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Catalogne : un tour pour rien ?

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Issu des élections régionales du 21 décembre 2017, le nouveau parlement catalan sera installé le 17 janvier 2018, dans des conditions telles qu’aucune sortie ne semble se dégager à la crise politique profonde que traversent la Catalogne et, au-delà, l’édifice constitutionnel espagnol. Ces élections n’auraient-elles finalement servi à rien ?

En effet : les résultats du 21 décembre semblent exactement reproduire la situation qui prévalait auparavant. Avec une participation remarquablement élevée dont chaque camp en présence espérait pouvoir bénéficier (82 %, soit 7 de plus que lors du scrutin précédent de 2015), les indépendantistes conservent, malgré un léger tassement, une courte majorité en sièges (70 sur 135) tout en restant minoritaires en voix (47,49 %) [1]. La Catalogne reste parfaitement coupée en deux.

Cette coupure politique recouvre une coupure géographique persistante : les quatre circonscriptions électorales n’ont pas voté de la même façon. Dans celle de Barcelone, qui regroupe les trois quarts des électeurs, les indépendantistes sont plus nettement minoritaires : 44 % des voix, 38 sièges sur 85. On les retrouve dans les mêmes proportions dans la circonscription côtière de Tarragone, au sud de Barcelone (45,5 % des voix, mais 9 sièges sur 18), mais ils dominent largement dans les deux autres circonscriptions, celle de Lerida (11 sièges sur 15), à l’intérieur des terres, et celle de Gérone, fief de Puigdemont, adossée à la frontière française (12 sur 17). Ajoutons que les provinces acquises aux indépendantistes sont les plus rurales, les moins affectées par l’immigration intra- et extra-ibérique et celles où la langue catalane est la plus utilisée dans la vie quotidienne.

Beaucoup de vaincus, peu de vainqueurs

Les deux champions quasiment érigés en chefs de guerre – l’indépendantiste Puigdemont et l’unioniste Rajoy – misaient tous deux sur le résultat du 21 décembre pour faire pencher à leur profit la balance électorale. Rajoy fondait ses espoirs sur des sondages indiquant le refus d’une majorité de Catalans de toute fuite en avant vers une indépendance improvisée, Puigdemont tablait sur le rejet provoqué par l’inqualifiable violence – policière et judiciaire – dont les autorités madrilènes usaient à l’encontre de l’expression de la volonté populaire du peuple catalan. Les deux ont échoué, ce qui suggère que la coupure en deux de l’opinion catalane est « structurelle » et va au-delà des circonstances politiques. Le seul effet de la violence madrilène a été le désaveu massif du Parti populaire (PP) de Rajoy, mais à l’intérieur du camp unioniste, au profit de Ciutadan(o)s, parti de droite moderne « à la Macron », qui n’a plus rien à voir avec les résidus d’autoritarisme franquiste qu’on repère toujours au PP. Ce parti est sans doute le seul vainqueur du 21 décembre.

Mais on relèvera surtout l’échec des gauches catalanes. Les sondages prévoyaient qu’au sein de la coalition indépendantiste, la gauche modérée d’Oriol Junqueras (ERC) dépasserait la droite nationaliste historique de Puigdemont, raison pour laquelle elle refusa de faire liste commune avec elle. Ce pronostic ne s’est pas réalisé. Plus encore : la troisième composante du camp indépendantiste, la CUP, classée à l’extrême gauche et la plus radicale dans sa stratégie indépendantiste, a perdu près de la moitié de ses voix et plus de la moitié de ses sièges, passant de 10 à 4. Échec aussi de la coalition Catalogne en commun – Podem, une gauche alternative non indépendantiste, mais qui avait défendu le droit à l’autodétermination des Catalans. Celle-ci perd 3 de ses 11 sièges : dans un climat de polarisation extrême autour de la question nationale, son propos devenait inaudible.

Examens de conscience

Bref, tous ces vaincus devront maintenant se poser la question : « qu’est-ce qui n’a pas marché dans notre feuille de route ? » Balayons devant notre porte, qui est celle de gauche. À aucun moment, la gauche indépendantiste n’a réussi à coupler un quelconque programme socio-économique de gauche à la revendication de l’indépendance. La souveraineté, oui, mais pour quoi faire ? La question fut totalement absente de la campagne et, dans ce cas, on pouvait s’attendre à ce que le « parti du président » préserve sa position dominante. Seule la mise en avant d’un tel programme aurait pu convaincre la gauche – politique, syndicale et culturelle – des autres régions d’Espagne que l’indépendantisme des Catalans n’était pas celui d’une région riche ne voulant plus partager sa prospérité, tout en apaisant les craintes d’une partie de couches populaires catalanes quant à leur avenir.

Mais il faut surtout comprendre, aujourd’hui, ce que signifie « structurellement » cette division en deux du corps électoral. Elle est l’indice que la « question nationale » ne se pose plus de la même façon au XXIe siècle qu’à son âge d’or du XIXe. L’interdépendance des économies, l’ouverture des frontières, la libre circulation des marchandises et des personnes, le métissage des populations sont des phénomènes modernes sur lesquels on ne reviendra pas. L’autogestion des territoires et la valorisation des cultures minoritaires, qui sont à l’évidence des objectifs démocratiques, peuvent probablement prendre d’autres formes que la construction de structures étatiques « à l’ancienne ». Le statut d’autonomie dont la Catalogne avait bénéficié dans le passé fut abrogé en 2010 sous l’impulsion du PP, ce qui précipita la crise actuelle. Mais y a-t-il un autre chemin praticable que d’y revenir et de l’améliorer ?

 

Plusieurs articles ont été publié sur ce site à propos de la crise catalane :
Catalogne : l’indépendance vue de gauche – Henri GOLDMAN, 9 octobre 2017
Catalogne: l’indépendance vue de gauche (2) – Henri GOLDMAN, 29 octobre 2017
L’équation catalane déboussole la gauche – Gregory MAUZÉ, 3 novembre 2017

 

[1] Ce décalage entre nombre de votes et nombre de sièges est le produit d’un découpage électoral assez classique où les zones rurales sont surreprésentées.