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L’État de droit, une fiction européenne ?

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illibéralisme © Pawel Kula
16 novembre 2020 : la Hongrie et la Pologne opposent leur veto à l’adoption du plan de relance et projet du budget européens.

Ce texte de la “chronique européenne” de Vaïa Demertzis a paru dans notre n°114 (décembre 2020).

Les instances européennes s’étaient accordées cet été sur un plan de relance, malgré les réserves des États dits frugaux – Autriche, Danemark, Pays-Bas et Suède. Le budget communautaire pluriannuel 2021-2027 était en passe d’être validé pour prendre effet au 1er janvier prochain. Deux instruments financiers âprement négociés pour se donner les moyens de sortir de la crise avec un minimum de solidarité européenne et désormais conditionnés au respect de l’état de droit dans les pays bénéficiaires. Les deux projets, qui requéraient l’unanimité pour être validés, ont été bloqués par le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, et son homologue polonais, Mateusz Morawiecki. La Hongrie et la Pologne, qui ne dédaigneraient pourtant pas une aide financière européenne pour affronter la crise et ses ravages socioéconomiques sur leur sol, refusent toutefois que l’accès à ces deux instruments financiers soit dépendant du respect de l’État de droit, qu’ils confrontent à leur souveraineté nationale, identitaire et culturelle.

En opposant leur veto à ces deux plans qui représentent ensemble 1 800 milliards d’euros, et dont la Pologne serait pourtant un bénéficiaire privilégié, ces deux gouvernements nationalistes – menés par le Fidesz (Union civique hongroise) et le PiS (Droit et justice, Pologne) – mettent en scène leur union mutuelle dans la confrontation avec Bruxelles. Ils sont tous deux régulièrement épinglés par la Commission et le Parlement européen pour des décisions gouvernementales rompant avec les valeurs démocratiques, l’indépendance de la justice, la liberté des médias ou les droits des minorités (dont la communauté LGBTQI).

La Pologne (en 2017), puis la Hongrie (en 2018) ont été soumises à une procédure dite « article 7 », qui vise en principe à sanctionner politiquement des pays membres qui ne respectent pas les valeurs de l’Union européenne (UE). Toutefois aucune de ces procédures n’a de réelle chance d’aboutir tant que les deux gouvernements resteront solidaires puisque la règle de l’unanimité qui prévaut en la matière nécessite l’accord de tous les États membres (sauf celui visé). Les institutions européennes se trouvent donc bien démunies pour faire respecter l’État de droit, cette valeur fondamentale énoncée à l’article 2 du Traité de l’UE, qui en conditionne d’ailleurs l’adhésion.

Voilà qui pourrait expliquer pourquoi les instances européennes se sont saisies du plan de relance, lié au budget européen, adopté en juillet dernier, pour tenter de faire accepter un mécanisme de conditionnalité de l’état de droit par les deux pays récalcitrants. Et la prise en otage subséquente du budget européen par deux États membres, au détriment de toute logique politique de solidarité.