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Le Rom, ou l’autre absolu

Depuis plus de cinq ans pour certaines d’entre elles, des dizaines de familles avec enfants souvent en bas âge errent de squats en hébergements d’urgence en passant par l’occupation de lieux publics comme ce fut le cas du Parc Maximilien et de la Porte d’Anderlecht à Bruxelles au cours de l’été 2013. Les conditions d’hygiène et de promiscuité dans ces lieux de survie sont telles qu’elles font pénétrer les acteurs du tissu associatif qui tentent de soutenir ces familles en plein Moyen Âge. Rien n’est simple quand on vit dans un squat : aller à l’école, trouver de quoi se nourrir, se vêtir, consulter un médecin… Il y a fort à parier que si ces enfants n’étaient pas Roms, une solution respectant les standards minimaux de la dignité humaine aurait été trouvée depuis belle lurette. Car tout le monde sait et rien ne bouge. Au contraire, tout laisse penser que la stratégie politique choisie est celle du pourrissement de la situation dans l’espoir qu’ils finissent par rentrer chez eux. Car le mot est lancé et ruine souvent bien des solidarités : ils sont Roms, indésirables, in-intégrables.

Qui est Rome?

Le terme « Rom » constitue aujourd’hui une catégorie administrative et politique, par exemple dans les stratégies européennes (et donc belge) d’intégration des Roms[1.Ciré, « Y a-t-il une « question Rom » en Belgique ? », 2014]. Pourtant, le terme recouvre une diversité de groupes ethniques, de situations et de façons de vivres. Les gens du voyage titulaires d’au moins une nationalité des pays dans lesquels ils circulent n’ont plus rien en commun avec les Roms de l’Est qui sont à la rue, si ce n’est une lointaine origine commune. D’ailleurs, les Roms peinent à créer des solidarités, que celles-ci soient de classe, de genre ou plus largement interethniques. Ce manque de représentants forts, capables de faire entendre leurs voix et d’infléchir les politiques publiques accroît certainement la vulnérabilité de ce groupe social (lorsqu’il est constitué comme tel dans les discours) à l’égard de la casserole de préjugés dont il est souvent l’objet. Le premier d’entre eux relève de leur manière de vivre : les Roms seraient « naturellement » nomades alors qu’ils sont sédentarisés depuis des siècles et que c’est la misère de leurs conditions de vie qui les poussent sur les routes. À Kosice par exemple, ville d’où émigre la majorité des Roms slovaques, le chômage atteint des taux de 90 à 100% selon les quartiers, l’eau et l’électricité sont coupées, les déchets ne sont plus collectés et les enfants sont scolarisés dans des classes pour enfants présentant des déficiences mentales. Les attaques de skinheads ne sont pas rares. Le terme de « campement » utilisé pour décrire les situations dans lesquelles ils se retrouvent en Europe occidentale procède d’ailleurs d’un incroyable exercice d’euphémisation. Le terme approprié serait en effet bien plus celui de bidonville. Naturellement nomades donc, leurs façons de vivre perturbent les espaces publics et incommodent riverains et commerçants[2.« Les commerçants d’Anderlecht en ont ras le bol des Roms », La Dernière Heure, 3 septembre 2014 ; « Molenbeek : les riverains du quartier Ribaucourt en ont ras-le-bol des Roms », La Capitale, 1er juin 2014.].

« Voleurs de poule»

L’image du Rom en tant que voleur et de (faux) mendiant a la vie dure[3.« Bruxelles : Plongée dans la mafia des mendiants roms », La Libre, 5 juin 2014.]. L’ethnicisation des rapportssociaux ou, pour le dire autrement, la culturalisation des comportements atteint dans ce cadre-là des sommets. À en croire certains, la mendicité et le vol feraient partie de l’ADN des Roms. Cette perspective est plus présente qu’on ne le pense et s’infiltre de manière subtile. C’est ainsi qu’on peut entendre des acteurs sociaux œuvrant contre le décrochage scolaire expliquer doctement que les Roms n’ont pas la même conception de l’école que « nous ». C’est cette perspective teintée de préjugés raciaux qui a guidé la médiatisation de l’affaire de « l’ange blond ». Souvenez-vous : en octobre 2013, la police grecque fait une descente dans un bidonville peuplé de familles Roms. Très vite, ils remarquent une petite fille blonde aux yeux bleus qui ne peut, en raison de son apparence physique, qu’avoir été kidnappée. À qui appartient cet enfant ? Les médias vont se passionner pour cette histoire sans jamais approfondir les raisons sociales, économiques et politiques qui font vivre des centaines d’adultes et d’enfants dans une telle cour des miracles. Mais après quelques semaines, on apprend que Maria, c’est son nom, tests ADN à l’appui, est bien Rom mais en réalité d’origine bulgare et le buzz médiatique passera à autre chose. Ses parents sont venus en Grèce pour trouver une vie meilleure. Quand, tous leurs espoirs déçus, ils durent repartir en Bulgarie, ils confièrent Maria à une autre famille Rom qui leur semblait pouvoir élever leur fille dans de meilleures conditions. C’est dire. Lors de cet évènement, c’est la communauté Rom dans son ensemble qui futrenvoyée à son image séculaire de voleuse de poules et d’enfants avec la complicité silencieuse de tous ceux qui ne prennent pas la peine de combattre les préjugés sur les Roms.