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« Vive » : la télévision en mots d’ordre et plans-séquences

«Vive», la télévision participative du Venezuela créée par Hugo Chavez : une expérience unique dans le paysage audiovisuel mondial. Entre propagande et création : une alternative ? Une exception ? Analyse et impression d’une semaine passée à Caracas.

Un grand portrait de Jean-Paul Sartre orne le mur d’entrée : c’est la première chose que l’on voit quand on pénètre au 4ème étage de l’immeuble de la bibliothèque nationale de Caracas, siège de la chaîne de télévision «Vive». Sur la photo, un texte en surimpression : «Il faut, pour comprendre ce que nous voulons, voir ce qu’il faut entendre par liberté de l’information. La première chose sur laquelle on fait beaucoup d’erreurs, c’est qu’on croit que la liberté d’information, le droit à la liberté de la presse, c’est un droit du journaliste. Mais pas du tout, c’est un droit du lecteur du journal. C’est-à- dire que ce sont les gens, les gens dans la rue, les gens qui achètent le journal, qui ont le droit d’être informés. C’est les gens qui travaillent dans une entreprise, dans un chantier, dans un bureau qui ont le droit de savoir ce qu’il se passe et d’en tirer les conséquences». «Vive, télévision éducative, culturelle et informative», télévision gouvernementale vénézuélienne vit au rythme de cette phrase que Jean- Paul Sartre prononça le 4 janvier 1973 lors du lancement de Libération. Mais c’est peut-être la suite de cette citation qui en dit le plus sur l’esprit de cette télévision très particulière. En effet, Sartre poursuivait en ces termes : «Naturellement, il en résulte qu’il faut que le journaliste ait la possibilité d’exprimer ses pensées, mais cela signifie seulement qu’il doit faire en sorte qu’il informe constamment le peuple. Quel est le moyen d’informer le peuple ? C’est de l’informer par le peuple. (…) On vous a parlé d’objectivité. L’objectivité, c’est une situation vraie telle qu’elle est exprimée par la pensée populaire. Ce sont des gens qui pensent sur une situation qui est la leur. Cela, nous devons le recueillir. Comme on vous l’a dit, le journaliste ne doit pas faire l’histoire, il ne doit pas l’interpréter. Il doit recueillir l’événement et le donner dans le journal à ceux du peuple qui n’ont pas été intéressés à l’événement en question ou qui n’en ont pas été mis au courant. Donc, il faut essentiellement que le peuple discute avec le peuple.» Jean-Paul Sartre, conférence de presse de présentation du quotidien Libération, 4 janvier 1973, cité par François-Marie Samuelson, Il était une fois Libé, Seuil, 1979, pp. 153-154 Cette volonté de donner «la parole au peuple» La «Parole au Peuple» était aussi le nom d’une organisation marxiste-léniniste des années septante et cette défense d’un journalisme «au service de la révolution » sont très liées dans nos références européennes à l’époque d’une gauche radicale post-soixante-huitarde. Il faut les resituer dans le contexte du Venezuela d’aujourd’hui. En tous cas, l’une et l’autre correspondent bien à l’état d’esprit de la «démocratie participative» prôné par le socialisme bolivarien et dont Vive se veut un des fers de lance. On verra plus loin toute la richesse et les limites de cette pratique journalistique originale. Quand on connaît l’état des médias occidentaux (en particulier celui des télévisions) il faut décidément changer de continent, et en particulier se rendre au pays du «socialisme du XXIe siècle» pour imaginer une télévision vivant sous ces auspices sartriennes.

Les « montagnards » de Vive

Pour autant le siège de Vive n’a rien à envier à celui des chaînes privées les plus sophistiquées : larges plateaux avec studios incorporés, architecture circulaire qui permet l’accès à tous les secteurs de la production ou de l’administration, équipements techniques les plus récents. Les pétrodollars nourrissent la révolution. Mais l’ambiance est assez différente : slogans politiques aux murs, aux côtés de nombreuses photos du «Commandante» et du portrait du «Che» scotché aux ordinateurs, annonces de réunions et de manifestations diverses. L’effervescence n’est pas à proprement parler «journalistique» dans le sens où dans les médias traditionnels, celle- ci s’autoalimente le plus souvent dans la course à l’instantanéité. Ici on est plutôt dans l’exaltation de la construction d’un projet qui ne se conçoit pas sans une dose de «foi» militante – comme tout projet révolutionnaire – mais qui n’ignore ni ses manques ni ses contradictions.

Vive TV est emblématique de la réalité du Vénézuela de Hugo Chavez. Dans un pays où l’immense majorité des médias est aux mains de l’opposition de droite (…), Vive TV apparaît comme une contre offensive médiatique.

Six cents personnes travaillent aujourd’hui à Vive : une majorité de femmes et une moyenne d’âge entre 30 et 35 ans. L’image est frappante. Si l’éducation permanente est au centre du projet de Vive, elle s’applique aussi à ceux qui y travaillent. D’abord parce que la chaîne comprend une école de cinéma documentaire qui forme réalisateurs et techniciens. Ce qui détermine fondamentalement leur approche du réel et donc le langage de cette télévision. Ensuite parce que la formation interne est continue. Au milieu de la rédaction, dans un local de verre qui sert généralement d’abri au responsable d’édition, on peut assister à un cours d’histoire sur la Révolution française (dont Simon Bolivar, qui en était contemporain, s’est largement inspiré). Cours exposé sous la houlette d’un professeur d’histoire mais préparé par des volontaires parmi les travailleurs de toutes catégories, discours très idéologisés qui se concluent par un hymne à Chavez, modèle de révolutionnaire républicain. Pendant que l’on trouve difficilement des candidats pour présenter le prochain cours consacré aux “Vive” : la télévision en mots d’ordre et plan-séquence HUGUES LE PAIGE Girondins (chacun préférait illustrer la position des Montagnards Montagnards et Girondins réprésentaient deux tendances opposées durant la Révolution française. Les Montagnards qui siègeaient dans les plus hautes travées de l’Assemblée Nationale, dirigés notamment par Danton, Robespierre et Marat, consitituaient l’aile la plus radicale et centralisatrice («jacobine»). En face d’eux les Girondins incarnent un courant nettement plus modéré et décentralisateur ), sur le bord de la table de conférence, un couple joue discrètement au tic-tac-to. L’esprit ludique et buissonnier ne perd heureusement pas ses droits…

Contre-pouvoir médiatique

Vive TV est doublement emblématique de la réalité du Venezuela de Hugo Chavez Pour plus de détails sur mes «impressions de voyages» au Venezuela, voir le reportage que j’ai publié dans La Libre Belgique du 15 octobre 2007, «Les oeillets de Caracas». Dans un pays où contrairement aux informations diffusées par l’essentiel de la presse internationale, l’immense majorité des médias est aux mains de l’opposition de droite et contrôlée par le secteur privé, la création de Vive TV, en 2003, apparaît comme une contre offensive médiatique Sur l’historique de Vive voir notamment : «Venezuela : Vive TV ou la communication au service d’une citoyenneté nouvelle» par Renaud Lambert (Risal – Réseau d’information et de solidarité avec l’Amérique latine : http://risal.collectifs.net). C’est après le coup d’État manqué d’avril 2002 où les médias ont joué un rôle subversif déterminant que Chavez décide la création de Vive dont il confie la direction à Blanca Eekhout et Thierry Deronne Blanca Eekhout, présidente de Vive et Thierry Deronne, vice-président et directeur de la production , deux acteurs des médias communautaires qui ont fait leurs preuves dans les quartiers populaires à la fois dans le domaine de l’éducation permanente et de l’information participative où les acteurs des luttes occupent la première place médiatique. En 2002, ces télévisions communautaires ont été les seules à appeler à la mobilisation populaire contre le coup d’État. Hugo Chavez a retenu la leçon. Et la création de Vive, autonome dans son fonctionnement mais très officiellement «télévision gouvernementale» correspond à une double mission : il s’agit d’une part de promouvoir la politique gouvernementale et de répondre aux attaques – souvent très virulentes – des médias majoritaires. Bref, une activité classique de propagande et contre- propagande mais qui se déploie sous forme et avec un contenu journalistique non traditionnel. Par ailleurs, Vive se veut un instrument privilégié de la fameuse démocratie participative. L’ensemble du projet étant d’abord placé sous le signe de l’éducation. Très symboliquement, le jour de son inauguration, Hugo Chavez en appelle à la mémoire du grand pédagogue brésilien Paulo Freire. L’auteur de la «Pédagogie des opprimés» défendait l’éducation pour la libération, une libération qui commence par la connaissance profonde de (notre) réalité.

Le nouveau média communautaire

D’office, Vive a supprimé le traditionnel «JT», la «grand messe» qui rythme nos télévisions. «Info Vive» le principal programme d’information quotidien se distingue par les «sujets» qu’il couvre : essentiellement des reportages consacrés aux comités de travailleurs, de paysans ou d’étudiants engagés dans des activités publiques ou des actions collectives ou encore aux conseils communaux qui constituent la base de la démocratie participative bolivarienne.

A Vive TV, les protagonistes de l’événement sont toujours les sujets de leur propre histoire et jamais les objets de l’information.

Les protagonistes de ces actions sont les principaux acteurs de l’information elle-même et tant que faire se peut cette information veut provoquer des débats dans la population et «recueillir les critiques de celle-ci par rapport aux promesses gouvernementales non tenues, aux lenteurs des administrations ou aux cas de corruption» souligne Thierry Deronne pour qui la fonction critique de la chaîne est fondamentale. Du point de vue de la forme, il est un principe intangible à «Vive» : le journaliste n’apparaît pas à l’image (sauf, bien entendu, dans les émissions de plateau, peu nombreuses), il s’efface devant les protagonistes, il n’est jamais une «vedette» et, en ce sens, il obéit bien à l’injonction sartrienne. Vouloir briser ces canons classiques qui induisent naturellement un certain type de représentation et d’information où souvent le journaliste prend la place de l’événement et de ses acteurs est certes une démarche intéressante mais qui comporte des ambiguïtés et révèle des limites. Car invisible, le journaliste ne disparaît pas pour autant et la main qui tend le micro siglé dans le bord du cadre rappelle qu’il est bien «là», que le choix des interlocuteurs, celui du texte, du cadrage et du montage lui appartiennent toujours même s’il les partage avec les autres membres de l’équipe Dans la même esprit de la référence sartrienne et des utopies égalitaristes, à Vive, on a décidé se supprimer – ou d’atténuer – la division du travail. Les journalistes s’initient à l’image. Les monteurs participent aux tournages. La formation interne permet, par ailleurs, des accès à de nouvelles qualifications et à de nouveaux métiers. Sans oublier que c’est bien le journaliste invisible pour le téléspectateur mais pas pour les protagonistes de l’événement qui provoque réactions et débats. Dans cette mesure, l’effacement du journaliste au profit des «protagonistes sociaux» me semble sinon un leurre du moins en partie une fiction idéologique plutôt qu’une réalité. L’équation est plus complexe. D’autre part, le rôle du journaliste dans la conception du service public est un élément non négligeable de l’information démocratique : il doit contribuer à contextualiser l’événement ou le processus en cours, à situer l’analyse dans un cadre plus large – et éventuellement contradictoire – que celui de la revendication locale ou sectorielle. Que ce rôle soit de moins en moins rempli dans les médias dominants, y compris de service public est une réalité, la question de fond n’en demeure pas moins importante. La place et le rôle du journaliste : c’est un débat que j’aurai à de nombreuses reprises avec les dirigeants comme les travailleurs de Vive. Je serai écouté poliment mais sans convaincre.

La philo à la télé

Mais le plus intéressant dans la tentative de Vive de créer une «autre télévision» se situe ailleurs. La grille des programmes est assez impressionnante Pour le détail de la programmation voir le site de Vive : www.vive.gob.ve et ferait pâlir d’envie tout défenseur de la télévision publique et de l’éducation permanente. Information, éducation, culture : les émissions se déclinent sur ces trois modes dans un style résolument didactique. Diffusion à l’échelon national des médias locaux et communautaires, analyse critique des médias, émissions consacrées à la vie quotidienne et la culture de quelques-unes des 35 ethnies qui vivent au Venezuela, enquête sur le mouvement social latino-américain… : chacun de ces thèmes est le sujet d’une émission dans le secteur de l’information. Dans le domaine de l’éducation : des émissions pour enfants produites directement par Vive à la formation et à la prévention en matière de santé, le didactisme est toujours le souci premier et il est plus teinté de militantisme quand il s’agit de la formation politique et idéologique – n’oublions pas que Vive se présente comme une «télévision pour aider à construire la Révolution au Venezuela» – ou encore d’un étonnant cours de philosophie (mais aussi de sociologie et d’économie politique) qui revisite les penseurs de l’antiquité à nos jours. Les téléspectateurs de Vive sont formés aux bases de la pensée de Platon à Castoriadis et de Rousseau à Gramsci. Vive est sans doute la seule télévision au monde à avoir diffusé dans ce cadre un documentaire consacré à Ernest Mandel ! Films, archives photographiques, documents iconographiques ou simple discours face caméra, le «Curso de filosofia» s’essaie avec plus ou moins de bonheur selon les ressources disponibles en images à un genre audiovisuel inédit. Quant à la culture, toujours dans le même esprit, elle offre aux téléspectateurs des émissions musicales de facture classique mais aussi des «histoires locales» et une émission de «cuisine des communautés populaires». Il ne faut pas oublier la place importante du documentaire, ni l’existence d’un «cours de cinéma». Le tout s’exprime dans un mélange savamment dosé de langage assez traditionnel et d’innovations parfois audacieuses.

Un réel apport à la télévision

«En Processo» est un des programmes les plus intéressants en matière d’information. Il n’invente pas réellement une nouvelle forme mais il s’inspire de la démarche documentaire et d’un certain «cinéma vérité ». Formés à l’école documentaire de Vive, journalistes-réalisateurs, cameramen, preneurs de son et monteurs sont nourris de Rouch et Vertov, d’Ivens et de Weiseman et ils en ont retenu les leçons. «En Processo» veut «rendre compte et analyser en profondeur l’organisation sociale des communautés paysannes et des quartiers populaires». L’émission se construit en étroite collaboration avec les protagonistes du sujet.

A Vive TV, et c’est une originalité en matière d’information, le tournage des documentaires s’effectue exclusivement en plans-séquences. Cette technique permet de donner une réelle profondeur aux hommes et à leur histoire.

Au cours de plusieurs visites préalables, dans un véritable dialogue, l’équipe prépare longuement le scénario du mini documentaire avec les acteurs du mouvement social qui vont jouer leur propre rôle dans la séquence : ce sont aussi ces derniers qui en fixent les grandes lignes et le contenu, l’équipe de réalisation «recadre» en fonction des contraintes techniques et de la lisibilité du message. Ensuite, et c’est une autre originalité en matière d’information, le tournage s’effectue exclusivement en plans-séquences Un plan-séquence est une séquence filmée en un seul plan, et restituée telle quelle dans le film final, c’est-à-dire sans montage ou interruption de point de vue (sans plan de coupe, fondu, volet ni champ-contrechamp). Le plan-séquence a une unité sur le plan narratif (c’est une séquence) et sur le plan technique (c’est un plan), d’où son nom (en général deux ou trois plans de 5 minutes pour une durée totale de 10 à 15 minutes). Ce type de réalisation présente bien des avantages : il donne une réelle profondeur aux hommes et à leur histoire, il refuse l’instantanéité du journalisme traditionnel et il laisse une vraie place au téléspectateur qui n’est pas réduit au rôle de consommateur de l’information comme les acteurs de l’événement ne le sont pas à celui de «matière à témoignage». Les acteurs de l’événement sont toujours les sujets de leur propre histoire et jamais les objets de l’information. Ils sont pleinement respectés dans leur identité comme dans leur image : en quelque sorte l’inverse de ce que notre télévision nous donne le plus souvent à voir. De plus, le principe de base à Vive est le «suivi» : un sujet abordé ne sera jamais abandonné ; deux semaines ou deux mois plus tard l’équipe reprendra contact et, le cas échéant, entamera un nouveau tournage pour rendre compte de l’évolution du problème. Le résultat est impressionnant : les équipes de «En processo» maîtrisent parfaitement leur instrument et alimentent des débats souvent passionnants au sein des communautés qu’elles nous font découvrir. J’ai pu en suivre une à l’oeuvre dans la montagne tropicale à une heure et demi de route de Caracas. Une petite communauté de paysans s’est réappropriée des terres abandonnées par de grands propriétaires dans les années soixante. Ils sont plein de projets : reprendre la culture du café, installer une école dans l’ancienne hacienda afin que les enfants ne soient plus obligés de faire deux ou trois heures de route pour se rendre au cours, construire des maisons en dur pour remplacer les logements de terre et de tôle. Leur lutte pour reprendre ces terres et entamer les constructions, l’espoir que cela suscite, les difficultés que cela provoque, le soutien du gouvernement et les réticences de l’administration : il sera question de tout cela dans le récit de «En Processo» avec à la fois beaucoup de détermination et de maturité. La forme choisie par Vive pour en rendre compte permet une narration subtile qui suscite la curiosité du spectateur. Et ces histoires scénarisées dans une démarche documentaire intègrent évidemment l’imprévu du tournage. Au moment où l’on préparait cette séquence dans la montagne, des gardes «verts» – le domaine est par ailleurs une réserve naturelle – annoncent brusquement le blocage des matériaux de construction pour les logements faute d’une enième autorisation administrative. Toute la communauté descend sur le sentier discuter avec des gardes plutôt imbus de leur pouvoir. Situation typique lors des occupations de terres abandonnées : les paysans en appellent aux directives de Chavez, les gardes rappellent les règlements. Les contradictions apparaissent entre les différentes exigences sociales et écologiques. Le ton monte mais pas au-delà d’une certaine limite. Bien entendu l’équipe de Vive en repérage filme la scène et l’intégrera dans le scénario final. Ici aussi le journaliste-réalisateur s’efface derrière les protagonistes mais son apport créatif est déterminant même si dans les débats que j’ai eus à Vive on veut le minimiser… sans doute pour ne pas risquer d’atténuer «la parole du peuple». De ce point de vue, on frise le mythe mais en tout cas, Vive signe avec «En Processo » une belle page de la télévision alternative.

Radicalité et pensée critique

Reste à voir qui regarde Vive. Comment la télévision éducative se comporte-t-elle face aux telenovelas de l’écrasante télévision commerciale qui domine le paysage médiatique au Venezuela. Blanca Eekhout note que «Vive manque de retour car on n’en mesure pas pour l’instant les résultats d’audience». Et la présidente de la chaîne admet volontiers «les difficultés que rencontre un nouveau média comme Vive face au modèle ancien qui persiste dans (nos) têtes». Elle ajoute que du côté du ministère de la Communication on aimerait plus de divertissements et plus d’émissions classiques pourvoyeuses d’audience. On préférerait une télévision de gauche mais sur le modèle dominant. «Mais le rôle de notre télévision est aussi de faire surgir les critiques et les contradictions» dit Blanca Eekhout qui, comme tous ceux qui travaillent à Vive, défend avec passion la télévision participative. Parfois cette passion peut sembler dogmatique. J’ai lu et entendu à plusieurs reprises cette expression à propos de la «démocratie représentative désormais obsolète». Et il est vrai qu’au Venezuela, comme dans d’autres pays d’Amérique latine, la pratique de la démocratie représentative a souvent signifié confiscation du pouvoir par une élite et corruption. Il n’empêche que cette exaltation de la participation associée à celle d’un dirigeant dont la présidente de Vive dit que le peuple entretient avec lui des «relations quasi amoureuses» ne sont pas exemptes de risques de dérives. Mais à Vive, on a la conviction vissée au corps de participer à une expérience révolutionnaire inédite tant sur le plan politique que sur le plan médiatique. Précisons que si dans les formations internes à la chaîne les maîtres à penser s’appellent Bourdieu, Mattelart ou Chomsky, on en retient autant la radicalité que la nécessité d’une pensée critique. Ce qui n’exclut pas toujours la tentation de faire la leçon à celui qui émettrait quelques doutes sur l’un ou l’autre aspect de l’entreprise. Finalement, si Vive comme le «socialisme bolivarien » auquel elle est intimement liée ne sont pas des modèles exportables comme une partie du gauche radicale européenne tend à l’affirmer, cette riche expérience de communication est unique dans le paysage audiovisuel mondial et mérite qu’on y consacre de larges débats.