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Pourquoi les « fake news » ont aussi bonne presse

Fake news
Fake news
Novembre 2020 : la sortie d’un documentaire complotiste sur le Covid-19 fait grand bruit.

Ce texte a paru dans le n°114 de Politique (décembre 2020) dans le cadre de la « chronique médiatique » de Maryam Benayad.

Le 11 novembre 2020, un documentaire intitulé Hold-up sort sur internet. Quelques heures auront suffi pour que ce film de presque trois heures défraie la chronique pour finalement être retiré des plateformes qui avaient permis sa diffusion. Et si ce documentaire fait tant parler de lui, c’est parce que Hold-up se veut une analyse « claire et complète » de ce qui se cache véritablement derrière la crise sanitaire du Covid-19.

Bourré de thèses complotistes tout aussi farfelues les unes que les autres, Hold-up a pourtant fait l’objet d’une véritable campagne de défense de la liberté d’expression. Certains ont même évoqué l’arrivée, enfin, d’un « documentaire qui dit tout haut ce que les médias mainstream n’osent dénoncer » – des médias sobrement nommés « merdias » où travaillent d’ailleurs des « journalopes ». Mais pourquoi les fake news ont aussi bonne presse ?

D’abord, parce que s’il y a un mot que la crise sanitaire a porté aux nues, c’est bien l’incertitude. Or, l’être humain est ainsi constitué qu’il abhorre l’incertitude. Cette nécessité de trouver des réponses, de se faufiler dans un monde scientifique habituellement assez fermé, peu enclin à la pédagogie, a créé les germes de cette révolte envers les médias… qui n’en demandaient pas tant. Cela fait des années qu’un climat de méfiance s’est installé à l’égard des médias chez nous. L’enquête « Noir Jaune Blues » réalisée par Le Soir et la RTBF en 2016 avait déjà montré que la plupart des institutions souffraient d’un déficit de confiance. Le monde politique recueillait… 9 % d’avis de confiance, et les médias 19 %. C’est peu pour un quatrième pouvoir, celui qui, en principe, représente le chien de garde de la liberté et de la démocratie…

Ensuite, si le terreau est si fertile, c’est aussi parce que la gestion de crise a été cataclysmique en Belgique. Sur le testing, sur le tracing, sur le port du masque – et on en passe et des meilleures –, le monde politique a souvent fait marche arrière sur des décisions et n’a jamais vraiment parlé d’une seule voix. Ajoutez-y une cacophonie assez semblable du côté des experts, et l’on comprendra que l’adhésion du grand public a très vite faibli. Et, partant, que les théories les plus folles aient trouvé refuge auprès d’une partie de la population. Certains ont même dénoncé un « corona circus » pour évoquer cette gestion qui laissera des traces dans l’histoire de notre pays…

Ce n’est pas tout. Assez naturellement, attacher de l’importance aux théories les plus absurdes titille la curiosité naturelle de l’être humain pour l’information étonnante, sensationnelle, sortant des sentiers battus. On peut le regretter, mais contrecarrer ce penchant naturel est un combat de tous les jours que les médias classiques n’ont pas toujours pris à bras-le-corps.

Enfin, la presse est un secteur en crise depuis vingt ans. En pleine mutation – et en pleine restructuration – depuis l’avènement d’internet au début des années 2000, les médias ne se sont préoccupés de scénariser l’information de manière utile et pédagogique que depuis quelques années. Ce déficit ne se rattrape pas d’un coup de cuiller à pot. En attendant, l’information « mise en scène » par les adeptes des fake news continue de trouver son public. Hold-up le démontre à plus d’un titre. Et ce documentaire est loin d’être le premier du genre, mais il restera une gifle pour le travail des journalistes, appelés à se remettre en question, encore et encore.

(Image d’illustration réalisée par le site www.factcheck.org sous CC-BY-4.0)