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Les convergences historiques

Ne boudons pas notre plaisir. Ce n’est pas nous qui plaidons depuis la naissance de Politique pour une alliance de forces progressistes — qui en avons même fait une des raisons d’être de la revue — qui allons rechigner devant l’accord PS/Écolo.

On aurait pu souhaiter «plus» sur le contenu des accords comme l’approfondissement de cette alliance. On peut regretter parfois la frilosité sémantique d’aucuns qui s’efforcent d’en limiter la portée. On a bien noté que chacun — et certains plus que d’autres — soulignait d’une manière insistante qu’il ne s’agit ni de la constitution de listes communes en vue des prochaines échéances électorales, ni d’un programme commun de gouvernement. Seulement des «convergences», et la volonté de les défendre face à des partenaires/adversaires lors des négociations pour la formation d’une future majorité. Malgré ce «seulement» qui indique objectivement que le processus est encore à ses débuts et qui veut aussi ménager les réticences discrètes mais réelles qui existent des deux côtés, «la déclaration du 28 septembre» prononcées sous les bannières rouge et verte rassemblées restera une date dans l’histoire politique de la Belgique. Certes, rien ne permet de dire que cette alliance résistera aux difficultés qui ne manqueront pas de se présenter. On ne passe pas sans encombres de la concurrence parfois exacerbée à une collaboration immédiatement harmonieuse. On peut penser que les «convergences» sont plus ancrées chez la plupart des cadres et des militants les plus convaincus tandis qu’à la base des deux mouvements d’autres traînent les pieds. Sans compter des responsables socialistes qui, campant sur leurs positions hégémoniques traditionnelles, acceptent du bout des lèvres les résultats de la rénovation du parti entreprise par Élio Di Rupo et son équipe. Sans oublier ceux des dirigeants écolos qui auraient préféré maintenir une stratégie «triangulaire» pour jouer les forces d’appoint surdimensionnées dans des coalitions à géométrie variable. On peut s’interroger aussi sur l’attitude des électorats respectifs dont le comportement influencera naturellement l’avenir de cette alliance. On peut enfin soupeser les avantages respectifs (et légitimes) que chacun des partenaires escompte tirer de cette tactique politique. Il n’empêche. l’événement marque un tournant majeur dans notre paysage politique et offre la possibilité de rapports de force inédits pour la gauche. La conclusion de ces «convcergences» était inimaginable il y a un an à peine. Certes, tant le contexte national (le poids de la marque libérale dans l’arc-en-ciel) qu’européenne (l’offensive généralisée — et la plus souvent victorieuse — d’une droite radicale, voire populiste) ont favorisé le dépassement des conflits d’intérêts particuliers. Encore fallait-il que les uns et les autres apprennent à travailler ensemble et à créer un minimum de culture commune. En dehors de la collaboration gouvernementale et du travail parlementaire, différents initiatives dont, dans une modeste mesure, les «Assises pour l’Égalité» ont contribué à installer un climat favorable et des pratiques communes qui permettent de dépasser les préjugés mais aussi d’affronter les réalités d’une concurrence parfois aigüe notamment sur la légitimité et la prépondérance à gauche.

L’égalité au centre

Toute précaution prise et toute réserve étant notée, il n’en demeure pas moins que: — Pour la première fois, donc, en dépassant les stricts intérêts partisans mais dans le respect total de ses différences, la gauche belge se prononce clairement en faveur d’un axe privilégié basé sur la défense de propositions progressistes dont l’Égalité est la valeur centrale Les 5 engagements de convergences à gauche sont: garantir à tous un égal accès à la qualité de vie; garantir le financement de la protection sociale et des services collectifs; orienter l’action des pouvoirs publics vers la durabilité du développement; déployer une démocratie ouverte, transparente et participative; promouvoir une régulation publique de la mondialisation économique. De plus, l’accord formellement signé par le PS et Écolo dépasse de loin les deux partenaires. Pour assurer sa pérennité et réussir, il doit intégrer la gauche syndicale et associative mais aussi être capable de mobiliser citoyens non organisés mais sensibilisés à ces valeurs. Enfin, et ce n’est pas le moindre de ses mérites, il ouvre, de fait, un espace où peut se retrouver la gauche chrétienne sans crainte d’être instrumentalisée ou satellisée. Les appels répétés du Mouvement ouvrier chrétien depuis des années correspondent pleinement à la démarche actuelle. La perspective d’une véritable refondation de la gauche belge et de la création d’une alternative politique est ouverte, même si le chemin qui y conduit peut encore être long. — Pour l’instant, il ne s’agit d’abord de défendre une position commune — et minimale — dans le cadre d’une nouvelle coalition (plus que probablement) arc-en-ciel et de répondre aux menaces libérales contre la sécurité sociale, les services publics et, d’une manière générale, les dispositifs de solidarité. Mais quand le PS et Écolo «considèrent que tous ceux qui luttent pour le développement durable et solidaire et une société plus égalitaire doivent unir leurs efforts», ils se doivent de pousser avant la logique et les propositions d’une véritable alternative politique qui aille au-delà de l’amélioration (toujours souhaitable) des rapports de force au sein d’une coalition obligée avec la droite. — La dimension fondamentaliste de l’accord se situe au-delà des propositions formulées. Les convergences établies entre la «gauche sociale» et la «gauche culturelle» voir à ce sujet l’article de Marc Jacquemain dans le numéro 26 de «Politique» d’octobre 2002 «les racines de l’arc-en-ciel» qui ont vécu jusqu’ici dans l’incompréhension et la méfiance constituent une nouveauté déterminante même si elle est encore largement inachevée. — Une logique est à l’œuvre: celle de la bipolarisation. À droite, la création du MR y a déjà contribué. À gauche, les «convergences» doivent permettre d’aller plus loin dans la clarification politique. Elle implique pour la social-démocratie l’abandon de la «course au centre» (qui lui a d’ailleurs valu tant de déconvenues — notamment — électorales en Europe). Elle ancre Écolo à gauche avec les alliances que cela suppose. Elle permet au citoyen de se définir par rapports à de véritables choix de société, et redonne du même coup «sens» à la politique. Cette bipolarisation peut être le barrage le plus efficace à l’abstentionnisme et même aux dérives populistes. Peut-être exagérons-nous la portée de ces «convergences». Peut-être. Mais ne ratons pas cette chance pour la gauche. Elles sont rares.