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En défense du G1000

entonnoirFr
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Bouteille à moitié pleine ou à moitié vide ? Bien sûr, la critique du G1000 est utile et recevable. Mais cette expérience est globalement positive. Elle laissera des traces et aura une postérité.

De la réflexion fouillée sur le G1000 de Virginie Van Ingelgom ressortent trois questions fondamentales auxquelles, jouant également le jeu de la délibération réflexive jusqu’au bout, nous ajouterons une quatrième. La première renvoie à l’élargissement de la participation politique tandis que la seconde interroge son enrichissement. La troisième interroge les liens entre le mini-public du G1000 et le grand public et, rebondissant sur celle-ci, la quatrième, celle que nous ajoutons, pose la question de la pertinence même du G1000.

Élargir la participation politique : le G1000 a-t-il manqué son objectif de diversité maximale ? Recruter un participant, un membre ou même un simple répondant n’est jamais simple. Le taux d’acceptation de répondre à des sondages politiques, pour ne donner qu’une seule illustration, dépasse rarement les 50% et est plus souvent proche des 25%, voire même des 12,5%, par exemple, au plus fort de la crise politique qu’a connu la Belgique après les élections fédérales de 2010. En comparaison, le taux de participation de quelque 3% au sommet citoyen du G1000 se comprend dès lors un peu mieux, mais évidemment s’expose à la critique. Critique qui peut se nourrir également d’un taux de non-participation (après l’avoir pourtant confirmée) de 30%, ce qui explique le nombre de 704 au lieu du 1000 symboliquement souhaité. Les absents auraient donc raison ? Et surtout qui sont-ils ? Nous n’avons évidemment pas manqué de chercher à savoir qui sont les absents – quantitativement et qualitativement. Quantitativement, s’ils sont beaucoup plus nombreux que les présents, ils ne sont pas fondamentalement différents au regard des variables sociodémographiques. Il n’y avait donc pas que des « white male men », universitaires et fortement intéressés par la politique. Au contraire, une grande diversité ressortait des 81 tables à Tour & Taxis. En cela, l’objectif de diversité maximale (et non de représentativité) n’était pas complètement manqué. Et surtout l’auto-sélection a été évitée. Qualitativement, une dizaine d’entretiens avec des absents nous ont permis de mettre au jour deux attitudes expliquant le refus de participer, à côté de raisons purement logistiques ou personnelles. Chez certains absents, il y a une grande méfiance vis-à-vis de la politique qui était étendue à toute initiative comme celle du G1000. Chez d’autres absents, plutôt intéressés par la politique, ce sont la méfiance vis-à-vis du G1000, une initiative venue de nulle part, et la croyance qu’il est vain de vouloir donner la parole au citoyen « ordinaire » qui expliquent leur refus d’y prendre part. Par contre, la raison communautaire (trop belgicain ou trop flamand – un sentiment relayé par certains médias) ne semble pas avoir influencé les absents interrogés et, parmi les participants, on retrouve la palette habituelle des visions de la Belgique. Tout comme pour les présents, les absents ne forment dès lors pas un groupe homogène, mais il est vrai, comme le souligne Virginie Van Ingelgom, que tout renouvellement de la démocratie doit tenir compte des absents. Ce n’est toutefois qu’une face de la démocratie.

Des discussions âpres

L’autre face de la démocratie, c’est aussi ceux qui participent – rejoignant ainsi la deuxième question relative à l’enrichissement de la participation. Ils étaient 704 participants à Tour & Taxis, 356 dans les G’Off à travers tout le pays, 730 au G’Home derrière leur ordinateur, mais aussi, parmi eux, 491 étaient prêts à consacrer trois week-ends de leur temps pour poursuivre l’aventure dans un panel citoyen. Si on ajoute les 25 organisateurs (qui étaient en fait sur l’ensemble des trois phases près d’une centaine), les 800 bénévoles ou encore les plus de 12 000 sympathisants, cela donne de l’espoir. Le renouvellement de la démocratie fait des émules et le G1000, très modestement, a pu catalyser un peu cette énergie. Mais ne soyons pas naïfs, le G1000 était loin d’être parfait et surtout loin d’être consensuel : en externe mais aussi en interne. Les choix qui sont discutés ici l’ont été longuement au sein de l’assemblée générale du G1000 et de ses différentes cellules. Pour toutes les décisions – que cela soit pour la méthode de recrutement ou pour la manière de se financer, pour ne donner que deux choix débattus – il n’y a jamais eu d’unanimité, sauf sur un point : pour avancer, il fallait choisir. Les participants du panel citoyen ont également fait, parfois durement, cette expérience. Au sein du panel, les discussions furent parfois âpres, souvent sans concession, mais toujours nourries par la volonté de chaque participant de justifier sa position. Si les propositions qui ont été remises par le panel citoyen peuvent être jugées consensuelles, molles voire gentilles (libre à chacun de s’en faire sa propre opinion), elles sont en tout cas le fruit d’un intense exercice de délibération collective dont la plupart des participants ont expliqué a posteriori qu’ils n’auraient jamais imaginé en être capables. Ce constat vaut pour la trentaine de participants au panel citoyen, mais aussi, dans une moindre mesure puisque l’exercice était nettement plus limité, pour nombre de participants au sommet citoyen qui disent avoir retiré un sentiment – très – positif de leur participation. Mais, la vraie question, rappelle Virginie Van Ingelgom, c’est le dialogue entre ce mini-public et le grand public.

Rejoindre le monde réel

On touche avec cette – troisième – question le cœur de la démocratie délibérative. En trois décennies, les théories autour de la démocratie délibérative sont devenues une composante essentielle de la théorie démocratique. Mais si théoriquement l’idéal délibératif peut convaincre, pratiquement la réalité est bien plus complexe que ce slogan incantatoire. Les initiateurs du G1000 le concèdent bien volontiers. Ce qui a été la caractéristique principale de cette initiative est aussi son désavantage principal : elle est venue de nulle part. Elle n’était portée ni par les pouvoirs publics, ni par la société civile organisée. Juste quelques citoyens, certains plus connus que d’autres. Comment dès lors opérer la jonction entre le monde du G1000 et le monde réel ? Sincèrement, la question reste ouverte… Mais quelques jalons ont déjà pu être posés. Le premier est la présence, symbolique mais importante aux yeux des participants, des sept présidents des parlements du pays le soir du sommet citoyen du 11 novembre 2011. Le deuxième est l’accueil du panel citoyen par le Parlement flamand, le Parlement wallon et le Sénat pour ses trois week-ends de délibération. Le troisième est le débat politique qui s’est initié à la suite de la publication du rapport final du G1000 au sein de différents cénacles politiques du local à l’international. Évidemment, le monde réel ne se limite pas au monde politique. Ce qui a – agréablement – surpris les initiateurs du G1000, c’est l’éclosion de nombreuses initiatives s’inspirant peu ou prou de celle du G1000, en Belgique et à l’étranger : des G100 au sein d’un parti politique ainsi que dans des écoles, ou encore un sommet citoyen à Rotterdam, pour ne mentionner que quelques exemples. Mais il n’en reste pas moins vrai que rien ne garantit que les résultats et/ou le processus du G1000 seront repris institutionnellement. Ce constat n’est toutefois pas l’apanage du G1000. Si l’on considère certaines expériences étrangères, les résultats sont nuancés : d’un côté, l’expérience islandaise (dont la légitimité interne est contestée) a mené à un référendum aux résultats positifs ; d’un autre, l’Assemblée citoyenne qui s’est penchée sur la réforme du système électoral en Colombie-Britannique (avec une forte légitimité interne) n’a pas été suivie, à l’occasion de deux référendums, dans sa proposition de réforme. Sans surprise, il n’y a donc pas de recette miracle. Mais, au final, est-ce que le G1000 était pertinent ?

Cette dernière question, forcément un peu sensible, ne peut être esquivée. Parti d’une volonté de donner une bouffée d’oxygène à la démocratie, le G1000 avec ses trois phases a proposé une solution inspirée de la démocratie délibérative. En cela cette initiative s’inscrit, en Belgique, à la suite d’autres expériences délibératives organisées notamment par la Fondation Roi Baudouin et la Fondation pour les générations futures. Là où le G1000 s’en différencie, c’est dans sa dimension presque exclusivement citoyenne. Cette nature, assez particulière dans le paysage délibératif, en a fait sa force et sa faiblesse. Il nous apparaît ainsi qu’au-delà des questions méthodologiques et opérationnelles, il existe une tension entre la légitimité de la démocratie délibérative dans un mini-public et la légitimité de la démocratie délibérative dans le grand public. Le G1000 a tenté de construire un pont, mais l’entreprise, collective, doit se poursuivre…

(Cet article a été initialement publié dans le numéro 79 de Politique en mars-avril 2013 ; image de la vignette et dans l’article sous © du G1000.)