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Élections 2019 : les lendemains de la veille

Les urnes ont rendu leur verdict à l’issue du triple scrutin du 26 mai. Au-delà de la percée du Vlaams Belang au nord, du PTB et d’Ecolo au sud, la réelle tendance de fond qui se confirme est le lent déplacement du centre de gravité politique historiquement structuré autour des trois familles traditionnelles. Chrétiens-démocrates, socialistes et libéraux pèsent désormais moins de 50% en Flandre et leurs pendants francophones ne suffisent pas à combler le déficit à la Chambre.
Ce n’est pas la première fois que le Vlaams Blok/Belang obtient un tel score en Flandre, mais c’est sans doute la première fois que les effets d’un dimanche noir sur la vie politique seront si importants. Malgré la rupture médiatique et royale du cordon sanitaire, malgré les déclarations ambivalentes de cadors de la N-VA, il y a peu de chances que le Belang monte au pouvoir. Mais il aura, paradoxalement, rendu incontournable la N-VA dont il a pourtant grignoté une partie des voix. Avec 43 députés sur 81 dans le groupe néerlandophone à la Chambre et 58 sur 124 au Parlement flamand, les partis de De Wever et Van Grieken forment désormais un front nationaliste dont l’une des deux composantes au moins est incontournable au nord du pays. Arithmétiquement, il serait possible d’envisager une alternative mais politiquement, personne ne s’y risquerait.
En corollaire, le paysage politique belge est chamboulé dans son ensemble avec la minorisation des trois familles traditionnelles. Le SP.A et le CD&V atteignent leur seuil électoral, l’Open VLD le frôle. Il n’est sans doute pas anodin que cette tendance soit plus prononcée en Flandre. Des partis nationalistes, depuis la Volksunie d’hier à la N-VA ou au Vlaams Belang d’aujourd’hui, y occupent une partie non négligeable du spectre politique, créant de facto une concurrence forte. Par ailleurs, le discours antisystème porté par les nationalistes vise indistinctement les institutions et les partis traditionnels, contribuant à affaiblir ces derniers.
Un autre constat fort que l’on peut tirer quant à la Flandre tient à l’échec du « nationalisme inclusif » développé par la N-VA. Après cinq années de gouvernement achevées sur un discours particulièrement dur sur les questions migratoires et identitaires, force est de constater que la N-VA n’aura pas réussi à cristalliser l’électorat sensible à ces questions ou à achever son concurrent à droite : lorsque la parole hostile aux étrangers et aux droits fondamentaux se banalise, les limites de l’acceptable sont toujours repoussées tant et si bien que le bénéfice revient tôt ou tard aux partis les plus extrêmes. Le parti de De Wever a été à la pointe en matière de détricotage d’acquis sociaux, ce qui explique aussi en partie le résultat du Vlaams Belang : celui-ci maintient un programme politique à droite sur les questions sociétales mais, sur l’économique, l’extrême droite flamande rajeunie élargit son horizon et emprunte des revendications traditionnellement de gauche.

En Wallonie et à Bruxelles, la chute des partis traditionnels se vérifie aussi, quoiqu’elle soit moins prononcée. Écologistes et gauche radicale cumulés comptabilisent environ un tiers des sièges dans la capitale (30/89) et le sud (23/75) du pays.
Malgré son recul, le PS reste premier parti dans les deux assemblées régionales mais il demeure également le plus grand parti de la plus grande famille politique du pays, en dépit de la chute sans fin du SP.A.
Si les affaires et les alliances avec la droite collent à la peau de ce parti, la législature sortante et son lourd bilan social a accrédité la thèse socialiste selon laquelle « ce serait pire sans eux ».
La vague verte a été moins spectaculaire qu’annoncée : Ecolo progresse par rapport à 2014 mais reste en-deçà de sa performance de 2009, même
en chiffres absolus. À Bruxelles, où d’aucuns évoquaient un sorpasso écologiste – qui n’aura pas eu lieu – au détriment du PS, cet élément peut s’expliquer par l’important report de voix francophones sur le collège néerlandophone et particulièrement sur Groen, en vue d’éviter le blocage des institutions de la capitale dans un scénario où la N-VA aurait été incontournable.
La fin de campagne, particulièrement difficile et marquée par des cafouillages de communication et les attaques systématiques du MR, aura aussi laissé des traces. Malgré tout, les écologistes confirment leur bonne prestation d’octobre et semblent capitaliser, dans les centres urbains, un électorat capable de conjurer l’évolution en dents de scie dont ils sont coutumiers.

La vraie vague a été l’œuvre du PTB/PVDA qui talonne désormais le trio de tête (PS, MR, Ecolo) avec 10 élus à Bruxelles et en Wallonie, qui entre au parlement flamand avec 4 élus et envoie 12 députés au parlement fédéral[1.À Bruxelles, le PVDA, qui a dû faire liste à part, a un élu dans le collège néerlandophone, portant à 11 le total PTB/PVDA. 4 des 12 élus PTB/PVDA à la Chambre l’ont été en Flandre.]. Jamais la gauche radicale n’avait atteint un tel score en Belgique, performance d’autant plus remarquable qu’elle s’est construite dans le temps et qu’elle se confirme de scrutin en scrutin depuis 2012. Le travail de refonte du parti et sa présence sur le terrain, principalement dans les quartiers populaires des villes et dans les vieux bassins industriels, portent leurs fruits. Le déclin lent mais structurel du PS, dû au désamour d’une partie de l’électorat ouvrier, a ouvert la voie à la croissance du PTB en Wallonie.
La capacité du parti à capter un nouvel électorat populaire et d’origine étrangère, ne partageant pas spécialement le lexique et la mémoire des luttes ouvrières mais se reconnaissant dans ce qui apparaît comme une offre politique assumant à la fois diversité et message de rupture contre une austérité qui lui mène la vie dure, mérite d’être soulignée. Cette performance permet à la gauche de faire mieux que se maintenir et de progresser en francophonie, et d’exister en Flandre et notamment à Anvers. Certes, n’avoir pas été confronté à l’exercice du pouvoir est un atout, dont il conviendra d’évaluer la pertinence s’il devait arriver au PTB de décliner une proposition acceptable pour monter en majorité. À l’heure actuelle, la percée de la gauche radicale est bénéfique en ce qu’elle permet le décentrage du débat politique vers la gauche : le PS sait qu’il devra muscler son discours mais aussi ses actes au risque de perdre encore du terrain. Quant à Ecolo, même s’il répugne toujours à s’inscrire franchement dans le clivage gauche-droite, ses accents programmatiques sont clairement progressistes.
La bonne tenue de la gauche dans son ensemble en Belgique francophone est un élément encourageant dans un contexte de montée des populismes à l’échelle européenne. Le principal défi sera de traduire, à Bruxelles et en Wallonie, ces résultats en des politiques conformes à la volonté des urnes, qui marquent sans ambiguïté l’aspiration des francophones à une politique plus progressiste, plus sociale, plus environnementale.

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Cet édito, écrit « à chaud » alors que l’actualité s’accélère, est suivi de quatre contributions rédigées dans les mêmes conditions par des membres du collectif éditorial de Politique. Elles ont été achevées le 13 juin. La revue reviendra plus longuement sur les conséquences des scrutins du 26 mai dans son numéro 109 (septembre 2019).