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« Libéraux, tous fachos ? »

Illustrations ©Simpacid
Illustrations ©Simpacid

Sidérée par le triomphe du Mouvement réformateur (MR) à la sauce Georges-Louis Bouchez, la gauche avance à tâtons. Facho, pas facho ? Le MR est-il encore pleinement dans le giron démocratique ? Et si ce n’est pas le cas, quelles conséquences en tirer ? Le débat est en cours chez l’ensemble des opposant·es à l’extrême droite.

Le MR, un parti d’extrême droite ?

Juliette Léonard et Miguel Schelck : Combattons le MR pour ce qu’il est

S’il existe une continuité entre les idées de droite conservatrice et d’extrême droite, ce qui nous oblige à une constante vigilance, pour le moment, on ne peut pas considérer le MR comme d’extrême droite. Le parti reprend des éléments de langage, des discours et des propositions, suivant ainsi un processus de fascisation à l’œuvre dans différents pays. Ce tournant doit nous alerter : on ne bascule pas du jour au lendemain dans un régime d’extrême droite, rien n’est acquis et notre pays pourrait prendre ce tournant. Chaque politique ou proposition qui s’éloigne des principes démocratiques participe à tracer le chemin vers cette possibilité de l’extrême droite. Il faut continuer de pointer ces propositions et déclarations racistes, antidémocratiques ou d’extrême droite quand elles le sont.

Néanmoins, les partis d’extrême droite ne se limitent pas à des propos racistes ou à certaines propositions politiques, d’ailleurs parfois partagées par la droite qui n’a jamais porté un projet de société égalitaire. Le MR n’a ni l’historique d’un parti d’extrême droite, ni le programme, ni les fondements philosophiques, tels que le rejet de la démocratie ou l’obsession pour une nation organique. De plus, comme tous les partis, le MR est composé de différentes tendances et fait face à des conflits internes.

En plus d’être inexacte, l’assertion selon laquelle le MR serait fasciste nous semble contre-productive. Pour une grande partie de la population, dont l’électorat du MR, l’extrême droite ne signifie pas grand-chose et ne fait plus peur. Dans un contexte de dédiabolisation, on ne peut pas minimiser le danger de l’extrême droite en donnant l’impression que le MR, voire les Engagés, en serait l’actuel représentant. Combattons le MR pour ce qu’il est : un parti de droite conservatrice qui fait le nid de l’extrême droite en récupérant ses discours et en mettant en place des politiques qui s’en prennent brutalement à la population, tout en la divisant.

Sixtine Van Outryve : Un parti moteur de l’extrême droitisation du pays

La question de savoir si le MR vire à l’extrême droite est toujours discutée actuellement et elle n’obtient pas une réponse unanime. Cependant, je ne suis pas d’accord avec vous pour affirmer sans nuance que « le MR ne peut pas pour le moment être considéré comme d’extrême droite ». Le MR, notamment par l’intermédiaire du président qu’il s’est choisi, contribue à l’extrême droitisation de la scène politique et médiatique et ne peut s’en tirer indemne. Car si l’objectif n’est pas de développer des milices fascistes prêtes à imposer leur politique par la force dans la rue, le parti reprend les thèmes propres à l’extrême droite, adopte une stratégie politique trumpiste et accueille à bras ouverts des cadres de partis d’extrême droite. Le MR suit donc la même évolution que Les Républicains en France : il reprend des arguments politiques, des discours et des revendications de l’extrême droite. La différence est qu’en Belgique francophone, le MR peut occuper toute la place à droite, en ce compris l’extrême droite, alors que Les Républicains sont simplement le marchepied du RN. C’est leur stratégie explicite d’ailleurs. Bouchez déclare qu’il n’y a pas besoin d’extrême droite avec une droite « qui s’assume », donc qui assume des éléments de tout ce spectre politique.

Et cette stratégie a fonctionné du point de vue électoral et doit nous interroger sur celle que la gauche au pouvoir a adoptée jusqu’ici, et celle que le mouvement social pourrait choisir à l’avenir. La montée électorale du MR participe à un phénomène plus large de victoire électorale des partis de droite conservatrice et d’extrême droite partout dans le monde. Elle témoigne de sa capacité à convaincre un électorat populaire qui ne voit plus ses intérêts défendus par les partis traditionnels, y compris de gauche, qui adoptent des politiques néolibérales. Cet électorat est attiré par les fausses solutions (chasse aux migrant·es, aux travailleurs et travailleuses malades, chômeurs et chômeuses, différentiel de 500 € de pouvoir d’achat entre travailleuses et travailleurs avec et sans emploi…) qu’ils proposent à leurs problèmes réels (difficulté et inégalité d’accès aux services publics, à des soins de santé abordables et de qualité, à un travail stable, permettant de vivre dignement et qui fait sens, à des loisirs, à la nature ou, tout simplement, à du temps libre en famille et entre ami·es…).

Que faire face au MR ?

Juliette Léonard et Miguel Schelck : Il faut sortir de l’entre-soi

Nous sommes d’accord avec toi, Sixtine, sur le rôle dangereux joué par le MR, qui ouvre la voie à l’extrême droite, Georges-Louis Bouchez (GLB) en tête, et particulièrement dans le contexte international qui est le nôtre. Néanmoins, à notre sens, cataloguer le parti d’extrême droite n’enrichit pas la compréhension, ni de ce qu’est le MR, ni de ce qu’est l’extrême droite et n’en détournera par ailleurs personne.

Nous ne lutterons pas en comptant sur nos seuls rangs. Il va nous falloir développer de nouveaux discours qui mobilisent d’autres personnes que les convaincu·es. Contre toutes les droites, qui, par nature, sont opposées aux intérêts des travailleurs et travailleuses, nous devons analyser les préoccupations de ces dernier·es, le moment politique ainsi que les rapports de force. Cela implique de sortir de l’entre-soi, de sensibiliser, d’encourager et soutenir les mouvements sociaux qui politisent, participent à la vivacité de la conscience de classe, nous renforcent et nous unissent dans la diversité. C’est ainsi que nous pourrons faire vivre un projet d’avenir social et solidaire, qui construit l’espoir pour le plus grand nombre, empêche la résignation et donne l’envie de se mobiliser.

Nous venons toutes et tous de milieux où la politique semble lointaine, malgré les effets concrets de celle-ci. Une multitude de facteurs explique le vote qui ne traduit pas la compréhension et l’adhésion à un programme. Une partie de la gauche intellectuelle doit sortir de son ethnocentrisme de classe et comprendre que nous n’avons pas toutes et tous le même rapport à la politique. Nous voulons toucher les personnes qui n’ont aucun intérêt à des politiques de droite, mais pourraient voter MR.

Pour cela, Sixtine, tu le dis, les partis de gauche traditionnelle doivent arrêter les politiques antisociales. Aussi, la lutte et les mobilisations sont des moments primordiaux. Pour finir, imposons de nouveaux discours et pratiques qui parlent plus largement qu’aux seul·es convaincu·es. Des termes tels que « fachos » ou « sécurité sociale » n’évoquent pas chez tout le monde ce qu’ils nous évoquent et certaines tactiques antifascistes ne sont pas adaptées à une population peu sensibilisée. Réinventons nos codes et nos langages, ne nous limitons pas à réagir aux propos de la droite, osons le champ émotionnel, faisons écho au quotidien des gens et démontrons que les idées, pratiques et projets de gauche sont toujours d’actualité.

Sixtine Van Outryve : Mettre en place un cordon sanitaire de lutte

Nous sommes d’accord, simplement taxer le MR de parti d’extrême droite ne va pas détourner l’électorat de ce parti. Mais il est fondamental de prendre acte de la multiplication récente des actes et discours de ce parti qui correspondent à des traits typiques de l’extrême droite. Dans ce sens, la FGTB Verviers & Communauté Germanophone a réalisé récemment une action inédite contre une conférence du président du MR. Elle a revendiqué l’application du cordon sanitaire contre lui, sur la base d’une analyse publique montrant comment son discours satisfait aux caractéristiques de l’extrême droite. Aussi, même s’il est clair qu’il existe des conflits internes au sein du MR, il faut tout de même rappeler que son président a été élu par son appareil et ses membres. Il représente donc ce parti ! Évitons le piège de la personnalisation du débat, qui détourne la responsabilité du reste du MR.

En revanche, il est certain que nous ne pouvons pas adopter la même stratégie que face à un parti émergent d’extrême droite, vu qu’il est le premier parti de Belgique francophone. Comme vous le dites, Miguel et Juliette, nous ne sommes pas en capacité de l’ostraciser, d’autant plus qu’il est capable de distiller son récit dans la société par sa participation au gouvernement, son accès au champ médiatique et sa capacité matérielle de diffusion des idées par des conférences dans l’ensemble du pays. Il faut donc constituer un « cordon sanitaire de lutte », soit un cordon sanitaire qui va au-delà des sphères médiatiques et institutionnelles, mais se joue aussi au niveau de l’espace public. Cela sera nécessaire car si le MR de Bouchez décline électoralement, le terrain sera prêt pour l’extrême droite en Wallonie.

Mais n’oublions jamais que combattre le MR passera surtout par la construction et la lutte pour un projet de société d’égalité et de solidarité, aux antipodes de celui porté par ce parti pour qui la seule vraie « liberté » est en réalité celle d’être exploité, et surtout, d’exploiter. Pour cela, il faut compléter la défense des conquis sociaux par des revendications offensives en s’impliquant activement dans les mouvements sociaux luttant contre les politiques conservatrices et néo-libérales et pour une société solidaire. Cela suppose aussi d’œuvrer à l’unité dans la diversité, comme vous le dites, Juliette et Miguel, là où le MR, à l’instar de l’extrême droite, divise. Et cela suppose encore de s’organiser de manière démocratique et égalitaire, en rompant avec l’idée que certaines personnes seraient davantage capables d’agir politiquement que d’autres, et en valorisant au contraire la diversité des expériences, des vécus et des compétences de chacun et chacune.