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Le féminisme et les nouvelles formes d’émancipation

©BY-NC-ND 2.0; photo de la manifestation féministe du 8 mars 2019, prise par Gustave Deghilage en mars 2019.
©BY-NC-ND 2.0; photo de la manifestation féministe du 8 mars 2019, prise par Gustave Deghilage en mars 2019. © Gustave Deghilage

En élargissant l’espace de ses luttes, le féminisme s’est emparé de nouvelles demandes d’émancipation. Certain·es craignent que cela se fasse au détriment de l’unité et des luttes matérielles. Tentative de réponse, nourrie de regards théoriques et d’apports de collectifs féministes français.

Un soupçon traverse la gauche : les revendications des mouvements sociaux actuels freineraient le changement social en fragmentant les mobilisations au lieu de les unir derrière un projet commun d’émancipation comme le voudrait la gauche marxiste. Le chercheur allemand Felix Butzlaff1, par exemple, identifie une rupture dans la manière de théoriser et de mettre en œuvre l’émancipation au sein des mouvements sociaux. Cette rupture se caractériserait par l’apparition d’une perspective postmoderne de l’émancipation : les mouvements sociaux seraient passés d’une conception structurelle et collective à une vision beaucoup plus auto-centrée et individualiste. Pour rendre compte de cette tension, Butzlaff divise le projet émancipatoire en trois enjeux distincts mais interdépendants : (1) qui émancipe, (2) comment on s’émancipe, et (3) vers quoi on s’émancipe ?

Pour lui, la réponse à ces questions prendrait actuellement la forme de politiques identitaires avec une analyse toujours plus singulière et fragmentée de l’inégalité au détriment de structures plus globales et matérielles. Ce changement de paradigme, toujours d’après l’auteur, se répercuterait sur la manière dont s’organisent les luttes émancipatrices. Celles-ci seraient devenues trop morcelées (voire diffuses) pour renverser l’ordre social auquel elles prétendent s’opposer. Cette tension se retrouve également dans la littérature féministe. En effet, il semblerait que le projet féministe pour l’émancipation s’inscrive de plus en plus dans une conception postmoderne de celui-ci.

D’après les féministes d’obédience plus matérialiste2, la tournure postmoderne de la lutte féministe emprisonnerait les femmes dans les structures de pouvoir et laisserait donc peu de place aux grandes transformations sociales. D’abord, sa focalisation sur le discours et le symbolique risque de mettre de côté les inégalités d’ordre matériel, ainsi que les politiques qui visent de réels changements institutionnels et légaux.

Ensuite, sa perception de l’émancipation manque d’une orientation normative. Si la possibilité d’une résistance féministe ne peut se constituer qu’à l’intérieur même des relations de pouvoir, desquelles il n’est jamais vraiment possible de se libérer, comment comprendre contre quoi et pourquoi résister ?

Il me semble que la catégorie butlérienne de la vulnérabilité3 offre des clés d’analyse pour nuancer cette tension sur le terrain militant. En structurant mon propos à partir d’une série d’entretiens auprès de collectifs féministes émergents4, je cherche à comprendre la manière dont l’oppression genrée est conceptualisée par les militantes et jusqu’où elle répond réellement au caractère postmoderne qu’on lui attribue. Pour ce faire, je reprends les trois questions de Butzlaff : (1) qui, (2) comment et (3) vers quoi ?

Qui émancipe ?

La principale critique qui a été élaborée contre le projet féministe postmoderne est celle d’un sujet multiple et finalement d’une politique jugée trop identitaire, et ce au dépend d’une conception unitaire du sujet « femme ». Il est ainsi possible d’identifier de nombreux courants qui se construisent en fonction des différents rapports de domination qui traversent le mouvement : le féminisme musulman, lesbien, trans, afroféministe, etc. Néanmoins, juger le postmodernisme comme trop identitaire est un paradoxe, car sa version du sujet est plutôt celle d’un sujet non figé et ouvert. En effet, son projet vise la déconstruction de la catégorie identitaire « femme » pour ensuite la libérer de ses assises oppressives et la redéfinir. Comment dès lors comprendre ce trouble au sein du militantisme féministe ? Le féminisme émergent est-il dans une perspective postmoderne et multiple du sujet, et a-t-il réellement abandonné l’unité dans la lutte ?

L’approche centrée sur la vulnérabilité de Judith Butler offre une manière d’y réfléchir. L’autrice pense le sujet de l’émancipation à partir du concept de vulnérabilité. Pour elle, l’idée selon laquelle toute vie est inévitablement précaire devient le nœud même de la lutte. En ce sens, le pouvoir d’agir des « minorités » (femmes, personnes racisées, queer, migrant·es, etc.) est principalement lié au fait qu’elles soient radicalement exposées à certaines violences. La notion butlérienne de vulnérabilité doit d’abord être comprise comme une condition partagée par toutes et tous.

Nous risquons chacune et chacun, à un moment donné, d’être soumis·es aux violences produites par l’ordre politique. L’exposition commune à celle-ci nous place dans une position de dépendance vis-à-vis des autres et donc de responsabilité collective et de solidarité.

Par ailleurs, la vulnérabilité agit de façon différentielle, c’est-à-dire que l’exposition d’une personne à la violence peut varier en fonction du temps, du contexte et de sa position sociale. D’après Judith Butler, ces conditions sociales et politiques rendent certaines vies moins vivables que d’autres. Cette exposition différentielle à la souffrance révèle les inégalités, injustices et exclusions qui traversent le sujet politique de la lutte. Pour le dire avec certaines militantes interrogées, « nous [les femmes et minorités de genre] sommes en première ligne à subir les conséquences de politiques anti-sociales d’un État néolibéral, de plus en plus autoritaire et violent mais nous ne sommes pas toutes égales face à ces politiques ».

Par conséquent, « il faut mener un combat pour une vie plus digne [mais] il faut le mener avec et pour toutes les femmes et minorités de genre surtout celles qui sont racisées, queer, migrantes et celles qui vivent dans les quartiers populaires ». Ces militantes sont conscientes qu’elles ne subissent pas toutes les violences de la même manière, c’est pourquoi l’exposition différentielle à ces dernières implique une certaine éthique de l’égalité : « Une certaine partie de la population, surtout des femmes, vit des violences de manière exponentielle et il faut que notre combat les aide à rendre leur vie meilleure. »

Les deux formes de vulnérabilité qui sont mises en avant – la vulnérabilité comme condition commune et la vulnérabilité comme révélateur des rapports inégalitaires – amorcent un sujet et un terrain coalitionnels. Pour le dire avec Butler : « La précarité est la catégorie qui rassemble les femmes, les queers, les personnes transgenres, les personnes aux capacités différentes et les apatrides, mais aussi les minorités raciales et religieuses : c’est une condition économique et sociale, mais ce n’est pas une identité. Elle traverse l’ensemble de ces catégories et produit des alliances potentielles entre des individus qui ne se reconnaissent pas spécialement dans une appartenance commune5. »

Selon certaines militantes féministes, un projet d’émancipation basé sur la vulnérabilité aiderait le féminisme « à sortir de cette logique identitaire qui peut paralyser le mouvement [et ce] en repolitisant la lutte autour et contre la précarisation que le système inflige aux individu·e·s et non plus autour d’une définition figée de ce que voudrait dire femme ».

Néanmoins, soulignent-elles, « on n’est pas naïves. Il y aura toujours des désaccords parfois même irréconciliables. Il n’empêche qu’on doit trouver des solutions pour s’unir et la catégorie “femme” ne suffit plus ». En ce sens, ces dernières s’accordent avec Butler dans la remise en question de certaines normes dominantes qui constituent la compréhension du sujet politique : « Pour moi, le sujet du féminisme, c’est un sujet qui accepte qu’être femme, ça se vit et ça se comprend de manière très différente donc je refuse d’apporter une définition normée et figée. Une personne non-binaire et trans par exemple doit faire partie du féminisme. Après si tu me demandes un point commun, je pense au fait qu’on peut toutes être assujetties jusqu’à la mort. C’est peut-être ça, en fait, la vulnérabilité comme condition commune. »

La vulnérabilité permet donc de dépasser la controverse entre fragmentation et unité dans la lutte féministe. En effet, elle offre la capacité de s’émanciper à partir d’un « nous » qui se modifie en fonction des différences qui l’occupent mais plus encore, qui crée des alliances avec ces différentes personnes touchées par les conditions de précarité qui les traversent toutes.

Comment on s’émancipe ?

Le débat porte essentiellement sur la division stratégique parmi les moyens mis en œuvre par les différents courants féministes : entre autonomie vis-à-vis de l’État et ses institutions, et intégration à ce dernier. En effet, la critique régulièrement adressée au féminisme postmoderne se structure autour du fait qu’il développe une méfiance de plus en plus importante vis-à-vis de l’État et de ses institutions. Dès lors, il projetterait une émancipation qui passe directement
par les concerné·es, hors des structures étatiques.

Cette vision utopique freinerait la mise en place de réels changements institutionnels et légaux. Pour Butler, il faut comprendre la vulnérabilité comme une condition principalement infligée par l’État et ses institutions. Lorsque Butler parle ici de l’État, elle parle principalement de la cooptation de ce dernier par la rationalité néolibérale et du fait qu’elle mettrait à mal l’État social et ses institutions de soutien. De plus, elle souligne le paradoxe suivant : cette rationalité néolibérale promeut l’idéal moral d’un sujet autosuffisant et, dans le même temps, elle met tout en œuvre pour rendre le même sujet de plus en plus précaire, surtout d’un point de vue économique. Ce paradoxe renvoie à un État qui, soit ignorerait la réalité des personnes vulnérables, soit mettrait en place des politiques de contrôle et de régulation accrue de ces mêmes personnes afin qu’elles ne gênent pas ses projets.

Pour certaines féministes, il devient dès lors compliqué de s’appuyer sur l’État. « Il est difficile de se définir réellement comme féministe si on ne prend pas en compte dans notre combat celles qui subissent le mal logement ou le sans-abrisme, par exemple. Ou encore, celles qui n’ont pas accès aux soins de santé, celles qui vivent des parcours migratoires infernaux, avec des violences sexuelles à chaque coin de rue. La non-reconnaissance de ces problèmes se passe à l’intérieur même du féminisme, mais aussi et surtout avec la participation de l’État. Il ne faut pas que ces réalités deviennent vides de sens. Ces expériences minoritaires – minoritaires parce qu’elles n’appartiennent pas à la perception majoritaire portée et défendue par l’État macroniste – doivent rester le point de départ de nos réflexions. »

Dans un second temps, il est possible d’identifier des politiques que Butler définit comme paternalistes. Ces politiques s’apparentent à des politiques progressistes, mais serviraient finalement à contrôler certaines populations vulnérables, voire à les rendre encore plus précaires. Une activiste féministe souligne dans un des entretiens ce phénomène : « Je pense par exemple à l’abolition de la prostitution en France, sans parler des lois qui interdisent le port du voile ou celles contre le harcèlement de rue. Ce sont soi-disant des politiques féministes, mais l’État français ne pense pas aux victimes collatérales de ces politiques. Le fait que ça puisse renforcer la précarité des travailleuses du sexe migrantes par exemple, que des femmes voilées soient de plus en plus exclues de la sphère publique ou que leurs politiques anti-harcèlement de rue ciblent principalement certains quartiers et populations. »

Pour certaines militantes interviewées, l’État français se servirait du discours féministe afin de mieux déployer son arsenal répressif et contrôler les populations qu’il juge indésirables : « Il légifère au nom du féminisme mais en parallèle il en profite pour criminaliser un max. Quand tu veux renforcer la présence policière dans les quartiers populaires au nom d’une lutte supposée contre le harcèlement, ceux que tu veux atteindre, ce sont les jeunes de banlieue. Par contre, le même gouvernement n’hésite à aucun moment à garder un ministre de l’Intérieur accusé et mis en examen pour viol. Tu la comprends l’ambivalence ? »

Dans un même temps, ces féministes identifient le tournant punitif de l’État comme un manque réel de volonté de celui-ci : « L’État devient de plus en plus répressif parce qu’il ne veut rien dépenser pour rendre nos vies plus viables, ni même vraiment y réfléchir. Il n’arrive pas à comprendre que les violences envers les femmes et les minorités de genre font partie d’un tout. Pour lutter contre ces violences, il faut lutter contre la pauvreté, la drogue, les frontières, le dépérissement de l’éducation, et j’en passe. »

Cette dimension répressive de l’État est particulièrement visible en France, où l’on observe une gestion étatique plus centralisatrice et régulatrice qu’en Belgique.

Si Butler critique la rationalité néolibérale de l’État et sa vision paternaliste, elle ne défend pas pour autant son démantèlement. En effet, pour elle, un renversement étatique complet pourrait s’avérer dangereux. Contester les institutions étatiques et économiques rendrait la nécessité d’une protection sociale encore plus illisible que dans le contexte actuel. La critique des institutions ne peut donc se faire au détriment des personnes qui en dépendent le plus : tous les « sans » par exemple (sans papiers, sans logement, sans accès aux soins de santé, etc.). Pour Butler, un des moyens de surmonter cette tension est de créer – en parallèle – des formes d’alternatives collectives et décentrées. L’objectif de ce type d’organisation est la création de liens de solidarité, hors institutions, avec et pour les personnes qui ont le plus besoin d’une protection sociale et politique. D’après les entretiens, cela peut prendre la forme de cours d’auto-défense, de refuges, de mutuelles auto-gérées, etc.

Dans cette perspective, l’émancipation féministe ne se construirait plus uniquement à travers l’État, mais à partir d’une solidarité qui se construit contre cette précarisation imposée. Pour reprendre les termes de la philosophe féministe Veronica Gago, le mouvement féministe construit « sa propre institutionnalité et, en même temps, il continue à interpeller l’institutionnalisation existante6 ». Les militantes l’identifient comme suit : « On s’organise sans lui [l’État], en créant nos propres réseaux de solidarité. On se bat contre son caractère coercitif et sa dimension néolibérale mais on continue malgré tout à l’interpeller. On a l’idée que si on continue à le solliciter, à l’imaginer autrement, il deviendra un État solidaire et social. »

Il s’agit donc de nuancer la contradiction entre intégration et contournement de l’État. En effet, le féminisme émergent navigue entre ces deux convictions, comme un mouvement qui n’identifie plus l’État comme seul horizon, mais qui ne peut ignorer son possible champ d’action et son devenir social.

Vers quoi on s’émancipe ?

Quelle est la finalité de la lutte féministe ? Maintenir l’utopie d’une démocratie radicale, qui mènerait vers une société libérée des systèmes d’oppression, ou répondre à l’urgence du présent ? Il est régulièrement reproché au féminisme postmoderne d’abandonner le projet féministe « révolutionnaire » pour se concentrer sur des luttes préfiguratives. Celles-ci sont des espaces où le changement politique se performe et se matérialise par une série d’actions directes. C’est le fait d’agir et d’atteindre sur le moment une revendication de la lutte qui devient une force et non plus l’attente du « grand soir ». L’objectif revient donc à incarner le contre-pouvoir et à ouvrir l’horizon des possibles en dehors des courants politiques dominants et des institutions représentatives.

À l’instar d’Iris Marion Young7, Butler veut montrer qu’il existe d’autres formes de pratiques démocratiques que les pratiques délibératives. Dans son ouvrage Rassemblement, elle montre ainsi la force démocratique qui peut se dégager de ce qu’elle appelle des « assemblées éphémères et critiques ». Ces assemblées rendraient visible la souveraineté populaire faisant face à la souveraineté étatique : « Frappé au foyer de sa légitimé, l’État est pris en défaut et l’impuissance symbolique du tout puissant apparaît au grand jour8 »

Ces actions ne se limitent d’ailleurs pas à des « moments instantanés » tels que les rassemblements. En effet, les collectifs féministes mettent en œuvre dans leurs propres organisations, les principes démocratiques qu’ils souhaitent voir advenir au sein des institutions. Il s’agit d’une manière performative d’appréhender l’égalité et d’imaginer à quoi pourrait ressembler une démocratie plus radicale. C’est d’ailleurs comme cela que certaines féministes nous présentent leur travail : « Nous créons un lieu aussi safe que possible. La recherche de l’égalité, c’est un travail de tous les jours. Souvent ça rate mais au moins cela reste notre objectif, pas comme l’État qui semble même l’avoir oublié. Il fait d’ailleurs tout le contraire, il reproduit l’inégalité, voire il la produit. »

Ce processus est particulièrement visible au sein du mouvement féministe. Les militantes mettent en place des stratégies préfiguratives intéressantes à analyser. Un exemple est celui de la grève du 8 mars avec pour slogan performatif « Si on s’arrête, le monde s’arrête ». Butler identifie le geste de rassemblement comme « un acte corporellement concerté » dont les corps deviennent le fondement et la finalité du politique. Les militantes féministes s’approchent de cette conception corporelle de la démocratie : « La grève féministe est notre outil pour transformer cette société. La grève, c’est l’occasion pour tous les corps précaires de se réunir et de former une force commune dans les luttes. Nous ferons du 8 mars la journée des droits de toutes les travailleuses dont les travailleuses du sexe, les personnes migrantes, séropositives, lesbiennes, bis, trans, racisées, handies, avec ou sans papiers, avec ou sans emploi. »

Cette grève incarne également le projet d’émancipation du féminisme. Les militantes la comprennent comme « un espace démocratique pour toutes les personnes qui se reconnaissent dans ce que nous portons et qui veulent voir notre féminisme grandir. Nous y serons puissantes ensemble et peut-être qu’on deviendra une force suffisamment importante pour changer les institutions en profondeur ». C’est d’ailleurs à partir des assemblées pour organiser la grève du 8 mars qu’est née une série d’actions et de projets autonomes tels que la rédaction d’un guide d’autodéfense juridique et un refuge qui accueille toutes les femmes victimes de violences. Le but est de trouver des solutions face à l’urgence que peuvent représenter les violences faites aux femmes. Le caractère autonome de ces projets permet au guide d’autodéfense d’aider les femmes confrontées aux violences sexuelles mais aussi et surtout aux violences institutionnelles qui peuvent suivre. Quant au refuge, il a la possibilité d’accueillir toutes les femmes victimes de violences et ce, sans condition, c’est-à-dire que les femmes sans-papiers, parfois exclues de certains refuges financés par les institutions, trouvent également un lieu de répit.

La grève – comme pratique de rassemblement – offre ici une piste de réconciliation entre utopie et urgence du présent, celle de performer l’utopie démocratique dans le présent, tout en gardant le projet de transformer la nature même du droit, des institutions et de l’État. Pour ces militantes, c’est à travers un ensemble d’actions directes et de micropolitiques qu’elles pourront à la fois devenir une réelle force d’opposition et transformer voire radicaliser les différentes instances représentatives et étatiques.

Stratégies multiples et variées

Les militantes du féminisme émergent que j’ai interrogées s’intègrent dans le projet postmoderne de l’émancipation, c’est-à-dire qu’elles défendent (1) la multitude du sujet de l’émancipation, (2) une certaine autonomie vis-à-vis de l’État et (3) un intérêt pour les actions préfiguratives. Les entretiens ont cependant montré qu’une approche plus matérialiste du féminisme – celle qui défend une vision plus structurelle et matérielle de la lutte – n’est pas totalement abandonnée. En effet, les militantes féministes continuent (1) à chercher une unité dans la lutte tout en prenant en compte les différences qui l’habitent ; (2) à vouloir, en partie, s’appuyer sur un État mais dont la dimension sociale soit respectée et (3) à viser des institutions plus égalitaires tout en actualisant l’égalité au quotidien.

Par ailleurs, au même titre que la vulnérabilité a donné une dimension plus matérielle au travail de Judith Butler, largement identifiée comme une chercheuse postmoderne, la traduction militante de ce concept a permis d’éclairer des enjeux de précarité économique et sociale.