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Démocratie, et si on commençait par la jeunesse ?

Eliott Reyna. Unsplash
Eliott Reyna. Unsplash

Selon Jonathan Moskovic, conseiller en innovation démocratique auprès du Président du parlement francophone bruxellois, il est impératif de créer un cadre permettant aux jeunes de s’impliquer dans les processus de décision politique, tant à l’école que dans la vie civique. Observations et réflexions à partir de trois écoles bruxelloises.

A partir de quel âge devrait-on pouvoir voter ? L’abaissement de l’âge du vote pour les prochaines élections européennes souffle sur les braises d’un débat qui se ranime périodiquement. Si chaque élection s’ouvre à un nouveau public qui vote pour la première fois, le 9 juin sera un test particulier pour les jeunes Belges, qui pourront voter à partir de 16 ans. À Bruxelles, lors des commissions délibératives rassemblant des Bruxellois·es tiré·es au sort et des député·es, on constate déjà un intérêt de jeunes entre 16 et 20 ans pour la chose politique – là où d’autres, du même âge, confient ne pas se sentir légitimes dans le fait de se rendre aux urnes.

Avec le Président du Parlement francophone bruxellois, nous avons souhaité creuser cette question de l’éveil de la jeunesse aux questions de démocratie. L’élève à qui l’on offre l’opportunité de participer à la gestion de la classe et de l’école sera-t-il plus enclin, plus tard, à s’informer et participer à la gestion de la société et aux choix qui influent sur sa vie ? Une implication dès le plus jeune âge favorise-t-elle le développement de compétences démocratiques essentielles, telles que la collaboration, la pensée critique et la responsabilité citoyenne ? 

La démocratie scolaire est un concept éducatif reposant sur l’idée que les écoles ne devraient pas seulement être des lieux où les élèves acquièrent des connaissances, mais aussi des espaces où l’on apprend les valeurs et les pratiques démocratiques. La démocratie scolaire encourage donc la participation active des élèves dans la vie de l’école. Cela peut inclure la prise de décision quant aux questions liées à l’organisation de l’établissement, aux activités extrascolaires, ou encore à la résolution de conflits.

Immersion dans la réalité bruxelloise

La démocratie scolaire, bien plus qu’une simple composante éducative, représente le fondement même d’une société démocratique prospère. Nelson Mandela a affirmé avec perspicacité que « l’éducation est l’arme la plus puissante que l’on puisse utiliser pour changer le monde ». Cette transformation implique inévitablement la mise en place d’une démocratie scolaire solide.

Nous avons voulu voir par nous-mêmes ce qu’il en était du rapport des élèves à la démocratie, dans trois écoles secondaires de Bruxelles : une école secondaire générale, de l’Autre côté de l’Ecole (ACE), à Auderghem ; une école professionnelle, l’Institut Emile Gryzon, à Anderlecht ; une école spécialisée, La Cime-famille, à Uccle. 

La démocratie scolaire, bien plus qu’une simple composante éducative, est le fondement même d’une société démocratique prospère.

Nous sommes partis à la rencontre des élèves, dans leur établissement respectif, afin de discuter de leurs préoccupations et de leurs aspirations à la participation active au sein de leur école et dans la société. Un premier constat, chez l’ensemble des jeunes, est qu’il existe une véritable appréhension par rapport aux élections du 9 juin prochain. Toutes et tous – bien que primo-votants et en situation de voter pour les élections fédérales et régionales (dès 18 ans) ou pour les élections européennes (dès 16 ans) – confient leur impréparation et leurs craintes. 

Méfiance et mystification

C’est là un paradoxe marquant, la méfiance croissante envers la démocratie représentative et la désillusion envers le système politique coexistent avec une sacralisation du vote parmi la jeunesse. D’un côté, on observe en effet un scepticisme grandissant envers les institutions politiques traditionnelles, alimenté par un sentiment de déconnexion de la part de citoyen·nes.

C’est peut-être dans cette quête d’une démocratie plus participative et éclairée que la solution à ce paradoxe peut émerger.

De l’autre, les jeunes expriment un désir accru d’être particulièrement bien informé·es avant de participer au processus électoral. « Je ne suis pas assez informée pour pouvoir voter », nous glisse par exemple une élève de Gryzon. Les jeunes aspirent à être des acteur·ices informé·es en démocratie, éduqué·es et en mesure de préparer consciencieusement leurs choix électoraux. C’est peut-être dans cette quête d’une démocratie plus participative et éclairée que la solution à ce paradoxe peut émerger, en réconciliant la méfiance envers le système avec le désir profond de contribuer à la construction d’une société plus juste et équitable.

Au-delà de la délégation

Autre élément commun que nous avons pu constaté, il existe, dans les différents établissements, un conseil de délégué·es et l’élection d’un·e représentant·e, dont le mandat est de défendre la position des élèves de la classe, face aux professeurs et aux autres délégué·es. Cette délégation, bien que conforme au principe de représentation, peut paradoxalement conduire à une forme d’apathie des non élu·es. Les élèves, une fois leur délégué·e élu·e, peuvent se sentir en dehors de toute responsabilité envers les pratiques de l’établissement : « les élèves ne savent pas ce qu’il s’y passe, et donc on a la flemme », explique une élève de l’ACE.

Ce phénomène local entre en résonance avec des tendances similaires dans les systèmes démocratiques plus larges, où les citoyen·nes, une fois leurs représentant·s élu·es, peuvent parfois se désengager du processus politique. Cette dualité entre la représentation et l’apathie soulève des questions importantes sur la nature de la participation démocratique à tous les niveaux de la société. Elle invite à réfléchir à la nécessité d’une participation plus directe et d’une responsabilité partagée, pour construire des démocraties qui dépassent la seule délégation. 

L’opportunité de sélectionner les délégué·es des conseils par tirage au sort – plutôt que par élection – et de les renouveler régulièrement, représente une approche novatrice et prometteuse dans le contexte éducatif. Cette méthodologie permettrait d’instaurer un processus de sélection plus équitable, garantissant une représentation plus authentique et diversifiée.

Ainsi, le tirage au sort offre une chance égale à chaque élève de participer activement, réduisant les biais liés aux campagnes électorales et aux dynamiques sociales. De plus, en renouvelant régulièrement les personnes faisant office de déléguées, on stimule une rotation dynamique, évitant la concentration du pouvoir entre les mains de quelques élèves. Cette approche encouragerait une participation plus large et engagerait un plus grand nombre d’élèves dans le processus démocratique de l’école. En embrassant le tirage au sort et le renouvellement régulier des délégués, les écoles pourraient ainsi cultiver une atmosphère démocratique plus dynamique, inclusive et représentative.

Vous avez dit « différent » ?

Bien que les trois écoles visitées possèdent des caractéristiques sociodémographiques distinctes, il est tout à fait frappant de constater des similitudes marquantes. Cette convergence dans les interventions met en évidence la dimension partagée des expériences et les préoccupations des jeunes, transcendant les différences de milieux sociaux. Ces similitudes soulignent le besoin pressant d’initiatives qui rassemblent les jeunes de ces écoles, et au-delà, afin de surmonter les barrières sociologiques et de créer une sphère commune de dialogue et d’échange.

Favoriser de telles rencontres inter-écoles pourrait offrir une plateforme unique où les jeunes, quels que soient leurs contextes socio-économiques distincts, pourraient partager leurs perspectives, découvrir des points communs et construire des liens significatifs. C’est dans cette démarche inclusive que se trouve un potentiel, celui de renforcer la compréhension mutuelle, de favoriser l’inclusion et de promouvoir une diversité véritablement dynamique.

Bien que les trois écoles visitées dévoilent des caractéristiques sociodémographiques distinctes, il est frappant de constater des similitudes marquantes dans les interventions.

L’idée d’une rencontre entre les élèves émerge comme une proposition pertinente. Cette démarche pourrait favoriser un échange direct et authentique, permettant aux jeunes de différentes écoles de partager leurs expériences et de construire des liens au-delà des frontières de leur établissement. La demande provient d’ailleurs des jeunes de l’école La Cime, laquelle, grâce à la concrétisation d’une idée innovante, a pu organiser une rencontre entre l’école uccloise et une autre à St Josse.  « C’était trop chouette de faire la rencontre des jeunes comme nous d’écoles « normales », à refaire ! »  souligne leur envie de créer des rencontres inter-écoles et offrant ainsi une opportunité unique de favoriser l’inclusion et la compréhension mutuelle. Plus largement, nous devons travailler de concert à la diversité au sein même des écoles, et mélanger différents types d’enseignements et de profils au sein d’un même établissement. 

Actrices et acteurs de la société

John Dewey, pionnier de l’éducation progressiste, soulignait le lien indissociable entre la démocratie à l’école et la démocratie dans la société : ce qui est crucial, c’est de créer un type de caractère et un type de croyance en faveur de la démocratie, et non pas une simple imitation formelle de la démocratie”. En éduquant les jeunes générations dans un environnement où leurs voix sont entendues, respectées et valorisées, nous préparons des citoyen·nes conscient·es de leur rôle dans la société. 

La démocratie scolaire va au-delà de la simple transmission de connaissances ; elle cultive un esprit critique, formant ainsi des citoyens capables de contribuer activement à la société. Comme le dit Paulo Freire, « l’éducation ne transforme pas le monde. L’éducation transforme les personnes. Les personnes transforment le monde ». Ainsi, l’éducation démocratique crée des individus conscients de leur pouvoir et de leur responsabilité dans la construction d’une démocratie participative et inclusive.

Complexité et faire ensemble

Dans un monde de plus en plus complexe, l’éducation à la démocratie scolaire devient impérative. Il est temps de changer d’approche : là où la démocratie scolaire apparaît encore trop souvent comme une éducation formelle à la démocratie purement représentative et se focalisant sur les travers d’un rapport exclusif à la délégation, nous devrions passer à un autre type de modèle fondé sur la participation de toutes et tous, de façon permanente, à l’image de ce que nous avons initié avec les commissions délibératives au Parlement francophone bruxellois. 

Il est temps de changer d’approche. Nous devrions passer à un autre modèle fondé sur la participation de toutes et de tous, de façon permanente.

En impliquant les jeunes, d’une part, de façon beaucoup plus large et structurelle dans leur classe et leur école et, d’autre part, au niveau de la société par leur participation aux assemblées citoyennes et aux autres leviers d’action collective, nous entrerions dans un rapport beaucoup plus actif et significatif à la démocratie, qui s’en trouverait, à son tour, également modifiée. Plus on implique les élèves dans l’élaboration des règles et la prise de décision, plus le système est respecté par ces derniers et plus les décisions sont acceptées. En parallèle, la démocratie doit également s’adapter de façon impérative, pour parler la langue des jeunes et se reconnecter à un segment fondamental qui ne peut être oublié, non seulement comme sujet des politiques publiques, mais plus largement comme acteur de celles-ci.

En conclusion, passons d’une éducation des jeunes à la démocratie à une éducation de la démocratie aux jeunes.