’à leur évaluation. Ce modèle partenarial n’est encore qu’ébauché, il suppose la mise en place de nouvelles modalités de collaboration, mais aussi de se resituer face à l’État et au marché, au public et au privé. Trois contributions permettent ensuite de cerner le positionnement de trois courants politiques. Denis Grinberghs (CDH) plaide pour les convergences associatives. Il constate que malgré un accord de principe sur l’importance du secteur, les différentes formations n’en tirent pas forcément toutes les conclusions politico-pratiques. Et de faire une série de propositions, basées sur le principe de subsidiarité. Pour Olivier Jusniaux (PS), la proposition d’un pacte associatif doit être mise en perspective. Il n’est qu’une composante d’une évolution plus globale. Il s’agit de nouer une nouvelle alliance entre les pouvoirs publics et l’ensemble des forces associatives, progressistes et démocratiques pour faire face à la dualisation et approfondir la démocratie. Les premiers jalons de cette nouvelle alliance sont ensuite développés. Enfin, Jean-Michel Javaux (Écolo) évoque lui aussi les quelques principes qui devraient régir les relations de l’associatif aux pouvoirs publics. La proposition audacieuse de renégociation du Pacte culturel serait une manière de remettre sur le métier les rapports entre l’État et la société civile. Pour compléter cette partie politique, nous avons interrogé Christian Dupont, ministre en charge de l’Éducation permanente. L’adoption d’un nouveau décret de la Communauté française régissant ce secteur emblématique de la vie associative permet de juger sur pièce des tendances et des évolutions en cours. Mais le mode associatif dont il est ici question est dans doute celui qui est déjà institutionnalisé. C’est pourquoi Florence Dufaux, au travers d’entretiens avec deux animateurs associatifs, le cinéma Nova et le Collectif sans ticket, a voulu montrer comment des initiatives associatives « émergentes » se situent par rapport aux pouvoirs publics, aux normes régulant l’activité et le subventionnement. Au-delà d’une forme d’instrumentalisation réciproque, ce sont les ambiguïtés actuelles, voire l’impuissance de l’État qui sont soulignées. Mais ces deux exemples révèlent surtout le souci d’une dimension politique plus large, par-delà l’activité première de l’association. Dans un cas, une interrogation profonde sur l’appropriation des services publics en général par les usagers, dans l’autre un souci de maintenir une véritable dynamique d’éducation permanente, qui ne soit pas « formatée » sur les attentes des décideurs politiques mais en prise avec les évolutions de la ville et des initiatives locales. Éric Buyssens décrit l’émergence d’un secteur associatif porté par des populations d’origine étrangère, et qui servent à la fois de vecteur pour l’expression de leurs revendications, d’initiatives d’insertion et de reconnaissance culturelle. Le fait n’est pas nouveau et les vagues antérieures d’immigration ont apporté une contribution substantielle à la vie associative, contribuant à son essor. Aujourd’hui, celle-ci se déploie dans un contexte marqué par le multiculturalisme, les revendications identitaires et la persistance de discriminations, voire de racisme. Felipe Van Keirsbilck pose, à partir d’un cas vécu, la question de la démocratie interne dans les petites et moyennes associations. Sa contribution, véritable leçon de choses, montre comment l’associatif peut glisser dans l’incurable paternalisme des pères fondateurs t annihiler ainsi le fonctionnement d’une démocratie revendiquée à cor et à cri. Mais sa contribution est surtout éclairante quand elle montre en quoi la vie associative peut être un véritable laboratoire des formes démocratiques. Notamment lorsqu’elle doit combiner la représentation syndicale des salariés de l’association, les impératifs de la gestion et la maîtrise par les associés de leur projet. Loin d’être anecdotique ou de se limiter à l’expérimentation, ce genre de bricolage est porteur de questions plus vastes, touchant à l’évolution du syndicalisme, des aspirations à une meilleure maîtrise de son activité professionnelle, à l’engagement et à la professionnalisation. Enfin, nous reproduisons de larges extraits d’une intervention d’Isabelle Stengers lors d’une journée d’étude de feu la Confédération interrégionale des associations et de leurs travailleurs (Cirat) il y a quelques années. Les associations comme « collectif » sont interpellées sur leur capacité à « créer du politique » et pas seulement à « interpeller les politiques ». De quoi (re)mettre la balle dans leur camp… Le Thème a été coordonné par Éric Buyssens et Gabriel Maissin.