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Initiatives publiques à l’épreuve du capitalisme

Ceci est la présentation du dossier « L’ÉTAT, UN AGENT ECONOMIQUE » du n°116 de Politique (juin 2021).

Sauvetages bancaires, demandes accrues de participation publique dans les investissements, appels à plus de régulation dans certains secteurs nationaux stratégiques, renversement des dynamiques de partenariats public-privé, défaut de capacités publiques de production des biens stratégiques mis en évidence lors de la crise sanitaire… L’intervention économique de l’État n’est plus un tabou. Elle fait pourtant l’objet de débats agités dans le champ politique, jusqu’au sein même de la gauche.

Les positions sont contrastées et débordent largement la traditionnelle et caricaturale division entre nationalisations et privatisations dont on se rappellera avec ironie qu’elles furent soutenues par certains pans de la gauche au pouvoir les 40 dernières années. Si Karl Polanyi et son encastrement de l’économie fixe une source de référence commune, l’ouvrage de Mariana Mazzucato « L’État entrepreneur. Pour en finir avec l’opposition public-privé » constitue quant à lui à un point de bascule. Encensée par une part de la gauche, mise à distance par un autre pan, les relations entre le privé et le public dans le cadre économique restent décidément au cœur même de nos divergences, telle la problématique des PPP, entre « partenariats public-privé » et « partenariats public-public » soutenus ou reniés selon les auteurs. Ce dossier s’en veut pour preuve. Loin de circonscrire le débat, les contributions ici réunies visent au contraire à proposer une large gamme de visions de la place et du rôle économique de l’État en Belgique.

Il est en effet temps de mettre en lumière les multiples rôles économiques que l’État belge remplit à tous les échelons de pouvoir, dans les différents secteurs. Et pour se faire, il importe de définir d’emblée le périmètre d’analyse : une limite, plusieurs mêmes, s’impose à ce dossier. De nombreuses actions de l’État peuvent avoir un impact économique, comme les politiques sociales ou fiscales. Pour autant, il ne sera ici question que d’une analyse du rôle économique strict : l’État comme agent économique qui évolue dans un cadre budgétaire particulier, l’État qui alloue ses ressources, régule des secteurs, ou en gère certains en monopole public, en complément ou en concurrence du marché. Il n’y aura donc pas de réflexions sur la sécurité sociale, ni sur la fiscalité, ni sur les dépenses sociales publiques. Ce dossier s’entend non exhaustif mais représentatif des enjeux d’un débat tout aussi politique qu’économique.

À la lumière des échanges qui ont nourri ce dossier et des textes ici présentés, l’ampleur de l’action économique directe de l’État belge – toutes entités confondues – apparaît aussi ancrée qu’historique. Le type de rôle économique public reste toutefois sujet à discussions : interventionniste, régulateur, entrepreneur, stratège ? Les qualifications s’enchaînent et se réinventent mais une question demeure. Quelle vision du rôle économique de l’État la gauche porte-t-elle en 2021 et comment la mettre en œuvre ? Les terrains stratégiques d’intervention, les priorités économiques d’investissement public, le niveau d’action pertinent (européen, fédéral, régional, local) constituent autant de zones de confrontation avec la droite, et au sein de la gauche elle-même. La différence droite-gauche se marque-t‑elle essentiellement dans la politique de redistribution des fruits de la croissance qui aura été générée ou la gauche défend‑elle une – voire plusieurs – conception(s) spécifique(s) de l’acteur économique public ? Et dans ce cas, quels en sont les points essentiels ?

L’État, un impensé économique ?

Dans l’histoire et l’actualité belges, l’État est déjà un acteur économique de premier plan. Guy Vanthemsche rappelle les formes d’intervention étatique en Belgique en actualisant Les Paradoxes de l’État tandis que Fabienne Collard et David Van Den Abbeel démontrent l’ampleur de l’actionnariat public à travers les différentes entités de l’État belge. Dans un entretien, Olivier Vanderijst analyse les stratégies d’investissement public de la Société régionale d’investissement de Wallonie (SRIW). La variété des conceptions de l’intervention économique étatique est abordée par Luca Ciccia à travers l’évolution des deux plus grandes organisations syndicales (CSC et FGTB) et par Thibault Scohier qui interroge l’acteur étatique du point de vue de l’anarchisme.

Des secteurs en manque d’État ?

Cinq études de cas présentent quelques secteurs-clé d’intervention économique de l’État belge. Bernard Bayot questionne sa place dans l’évolution du secteur bancaire, Kenneth Bertrams souligne son implication dans le succès du secteur pharmaceutique. Dans un entretien avec Julien Vandeburie, le rôle des intercommunales est questionné alors que Samuel Sonck analyse l’électricité sous l’angle d’un « système énergétique ». Enfin, Jonathan Peuch ouvre un nouveau champ d’action, à partir du droit à l’alimentation.

Un acteur économique en devenir

Quels pourraient être les nouveaux rôles de l’État dans l’économie belge et son action dans le cadre des enjeux climatique et pandémique ? Olivier Malay interroge les plans de relance post-covid. Clément Fontan s’attaque aux questions monétaires. Étienne Lebeau et Clarisse Van Tichelen questionnent le cadre budgétaire européen alors que Xavier Dupret confronte le retour supposé au keynésianisme. Enfin, Édouard Delruelle, sur base d’une lecture d’ E.O. Wright, propose des pistes d’action anticapitalistes, voire écosocialistes.

Ce dossier a été coordonné par Luca Ciccia, Vaïa Demertzis, François Perl et Nabil Sheikh Hassan.