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De la ville à la campagne, la mobilité est source d’inégalités

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L’organisation de la mobilité n’est pas neutre socialement. Et les politiques publiques environnementales n’atténuent pas les inégalités engendrées. Si des mesures correctives voient doucement le jour, la voiture individuelle reste encore l’horizon de la mobilité urbaine alors que des initiatives favorisant les équipements collectifs existent pour favoriser une mobilité plus égalitaire dans les zones urbaines et périurbaines.

Cet article a paru initialement dans notre n°114 (décembre 2020).

Partons d’un constat dont nous ferons notre hypothèse : les catégories sociales les plus défavorisées sont aussi les plus soumises aux dégradations de l’environnement. Cette inégalité est, probablement, amplifiée involontairement par des pratiques politiques « écologistes » dans des domaines comme le transport, la mobilité ou encore l’énergie – qui impliquent souvent un accès au capital culturel et financier – et elle vient donc se superposer à des inégalités sociales et économiques préexistantes.

À cet égard, les politiques menées dans les villes servent souvent de caisse de résonance à cette hypothèse. Mais il importe de dépasser ce biais classique, en analysant également les inégalités sociales et environnementales en milieu rural et périurbain.

La politique de la ville comme source d’inégalités

Bien que ce soit un truisme, il n’est jamais inutile de rappeler que les villes sont devenues les principaux lieux de concentration d’activités humaines et, par conséquent, des lieux de conflits entre leurs différentes fonctions (habitat, commerce, économie, hub de transports aériens et routiers…). Du fait de leur densification et de leur empiètement progressif sur les espaces ruraux et agricoles avoisinants, les espaces urbains ont créé de nouvelles lignes de fracture sociale qui dépassent leurs limites géographiques « naturelles ».

Apparues progressivement depuis la prise en considération du « fait urbain », dans la seconde moitié du XXe siècle, les politiques de la ville sont parfois considérées comme une des sources de ces fractures. Paradoxalement, elles se sont souvent inscrites dans une volonté politique de remédier aux inégalités structurelles au sein des villes, mais elles les ont, en réalité, figées voire creusées.

Ce constat est pourtant fonction davantage de l’orientation de ces politiques que de leur nature. Ontologiquement, les politiques urbaines ne sont ni inégalitaires ni discriminatoires. Mais elles le deviennent lorsque le facteur social n’est pas intégré a priori dans l’élaboration de leurs priorités stratégiques.

Ainsi, la création de jardins urbains, la construction de logements, d’écoquartiers ou encore la requalification de friches industrielles ne portent pas, en elles-mêmes, les germes de la discrimination et des inégalités. Celles-ci apparaissent et se définissent selon les fonctions dévolues aux interventions dans l’aménagement urbain et, surtout, selon la manière dont ces dernières sont intégrées dans leur environnement social.

L’équilibre est délicat à trouver. Le potentiel d’attractivité des centres urbains induit naturellement des effets de gentrification, quand bien même leur requalification aurait été pensée « socialement ».

Les travaux qui ont abordé les questions urbaines sous l’angle des inégalités environnementales débouchent, en général[1.Voir notamment G. Faburel, « Les visages contrastés des inégalités socio-environnementales », Annales des Mines – Responsabilité et environnement, 2015/3 (n° 79), p. 78-82. Voir aussi P. Cosmarie, « Inégalités sociales et environnementales : identifier les urgences, créer des dynamiques », Rapport au Conseil économique et social de la République française, 2015.], sur les mêmes observations et concluent à une forme de « cumul » d’inégalités sociales et environnementales que les politiques d’investissements massifs menées depuis plusieurs décennies dans les villes n’ont pas, sauf exception, contribué à diminuer.

Mobilité et différentiation sociale

S’il est un domaine qui génère, en ce moment, un très large débat, c’est bien celui de la mobilité. Ce « tropisme » de la mobilité a d’ailleurs tendance à éclipser une série de questions aussi (si pas plus) fondamentales, telles que l’accès au logement ou à l’éducation.

Le développement de modes de transports pu­blics en milieu urbain n’est pas neutre sur le plan social. La desserte des quartiers résidentiels (au sens premier du terme) est un élément de renchérissement du coût du logement. Ce constat s’applique aussi à la problématique de l’étalement urbain et de la pression qu’il exerce sur les espaces naturels et agricoles situés dans l’aire d’influence des villes. C’est une des questions soulevées par la généralisation des réseaux de transports interurbains (comme le RER français ou le S-Bahn allemand), dont le développement a souvent été à l’origine de l’exode des classes moyennes vers les aires périurbaines.

Ces constats peuvent paraître contradictoires, puisque les inégalités sociales seraient produites par l’installation des classes moyennes supérieures à la fois dans les centres-villes et dans les espaces péri-urbains. Cette contradiction apparente n’en est pour­tant pas une. Les dynamiques sociales induites par le développement des transports publics peuvent prendre des formes très différentes et mettent surtout en lumière une forme de « privilège de la mobilité », qui est devenu le marqueur d’une nouvelle forme de différentiation sociale. Ce privilège offre à ses détenteurs des avantages déterminants en termes de mobilité et des opportunités très variables en termes de choix d’installation géographique.

Ces constats montrent aussi à quel point les questions liées à la mobilité urbaine et interurbaine sont intimement liées. Le phénomène est connu et observé depuis des décennies, en Belgique, sous l’angle de la centralité de la région bruxelloise comme bassin d’emplois et, par conséquent, comme destination quotidienne de centaines de milliers de travailleurs-navetteurs n’habitant pas la région-capitale.

L’automobile individuelle, cet étalon social

En Belgique et ailleurs, la question des inégalités en matière de transport a aussi été longtemps analysée (et le reste d’ailleurs très largement) sous l’angle de l’usage de la voiture. L’aptitude à la mobilité reste, dans nos constructions sociales et politiques, intimement liée à l’automobile. Dans nos univers mentaux, la possession d’une voiture a longtemps été synonyme d’aisance financière et de liberté. Ce lien entre les capacités financières et l’usage d’une voiture apparait dès la première étape indispensable qu’est l’obtention du permis de conduire. Elle se prolonge, bien évidemment, dans l’usage quoti­dien d’un véhicule, dont le coût de revient minimum se situe rarement au-dessous de 400 euros par mois et qui, de ce fait, est, par définition, un moteur de différentiation socio-économique.

L’aptitude à la mobilité des habitants des quartiers les moins favorisés se mesure encore très souvent par le niveau d’équipement automobile des ménages, niveau qui y est, en général, plus faible. De ce fait – largement vérifié – nait une série d’observations sur les discriminations créées par l’absence de possession d’une voiture : accès à l’emploi[2.À cet égard, l’interaction entre recherche d’emploi et possession d’une voiture semble tellement apparente que les services publics de l’emploi offrent souvent à leurs bénéficiaires l’accès à des cours de conduite. À titre d’exemple, en Wallonie, le Forem a lancé l’opération Passeport Drive en septembre 2020. Ce package rembourse aux demandeurs d’emploi l’ensemble des coûts liés à l’obtention du permis de conduire.], à la formation, aux activités extrascolaires…

Cette « discrimination » par l’automobile peut évidemment dépendre de l’offre de transports publics, d’une ville à l’autre, en fonction des réalités. Dans le cas de la Belgique, et en considérant toujours Bruxelles comme un élément centralisateur d’une partie de l’activité économique, la desserte ferroviaire joue également un rôle important dans l’aptitude à la mobilité et tend à corriger quelque peu les inégalités de transport. A contrario, dès que l’on sort de quelques centres urbains « privilégiés » (essentiellement Bruxelles, Anvers, Gand, Liège et Charleroi) et des « navettes » vers Bruxelles, l’aptitude à la mobilité se résume, pour une part importante de la population belge, à la possession d’une voiture.

Aux problèmes d’accès aux transports en commun s’ajoutent des barrières liées à la nature des emplois, tant il apparaît évident que c’est souvent l’exercice d’emplois non qualifiés qui nécessite le plus l’usage d’une voiture. C’est notamment le cas de l’industrie, un domaine d’activité économique qui est désormais tenu éloigné des centres urbains alors qu’il y a été, traditionnellement, implanté, justement pour favoriser l’accessibilité des usines aux travailleurs. A contrario, l’usage de plus en plus fréquent du télétravail a tendance à favoriser les emplois qualifiés et donc à offrir, là encore, davantage d’opportunités aux revenus moyens et hauts. À cette tendance globale s’ajoute cette spécificité belge de la voiture-salaire, qui est souvent octroyée aux travailleurs disposant à la fois des revenus les plus hauts et des besoins de mobilité les plus souples, ce qui amplifie les inégalités de revenus et de genre[3.Une étude de SD Works (citée notamment dans Le Soir du 16 juillet 2017) relève qu’un quart des salariés dispose d’une voiture-salaire, là où seulement 12 % des salariées bénéficient de cet avantage.].

Si la diffusion de l’automobile au sein des catégories plus modestes de la population a contribué historiquement à une « démocratisation » de la mobilité, elle a – revers de la médaille – entraîné une dépendance financière et sociale à la voiture qui pèse sur les ressources des ménages des classes défavorisées, lesquelles n’ont accès ni à d’autres possibilités de transports ni au privilège des voitures de société.

L’émergence progressive de la mobilité comme « question sociale » a probablement trouvé son paroxysme avec l’émergence, en France et en Belgique, du mouvement des Gilets jaunes[4.Pour une analyse du phénomène des Gilets jaunes en Belgique, Politique, n° 113, septembre 2020.], dont le déclencheur a été une série de mesures de renchérissement du coût de l’usage des voitures, destinées à compenser financièrement l’incidence du trafic automobile sur la dégradation du climat et qui frappaient, sans considération de revenus, l’ensemble des usagers de l’automobile. On peut même considérer que ce type de mesures favorise les détenteurs d’une voiture de société, lesquels ne subissent que très peu les fluctuations des prix des carburants et l’augmentation de la fiscalité automobile, essentiellement supportés par les employeurs.

Le cas de la voiture individuelle en ville

L’irruption de la « contrainte climatique » comme élément de transformation des politiques de mobilité est très souvent perçue comme le mètre-étalon de l’opposition entre justice sociale et justice environnementale.
La défense du modèle de la voiture individuelle transcende la plupart des clivages politiques. Pour la majorité des partis, le droit à la voiture individuelle apparaît presque comme un droit humain fondamental. Seuls les écologistes semblent se démarquer de ce tropisme, sans, pour autant, proposer de réelles alternatives égalitaires au modèle de la voiture individuelle. En tout état de cause, pour l’essentiel de la gauche social-démocrate et de la gauche radicale, toucher à ce modèle de la voiture individuelle, c’est toucher au pouvoir d’achat des classes sociales défavorisées.

Pourtant, de plus en plus de ces mêmes partis et organisations s’accordent sur l’importance de l’enjeu climatique. Dans ce contexte, il n’est pas inutile de rappeler que le transport routier de personnes correspond à 51 % du total des émissions de gaz à effet de serre de l’ensemble des activités de transport, sachant que ce secteur représente quant à lui 22 % des émissions totales de gaz à effet de serre[5.Pour les données d’émissions par secteur, voir ce lien.]. En d’autres termes, il n’y aura pas de transition climatique sans une remise en question plus radicale de la part prise par les véhicules à combustibles « fossiles » dans les déplacements privés, collectifs et dans le transport de marchandises.

Au-delà de ce constat partagé, l’orientation ou, du moins, les résultats des politiques publiques de mobilité ne démontrent pas, à ce jour, une réelle prise en mains de la problématique. Après un léger reflux, le volume des émissions de CO2 par les voitures neuves a repris sa hausse en Belgique en 2019[6.B. Everaert, « Les émissions de CO2 des voitures neuves à nouveau en hausse en 2019 », L’Écho, 7 janvier 2020.]. Cette augmentation est principalement due à la conjonction de deux phénomènes : la réduction proportionnelle du diesel dans les nouvelles immatriculations[7.Si les moteurs diesel rejettent plus de polluants atmosphériques, ils émettent, de par leur moindre consommation, moins de CO2 que les moteurs à essence. ] et la part de plus en plus importante prise par les SUV[8.Acronyme de Sport Utility Vehicle.] dans celles-ci. Cette tendance est évidemment liée au maintien du système des voitures-salaires, dont l’impact sur les émissions de CO2 est critiqué de toutes parts, y compris par des organisations comme l’OCDE, peu suspecte de complaisance envers ce genre de politique d’attractivité salariale[9.L’Écho, 15 janvier 2015.].

La réforme de ce système est, enfin, envisagée dans le cadre de l’accord de gouvernement conclu le 30 septembre 2020 par les partis qui forment la coalition « Vivaldi ». Cet accord prévoit la décarbonisation du parc de voitures-salaires à partir du 1er janvier 2026 : seule l’immatriculation de véhicules « neutres » sur le plan des émissions de CO2 serait autorisée dans le cadre de ce système.

La voiture électrique, mythe ou panacée ?

Cependant, cette intention rend assez bien compte des difficultés à sortir de la centralité de la voiture. Le bilan carbone global de la voiture électrique a beau être souvent contesté[10.Notamment en raison de l’utilisation de métaux dont la production et l’acheminement restent liés à l’utilisation de carburants fossiles. Sans compter, bien entendu, les conditions sociales des travailleurs chargés de l’extraction de ces métaux. Voir l’article de F. Collard dans ce numéro.], il existe suffisamment d’évidences pour affirmer que celui-ci s’améliore et dépasse, positivement, celui des voitures thermiques. Cette différence ne va faire que croître à mesure que progressent les technologies permettant l’allongement des capacités des batteries.

Mais la voiture électrique est sans doute un des archétypes du décalage entre justice sociale et justice climatique. Alors que l’interdiction des moteurs thermiques dans les centres urbains tend à se généraliser[11.Il est, notamment, prévu à Bruxelles pour le 1er janvier 2035.], on peut légitimement se demander quelles nouvelles différentiations sociales ces types de mesures peuvent produire. Elles s’inscrivent, en tout cas, dans une forme de conformisme de mobilité qui ne permet pas de sortir du modèle de la voiture individuelle, et par conséquent des inégalités sociales que génère celui-ci. Le compromis social (ou plutôt, l’absence de compromis social) qui se noue autour du passage du thermique à l’électrique apparait alors comme un « moindre mal » indispensable aux objectifs climatiques.

La voiture électrique est également un des symboles de la fracture, au sein de la pensée environnementale, entre une écologie politique « scientifique », qui place la solution technologique au centre du combat climatique, et une écologie politique « sociale » qui défend un meilleur équilibre entre la technologie et les considérations socioéconomiques.

La dimension collective de la mobilité

La fin de la voiture individuelle en ville est pourtant un horizon plausible. La plupart des déplacements privés intra-urbains peuvent se réaliser via des alternatives à la voiture individuelle : le vélo, les transports collectifs, ou encore les véhicules partagés. La « socialisation » de la voiture, qui deviendrait ainsi une forme de « commun », est devenue, en quelques années, une option politique tout à fait réaliste, au moins en ville. Elle s’inscrirait dans une approche collective du transport urbain qui combinerait à la fois les objectifs climatiques (par la réduction draconienne des trajets individuels en voiture) et sociaux (par l’accessibilité de l’ensemble des opportunités de transports au plus grand nombre).

On peut regretter que les villes n’aient pas suffisamment profité de la mise en place de zones de basse émission[12.Le modèle, en place dans de nombreuses villes européennes et belges (Bruxelles, Gand ou Anvers), délimite des zones interdites à certains véhicules considérés comme trop polluants, ou interdit à ces véhicules l’ensemble du territoire urbain.] pour développer davantage de projets de « mutualisation » de l’usage de voitures, laissant au privé un marché balbutiant (et difficile d’accès), en dehors des voitures partagées opérées par la société Cambio, qui bénéficie d’un important soutien public.

Cette option, parfaitement réalisable dans un horizon politique « décent », semble donc écartée de la plupart des projets politiques urbains. Elle correspond pourtant à une réalité sociologique longtemps invisibilisée mais de plus en plus évidente : la majorité des habitants des grands centres urbains ne disposent pas de voiture individuelle[13.À Bruxelles, la part des ménages ne disposant pas d’une voiture s’élève à 53 % du total. À Paris, cette proportion monte à 63 %.]. De sorte que l’emprise du transport routier sur l’espace public urbain, qui s’élève à environ 70 % de sa surface à Bruxelles, ne sert en réalité qu’à une minorité des habitants de la ville.

Bien entendu, cette réalité cache aussi celle du transport interurbain (les navetteurs). Mais celui-ci est également visé par les mesures d’interdiction des voitures thermiques. En sorte que les villes produiront demain de nouvelles inégalités sociales, liées cette fois au coût de la voiture électrique, encore plus discriminant à ce stade que celui de la voiture thermique.

Équipements collectifs urbains et périurbains

Il n’est évidemment pas question de revenir sur le principe de la limitation du trafic routier en ville, dès lors qu’il s’agit d’un des paramètres essentiels pour atteindre des objectifs ambitieux en matière climatique. Mais l’importance de l’enjeu n’exonère pas le politique d’une réflexion plus profonde sur les conséquences sociales des politiques mises en œuvre à cet effet. Pour cela, il faut penser des mesures qui soient radicalement aptes à réduire tant les émissions de gaz à effet de serre que les inégalités sociales induites par les politiques de mobilité.

Au-delà des politiques jouant sur l’offre de mobilité, l’enjeu consiste également à densifier l’offre des équipements collectifs. Cette densification permet de traiter la problématique du temps de déplacement à la source. Cette tendance à densifier l’équipement collectif se développe de plus en plus en milieu urbain, avec l’émergence de la « ville du quart d’heure[14.C. Moreno, Vie urbaine et proximité à l’heure du Covid-19, Édition Humensis, 2020.] ». Ce concept, développé notamment par le sociologue Carlos Moreno, ce professeur à la Sorbonne qui conseille la maire de Paris Anne Hidalgo (PS), se diffuse dans de nombreuses villes européennes. À la ville de Bruxelles, il a été largement repris dans l’accord de majorité scellé par le PS et Ecolo en octobre 2018, à l’instigation du bourgmestre Philippe Close (PS) qui en a fait un de ses principaux leviers de campagne électorale.

Ce concept présente l’avantage d’être « neutre » socialement si le déploiement de services collectifs de proximité est correctement disséminé sur l’ensemble du territoire urbain. Néanmoins, il reste un risque d’amplification des inégalités territoriales si ce déploiement d’équipements collectifs ne trouve pas une correspondance dans les territoires périurbains et ruraux. Dans le cas contraire, l’attractivité des centres-villes devenus, par ailleurs, de moins en moins accessibles en voiture se voit renforcée. La tentation est alors grande pour certains de blâmer, à nouveau, les décideurs politiques « urbains », qui mèneraient des politiques renforçant, consciemment ou non, les inégalités sociales et environnementales, dont l’encouragement à la mobilité douce serait un puissant agent de diffusion[15.A. Delaleu, « La Ville du quart d’heure : utopie ? fantasme ? écran de fumée ? », Chroniques d’architecture, 25 août 2020.].

Quoiqu’un peu pavlovien, ce constat n’est pas dénué de fondement, mais il occulte la neutralité sociale de la « ville du quart d’heure » et, surtout, un autre élément essentiel : alors que les villes sont, depuis des décennies, des laboratoires politiques foisonnants, les espaces périurbains et ruraux sont, de ce point de vue, laissés en déshérence. Le problème ne se situe donc pas tant au niveau des politiques urbaines qu’à celui de l’absence d’une vision politique similaire de mobilité dans les espaces ruraux. En d’autres termes, ce n’est pas « la ville du quart d’heure » qu’il faut incriminer, mais l’absence de « campagne du quart d’heure », où le manque criant de services collectifs et d’offres de mobilité creuse des inégalités structurelles profondes.

(Image dans de la vignette et dans l’article sous CC-BY-SA 2.0 ; photographie du trafic routier sur l’A331, près de Farnborough en Angleterre, prise en 2005 par Tony Harrison.)