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Il faut faire sauter le verrou salarial

© HAN.SOETE
24 février 2021 : deux parlementaires (PS et PTB) présentent une proposition de loi conjointe pour sortir les négociations salariales du carcan de la loi de 1996.

Ce texte de la “chronique sociale” a paru dans notre n°115 (avril 2021).

En janvier dernier, il n’y avait personne à la table de négociation. La CSC, la FGTB et la CGSLB avaient refusé la marge salariale de 0,4 % pour les deux prochaines années. Elles estimaient une telle « aumône » inacceptable pour les travailleurs. Le non-départ de l’Accord interprofessionnel (AIP) a donc marqué ce début 2021.

Depuis 1996, la « loi pour la promotion de l’emploi et la sauvegarde préventive de la compétitivité » a constitué un carcan à la hausse des salaires. Elle a veillé « de manière préventive » à maintenir nos salaires au même niveau que celui des pays voisins.

Comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement Michel a encore durci la loi en inventant un « handicap salarial » historique qu’il faudrait rattraper et en instaurant, « par prudence », une marge de sécurité de 5 % pour l’établissement de la « marge ». Inutile de préciser que cette « norme salariale » définie par le Conseil central de l’économie ne tient compte ni des réductions de cotisations sociales ni des subsides salariaux octroyés aux entreprises. Au surplus, la loi contient un verrou redoutable : elle garantit, en contrepartie de la « modération », l’indexation des salaires[1.Ce qui n’avait pas empêché le gouvernement Michel de procéder à un saut d’index.]. Toute velléité syndicale d’abroger la loi mettrait donc automatiquement fin à l’indexation des salaires. La loi ainsi révisée a pérennisé le gel des salaires.

En mettant en lumière combien les activités essentielles sont les moins rémunérées et exécutées par les groupes sociaux les plus précarisés, la pandémie a révélé toute la violence de la condition salariale. Face à cette prise de conscience, les syndicats ont fait leurs calculs : la « norme salariale » ne permettrait une augmentation que de 6 € brut par mois pour le salaire minimum, 9 € pour les « fonctions essentielles » et 13 € pour le salaire médian. Peanuts donc pour les « premiers de corvée », le tout dans le but de préserver les dividendes des rentiers dont l’utilité reste à démontrer.

Les mesures de confinement ont asséché les liquidités dans plusieurs secteurs d’activités, alors que les bénéfices dans l’e-commerce et dans d’autres secteurs ont explosé.

L’augmentation de 0,4 %, inapplicable pour les uns, est dérisoire pour les autres, voire insultante pour les « salariés essentiels ». Après avoir si bien servi les actionnaires et les propriétaires, la loi pour la sauvegarde de la compétitivité a fait son temps.

La répartition des richesses entre le capital et le travail définit les rapports de force dans une société. Geler les salaires, c’est aussi, en raison des baisses de cotisations et d’impôts qui en sont les conséquences, tarir le financement de la sécurité sociale et des services publics. La préservation de la concertation sociale nécessite de rétablir la libre négociation des salaires et d’envisager enfin le blocage des dividendes perçus par les actionnaires.

Le 24 février dernier, Marc Goblet (PS) – ancien secrétaire général de la FGTB – et Raoul Hedebouw (PTB) ont présenté ensemble une proposition de loi visant à rendre la norme salariale indicative, et non contraignante. Le tandem PS-PTB, relais occasionnel du mouvement syndical, serait-il un début de promesse pour l’après ?

(Image de la vignette et dans l’article sous CC-BY-NC-SA ; photographie d’une manifestation syndicale à Bruxelles en 2015, prise par Han Soete.)