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L’extrême droitisation de la politique étrangère du MR

Passage de Georges-Louis Bouchez le 17 novembre 2023 sur I24News, chaîne de propagande d’ultradroite israélienne, où un chroniqueur, David Antonelli,  pouvait notamment expliquer le 10 octobre 2023  : « Je me fiche éperdument des 2 millions de Gazaouis. Ce qui m’importe aujourd’hui, c’est la vengeance d’Israël. » avant d’être remercié par l’animatrice.
Passage de Georges-Louis Bouchez le 17 novembre 2023 sur I24News, chaîne de propagande d’ultradroite israélienne, où un chroniqueur, David Antonelli, pouvait notamment expliquer le 10 octobre 2023  : « Je me fiche éperdument des 2 millions de Gazaouis. Ce qui m’importe aujourd’hui, c’est la vengeance d’Israël. » avant d’être remercié par l’animatrice.

Proposition de démanteler l’aide au développement belge sur le modèle trumpien, refus d’entraver l’entreprise génocidaire israélienne à Gaza… En matière de politique internationale, les partis-pris du président du MR Georges-Louis Bouchez s’inscrivent pleinement dans sa stratégie de normalisation de l’extrême droite, au risque d’éloigner durablement son parti des droits humains et du droit international. 

Il n’existe pas à proprement parler de politique étrangère d’extrême droite. Ses différentes composantes affichent généralement une large variété de positionnement, notamment sur le plan des alliances géopolitiques. Il n’en demeure pas moins que la vision des relations internationales défendue par le président du Mouvement réformateur (MR) prolonge sa conception foncièrement inégalitaire de l’ordre social, marqueur classique de cette mouvance. Justifié par une volonté de placer les intérêts économiques du pays devant toute autre considération, l’acharnement de Georges-Louis Bouchez à traquer tout ce qui pourrait trahir un rapport progressiste au monde semble surtout obéir à sa stratégie de guerre culturelle et du clivage permanent.

Rapport ambivalent à l' »internationale réactionnaire »

La rupture avec la tradition libérale antifasciste longtemps assumée par le parti est perceptible dans le rapport équivoque qu’entretient le président du MR à l’extrême droite internationale, le positionnant constamment sur une ligne de crête. Versant clair, le Montois a participé personnellement à un « sommet pour la démocratie et la liberté » face à « l’internationale réactionnaire » organisé par la formation macroniste Renaissance le 24 mars dernier à Paris. Versant obscur, il cultive l’ambiguïté envers les régimes illibéraux, dont il partage bien des obsessions, au premier rang desquelles « l’anti-wokisme » ou une conception ultra-répressive de la politique migratoire. En septembre 2024, il n’a pas hésité à prendre fait et cause pour un gouvernement étranger hostile en soutenant l’initiative du ministre hongrois de l’Intérieur d’affréter des bus de réfugiés à destination de Bruxelles.

Plutôt que d’afficher des convergences ostensibles avec Trump, il s’agit de multiplier les « dog whistles » et autres œillades à ses aficionados sous couvert d’une volonté de nuance.

La même ambivalence caractérise son rapport au trumpisme. Plutôt que d’afficher des convergences ostensibles avec le milliardaire, il s’agit de multiplier les « dog whistles » et autres œillades à ses aficionados sous couvert d’une volonté de nuance. À quelques jours des élections étatsuniennes du 5 novembre 2024, Bouchez refusa notamment de choisir entre les deux candidats, faisant de lui l’un des rares présidents de partis belges à ne pas opter, ne fut-ce que par défaut, pour Kamala Harris. Le 20 janvier, il s’insurgea contre la décision de la RTBF de ne pas retransmettre en direct le discours d’investiture du républicain, pourtant prise conformément à la logique du cordon sanitaire médiatique. Les multiples interventions en défense d’Elon Musk, champion de l’aile libertarienne de l’extrême droite mondiale, ont entretenu le même brouillard : s’agissait-il d’un soutien de principe à la liberté d’expression et plutôt d’une adhésion à son idéologie ?

La bienveillance de la direction du MR envers une autre coqueluche de la droite radicale, le président argentin Javier Milei, incite à privilégier la seconde réponse. Lors d’un débat organisé par le Centre Jean Gol, le service d’étude du parti, consacré à la gestion économique d’« El Loco » auquel participait Bouchez, ce dernier s’est attaché à démontrer ce qui distingue la mauvaise extrême droite de la bonne. « Quand on fait de l’analyse politique, on doit arrêter de faire une grande soupe d’idéologie en nous disant que Trump, Meloni, Milei, c’est la même chose[…] Ces leaders disruptifs, en dépit de leurs similitudes, se différencient : Trump n’est pas un libéral, alors que Milei, si. » De là à dire que de bonnes dispositions envers le libre marché pardonnent des mesures antidémocratiques, ultraconservatrices, ou la nostalgie pour les dictatures militaires, il n’y a qu’un pas. Piqué au vif par un commentaire d’un compte X lui reprochant de faire trop de concession à la gauche, Bouchez répliqua le 5 juillet avec encore plus de clarté. « Je suis le seul à défendre la droite dans cette région[…]. À la différence de Milei, je suis dans un régime proportionnel ».

Haro sur la solidarité internationale

La volonté d’élargir vers la droite la fenêtre d’Overton1 se constate également à travers les prises de position tranchées de Bouchez sur l’aide au développement. La mise en place de l’Arizona s’est accompagnée d’une amputation de 25 % du budget de ce secteur, au grand dam des associations qui y sont impliquées. Insuffisant, selon le président du MR, qui l’a fait savoir avec fracas dans sa très thatchérienne interview accordée à La Libre le 12 juillet dernier2. « Soit on supprime tout, soit on dit qu’on ne peut plus dépenser un euro en Coopération si cet euro ne revient pas à une entreprise belge. »

Au Vice-Premier ministre Maxime Prévot (Les Engagés), en charge de cette compétence, qui rappelait les bénéfices directs et indirects pour la Belgique, et lui reprochait implicitement de vouloir suivre le modèle de l’administration étatsunienne du démantèlement de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), le Montois répliqua sans en démordre. « Cela fait des décennies que l’on fait de la coopération au développement… On n’a résolu ou amélioré aucun des objectifs qui viennent d’être cités et certainement pas la réduction de la migration illégale. Et le point Godwin Trump ne permettra pas de cacher cette réalité. » Et de se lancer dans une série de reposts sur X censés appuyer son propos, reproduisant l’antagonisme entre « nous » et « les autres » cher à l’extrême droite. Parmi ceux-ci, cette interrogation d’un compte prisé de la droitosphère francophone : « Enabel [agence belge de développement] investit 2 210 000 € d’argent public dans un projet soutenant la prise en charge des femmes victimes de violences par des Marocains. Quid de celles qui subissent les mêmes faits en Belgique ? Que fait-on pour elles ? » La réponse aurait assurément déçu ce féministe de circonstance, admirateur d’un dirigeant, Milei, dont l’une des premières mesures fut précisément de supprimer le ministère des droits des femmes : en 2023 les sommes consacrées en Belgique à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles atteignaient 184 400 000 €3.

S’en prendre à la légitimité même de l’existence d’un service public fédéral longtemps trusté en Belgique par les libéraux n’a rien d’anodin. De fait, on cherchera en vain pareille prise de position radicale au sein des autres partis de droite classiques, libéraux ou conservateurs. Au contraire, le groupe parlementaire européen dont est membre le MR (et, depuis 2024, les Engagés), Renew Europe, a fermement condamné la décision de l’administration Trump de suspendre l’aide étatsunienne. Cette dernière a en revanche été applaudie par la droite populiste, du VVD néerlandais à l’AFD allemande, dont le MR est donc désormais plus proche que n’importe lequel de ses partis frères sur cette thématique.

Envisager la fin brutale de l’aide au développement témoigne d’un mépris pour la vie humaine non occidentale indissociable d’une vision raciste du monde

Remettre en cause l’efficacité et le fonctionnement de l’aide au développement et les dérives qu’elle entraîne n’est pas, en soi, d’extrême droite. De légitimes critiques peuvent lui être adressées, notamment en matière de perpétuation des rapports néocoloniaux. Du reste, des gouvernements occidentaux dirigés par des libéraux, des conservateurs et même des sociaux-démocrates ont régulièrement fait de ce secteur une variable d’ajustement budgétaire, ou l’ont appréhendé dans une perspective utilitariste, l’exécutif De Wever inclus.

Envisager la fin brutale de l’aide au développement témoigne en revanche d’un mépris pour la vie humaine non occidentale indissociable d’une vision raciste du monde, au regard du désastre humain qui en résulterait. Dans le cas des USA, selon une projection de la prestigieuse revue médicale The Lancet, le démantèlement soudain d’USAID pourrait causer jusqu’à 14 millions de décès, dont 700 000 enfants par an. Toute chose égale par ailleurs, il ne fait guère de doute que la fin de toute aide belge au développement, concentrée sur des zones critiques, se solderait, elle aussi, par une surmortalité massive.

Le soutien à Israël, marqueur illibéral

Cette vision impitoyable de l’ordre international se constate également à travers la radicalisation de la position traditionnellement pro-israélienne des libéraux francophones. Jouant de l’ambiguïté qui accompagne toute sa stratégie droitière4, Bouchez cherche à maintenir l’illusion d’une forme d’équilibre, tout en assumant un rôle de bouclier de Tel-Aviv à faire pâlir le dôme de fer5, en particulier depuis le 7 octobre 2023. À coup d’interventions provocatrices, comme la qualification des attentats aux bipeurs au Liban attribués au Mossad de « coup de génie », Bouchez s’est incontestablement profilé du côté du gouvernement de Benyamin Netanyahou. Cette posture a contribué à lui attirer la sympathie de toute une galaxie extrémiste applaudissant les massacres à Gaza, perçus comme une guerre civilisatrice par procuration contre le « barbare global » auquel se rattache la figure du Palestinien.

Lorsqu’il ne torpille pas toute initiative de son propre gouvernement fédéral susceptible de déplaire à Israël, de la reconnaissance de l’État de Palestine à la mise en œuvre de sanctions, le président du MR ne se gêne pas pour défier ouvertement la position belge. Sources israéliennes à l’appui, le Montois relayera à plusieurs reprises les accusations infondées de collusion avec le Hamas contre l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (l’UNRWA), pourtant soutenue tant par ce gouvernement que par le précédent. Il en ira de même quant il s’agira de donner du poids à Bart De Wever après que celui-ci eut remis en cause, en contradiction avec l’accord de gouvernement, l’obligation de la Belgique d’exécuter les mandats de la Cour Pénale Internationale (CPI) contre Netanyahou.

De façon générale, les reposts de Bouchez sur le réseau X soumettent le multilatéralisme, auquel la diplomatie belge attache officiellement une importance majeure, à rude épreuve. On pourra ainsi lire sur sa timeline que l’ONU est un « tas de boue » (10 juillet) et sa rapporteuse pour les droits humains en territoire palestinien occupé, Francesca Albanese, une « antisémite notoire » (3 juillet) pour avoir qualifié le génocide à Gaza « d’un des pires de l’Histoire moderne »… Bouchez lui-même n’a-t-il d’ailleurs pas jugé impossible que les Palestiniens en soient victimes dans la mesure où leur population a quadruplé depuis 1940, devant un auditoire sidéré lors d’un débat à Louvain-la-Neuve ?

Le 20 juin, la diplomatie belge s’alarmait du blocage de l’aide internationale et des massacres perpétrés par la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), structure opaque à qui Israël a octroyé le monopole de l’acheminement humanitaire dans l’enclave. Quelques jours plus tard, Bouchez, toujours contre la position officielle de la Belgique, assurait une fois de plus le « service après-vente » du gouvernement Netanyahou, en relayant un prétendu « fact-checking » censés disculper l’organisation. Il répercutera encore à plusieurs occasions la parole de la GHF à travers le compte de celle-ci (26 juin et 2 juillet), légitimant implicitement un maillon clé dans l’usage de la faim comme méthode de génocide, récemment dénoncé par Amnesty. Il est vrai qu’il n’est pas le seul. Cette famine, dont même Donald Trump reconnaît aujourd’hui la réalité, a été un temps mise en doute par la conseillère au Centre Jean Gol Nadia Geerts, qui avait ironisé sur les « restaurants ouverts à Gaza ». Elle s’en est ensuite excusée devant le scandale provoqué, sans perdre pour autant le soutien de son président.

Aujourd’hui, force est de constater que la politique israélo-palestinienne idéale de Bouchez ressemblerait moins à la position traditionnelle de la Belgique qu’à celle de la Hongrie de Victor Orban.

Pas plus que les attaques contre la coopération au développement, la collusion avec Israël ne constitue en elle-même un marqueur d’extrême droite, en dépit des relations privilégiées qu’entretient Tel-Aviv avec cette mouvance sur le Vieux Continent. Reste que l’obstination à refuser, ici encore au nom de considérations mercantilles parfaitement assumées par Bouchez6, de demander des comptes à un régime accusé, entre autres, de perpétrer le crime des crimes, s’inscrit dans une conception de l’ordre international où les Etats s’affranchissent de toutes règles. Cette approche, partagée par la N-VA côté flamand, ne fait pas seulement le jeu des droites radicales : elle pousse le gouvernement fédéral à manquer gravement à ses obligations internationales dans le tragique contexte actuel, ce qui lui vaut d’être mis en demeure d’agir devant la justice. Aujourd’hui, force est de constater que la politique israélo-palestinienne idéale de Bouchez ressemblerait moins à la position traditionnelle de la Belgique qu’à celle de la Hongrie de Victor Orban, qui s’enorgueillit de défier la justice internationale en accueillant Netanyahou.

Réalisme ou cynisme ?

Pour justifier cette vision froide et pragmatique de l’action extérieure, qui en appelle à rompre avec « la mauvaise conscience du passé » et « l’angélisme sans fondement », Bouchez se place volontiers dans le sillage du réalisme. Ce faisant, il trahit une compréhension approximative de cette école de pensée en relations internationales. Traditionnellement opposée à l’idéalisme, elle consiste à agir sur la marche du monde tel qu’il est et non tel que l’on souhaiterait qu’il soit. Elle ne préjuge pas de l’orientation politique que charrie une approche qui s’en revendique, et n’est donc en elle-même pas incompatible avec la défense d’un ordre global multilatéral basé sur le droit plutôt que sur la loi du plus fort.

À l’inverse adopter une posture cynique, martiale, à la pointe du suivisme étatsunien, strictement transactionnelle et fondée sur des intérêts court-termistes ne suffit pas à rendre une politique extérieure « réaliste ». On saurait ainsi difficilement qualifier comme telle le fait d’estimer qu’il faille, au nom de considérations civilisationnelles occidentalistes, s’aligner sur la frénésie guerrière d’Israël. De même, la désastreuse invasion étatsunienne de l’Irak de 2003, que Bouchez revendique avoir soutenue, tout comme en son temps l’idéologue en chef du MR Corentin De Salle, montre que certains choix aux allures pragmatiques ne reposent en rien sur une analyse du monde « tel qu’il est ».

Certes, la Belgique, atlantiste et ambivalente à l’égard du droit international, n’a jamais conduit de politique étrangère tiers-mondiste. Mais sa défense active du multilatéralisme et des institutions onusiennes ont consolidé au fil des décennies une réputation à l’échelle globale qui constitue un puissant facteur de « soft power ». Ce sont ces fondements que menace aujourd’hui la déclinaison belge de l’« America First » que propose Bouchez.

  1. La fenêtre d’Overton désigne l’ensemble des idées jugées acceptables ou légitimes dans le débat public à un moment donné. ↩︎
  2. Confirmant de précédentes prises de position sur le sujet, absentes toutefois du programme du MR aux dernières élections. ↩︎
  3. Un montant au demeurant jugé largement insuffisant par les associations féministes. 
    ↩︎
  4. Lire M. Georges, « Enquête : l’extrême droite au MR, ou la stratégie de la perversion », Politique n°130, 2e  trim. 2025. ↩︎
  5. Dispositif anti-missile de pointe couvrant le territoire israélien et ses colonies.  
    ↩︎
  6. Dans Le Soir du 31 juillet 2025, Bouchez développe les raisons de son opposition aux sanctions : « Je ne suis pas contre les sanctions par religion. Mais si nous imposons des sanctions, les contrats seront repris par des entreprises américaines. Dites-moi ce que nous aurons gagné ? J’en ai marre que nous soyons des dindons de la farce. » ↩︎